L'icône du cinéma français, Brigitte Bardot, décédée ce dimanche 28 décembre à l'âge de 91 ans, a marqué Hollywood sans jamais y céder. Portrait d'une étoile qui a choisi de briller autrement.


C'est par un scandale que Brigitte Bardot a conquis l'Amérique. En 1957, "Et Dieu... créa la femme" débarque outre-Atlantique et provoque un séisme. Le film, passé presque inaperçu en France à sa sortie, devient le film étranger le plus rentable jamais distribué aux États-Unis, rapportant 4 millions de dollars. Des gérants de salles de cinéma sont même arrêtés pour l'avoir projeté. La scène de danse en jupe fendue, cette sensualité décomplexée et cette liberté féminine font l'effet d'une bombe dans l'Amérique puritaine des années 50.
La Française qui affolait l'Amérique

"Brigitte Bardot a certains avantages au-delà de ceux avec lesquels elle est née", écrit le magazine Life en juin 1958. "Comme la voiture de sport européenne, elle débarque sur la scène américaine à un moment où le public américain est prêt, voire affamé, de quelque chose de plus osé et réaliste que le produit domestique habituel."
À 22 ans, la jeune Française devient un phénomène mondial. Baptisée "sex kitten" par la presse américaine, elle incarne tout ce que Hollywood n'osait pas encore montrer : une femme libre dans sa tête comme dans son corps. Le président français Charles de Gaulle ira jusqu'à la qualifier d'"export français aussi important que les voitures Renault".
Hollywood lui tendait les bras, elle a dit non
Pourtant, contrairement à tant d'acteurs européens attirés par les sirènes d'Hollywood, Brigitte Bardot refuse obstinément de faire carrière aux États-Unis. Les offres prestigieuses pleuvent : tourner avec Marlon Brando, devenir une James Bond girl dans "Au service secret de Sa Majesté", jouer dans "L'Affaire Thomas Crown" de Norman Jewison. Elle décline tout.
Son unique incursion hollywoodienne restera "Dear Brigitte" (Chère Brigitte) en 1965, une comédie avec James Stewart tournée... en France. Elle exige que toute l'équipe américaine se déplace. Dans ce film où l'action se déroule ironiquement à bord d'un bateau ancré dans la baie de San Francisco, elle apparaît brièvement dans le rôle d'elle-même, l'idole d'un enfant prodige. Deux jours de tournage seulement. "Je trouve Stewart ennuyeux", confiera-t-elle dans ses mémoires, le comparant à "un robot qui refait les mêmes gestes sans personnalité".
Cette méfiance envers la machine hollywoodienne traduit son attachement viscéral à la France et sa volonté de contrôler sa carrière. Bardot préfère les metteurs en scène français - de Roger Vadim à Jean-Luc Godard - aux studios californiens.
Entre fascination et scandale : un rapport ambivalent
Le succès américain de Bardot reste paradoxal. Les Américains la vénèrent tout en la craignant. Elle représente une liberté qui bouscule les codes d'une société encore très conservatrice. Certains critiques la louent comme symbole de modernité, d'autres la condamnent comme menace morale.
Ce rapport ambigu se retrouve dans sa filmographie. "Le Mépris" de Jean-Luc Godard (1963), produit par l'Américain Joseph E. Levine avec Jack Palance, tente de séduire le marché international. "Viva Maria!" (1965), le western avec Jeanne Moreau, connaît un grand succès mondial mais ne perce pas autant qu'espéré outre-Atlantique.
Même après avoir raccroché, le mythe Bardot continue de fasciner l'Amérique. En 1992, Hollywood crée le Brigitte Bardot International Award dans le cadre des Genesis Awards, récompensant les œuvres de sensibilisation à la cause animale - un hommage à sa seconde vie.
1973 : le tournant d'une vie
C'est sur un tournage dans le Périgord que tout bascule. Nous sommes en 1972, Brigitte Bardot tourne son 46e film. Elle s'attache à une petite chèvre qui devait finir dans une assiette lors d'un repas de communion. Elle rachète l'animal, la baptise Colinette, et quelques jours plus tard annonce sa retraite définitive du cinéma. Elle a 38 ans et prend ses millions d'admirateurs au dépourvu.
Mais son engagement pour les animaux avait commencé bien avant. Dès 1962, à 28 ans, elle découvre des photos des conditions d'abattage et devient végétarienne. En 1967, elle est reçue à l'Élysée par Charles de Gaulle et obtient l'étourdissement obligatoire avant l'abattage. En 1977, ses photos avec un bébé phoque sur la banquise canadienne font le tour du monde et conduiront à l'interdiction de l'importation de fourrures de phoques en Europe.

Une fondation qui pèse des millions
En 1986, Brigitte Bardot organise une vente aux enchères spectaculaire de tous les objets de son passé de star. Elle réunit 3 millions de francs nécessaires à la création de sa fondation. Reconnue d'utilité publique en 1992, la Fondation Brigitte Bardot est devenue une organisation majeure de la protection animale.
Les chiffres donnent le vertige : un budget annuel dépassant les 20 millions d'euros ces dernières années, financé à 85% par des legs et 15% par des dons. Près de 300 salariés, plus de 500 enquêteurs et délégués bénévoles, 70 000 donateurs dans le monde, des actions dans 70 pays.
Sur le terrain, la fondation gère 4 refuges en France abritant plus de 8 000 animaux sauvés de la maltraitance ou des abattoirs : chevaux, ânes, moutons, vaches, cochons. Environ 6 millions d'euros par an sont consacrés uniquement aux soins de ces animaux de ferme.
Chaque année, plus de 2 000 enquêtes sont lancées, aboutissant à environ 300 actions civiles et une centaine de condamnations. La fondation stérilise plus de 12 000 chats errants par an en France grâce à des accords avec plus de 1 000 communes.
Des victoires concrètes contre la souffrance animale
L'impact de la Fondation Brigitte Bardot dépasse largement les frontières françaises. Parmi ses victoires majeures :
- L'interdiction des élevages de visons en France
- La fin progressive des animaux sauvages dans les cirques (applicable en 2028)
- L'interdiction de vente des chiens et chats en animalerie (appliquée en 2024)
- La contribution à l'interdiction européenne des tests sur animaux pour les cosmétiques (2013)
- L'arrêt par la France des crash-tests automobiles sur animaux vivants, avant même les États-Unis
- L'engagement français de ne plus importer de trophées de lions (2015)
La fondation participe aux congrès internationaux majeurs comme la CITES (Convention sur le commerce international des espèces menacées) et soutient des projets dans le monde entier : sanctuaires d'ours en Bulgarie, centres de soins pour mammifères marins au Canada, campagnes de stérilisation en Roumanie, Grèce, Espagne.
Un héritage qui transcende les frontières
"J'ai donné ma jeunesse et ma beauté aux hommes, je donne ma sagesse et mon expérience aux animaux", résume Brigitte Bardot. Cette phrase cristallise sa trajectoire unique : de sex-symbol planétaire à militante infatigable.
Pour les Américains qui l'ont découverte comme icône de libération dans les années 50, Bardot est restée cette figure de rébellion. Mais sa vraie révolution, celle qui dure depuis près de 40 ans, s'est faite loin des caméras et des paillettes.
Membre du Global 500 Roll of Honour du Programme des Nations Unies pour l'environnement, décorée par l'UNESCO et PETA, une statue de 700 kilos et 2,5 mètres de haut érigée en son honneur à Saint-Tropez en 2017... Les reconnaissances internationales ont suivi.
Brigitte Bardot aura été cette paradoxale icône française : adulée par l'Amérique qu'elle refusait, star mondiale qui a tourné le dos à la célébrité, symbole de liberté qui a consacré sa seconde vie à défendre ceux qui n'ont pas de voix. Un destin aussi unique que fulgurant, qui s'achève ce 28 décembre 2025, laissant derrière lui une fondation qui perpétuera son combat.
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