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RAOUTI CHEHIH - "Le Brésil nécessite un investissement sérieux et de long terme"

Écrit par Lepetitjournal Rio de Janeiro
Publié le 4 septembre 2016, mis à jour le 8 février 2018

Après la Chine, les Etats-Unis et l’Europe, c’est au Brésil qu’EuraTechnologies, le pôle d'excellence économique dédié aux technologies de l'information et de la communication de la région lilloise, emmène ses start-up afin d’accélérer leur développement à l’international. De passage à Rio, Raouti Chehih, son directeur général, confie ses objectifs au Petitjournal.com.

Lepetitjournal.com : Pouvez-vous rappeler les missions d’EuraTechnologies ?
Raouti Chehih :
C’est un projet qui a pour ambition de transformer l’économie d’une région en France, de la faire passer de l’état d’économie industrielle à celui d’économie du futur, notamment celle du numérique. On a pour cela récupéré une usine textile de 25.000 m² qui employait à l’époque plus de 4.000 personnes et avait fermé en 1989. Il a fallu réinventer une histoire autour de cette usine et on l’a orientée vers les nouvelles technologies. L’idée, c’était que les emplois que l’on a perdu dans le secteur du textile soient récréés dans celui du numérique. C’est ce qu’on a fait jusqu’à maintenant. EuraTechnologies, c’est un incubateur, un accélérateur, qui permet à des entrepreneurs de venir se développer sur notre territoire.

Après la Chine, les Etats-Unis et l’Europe, vous repartez à l’international en cherchant à déployer vos start-up au Brésil. Pourquoi ce choix ?
Au départ, nous nous sommes demandé de quoi souffraient les entreprises que l’on accompagnait. Pour beaucoup d’entre elles, c’est un déficit d’internationalisation. On a alors regardé les secteurs et les pays dans lesquels il y avait du potentiel. En Chine et aux Etats-Unis évidemment, mais le Brésil également car c’est un pays intéressant à bien des égards. C’est d’abord un pays qui s’est construit industriellement, puis s’est orienté vers les industries de services et qui maintenant va devoir se transformer digitalement. Il y a donc un besoin des entreprises locales et nous sommes là pour pousser des start-up qui permettent cette transformation digitale. Ensuite, c’est un Bric, donc un pays en fort développement. Il est en récession actuellement, mais il va redémarrer et c’est important pour nous d’être là afin que nos entreprises puissent s’y développer. Nous sommes également intéressés par les entreprises brésiliennes dans les technologies de l’information et de la communication, voir si elles ont un potentiel sur le marché européen et constituer un hub afin de les y accompagner.  

Comment est réalisée la sélection des start-up que vous comptez emmener au Brésil ?
Elle est en cours et se fait sur des critères simples : il faut qu’elles vendent déjà des produits, aient déjà des clients, fassent déjà du chiffre d’affaires en France et en Europe, qu’elles aient déjà levé des fonds ou qu’elles aient le potentiel suffisant pour le marché brésilien, qu’elles aient du cash d’avance et surtout qu’elles aient envie d’investir plus de 30% de leur temps sur ce marché et ce à long terme. Parce que l’on sait que c’est un marché qui prend beaucoup de temps.

Quels sont les secteurs visés ?
Nous nous intéressons à plusieurs verticales : retail (grande distribution), banques et assurances, mobilité et transports, sport, santé (notamment la santé connectée). Pour l’environnement technologique, on est intéressé par tout ce qui concerne les datas et leur sécurité, l’Internet des objets, l’industrie du logiciel au sens large et la dimension cloud.

Cette implantation au Brésil se fait en plusieurs étapes. Pouvez-vous nous la détailler ?
Tout d’abord, on détecte, on source les entreprises qui ont du potentiel. Ensuite, on les fait passer par un processus de sélection, selon les critères que je vous ai décrits. Une fois sélectionnées, on va procéder selon deux phases : une première session d’immersion lors de laquelle on emmène les entrepreneurs voir et comprendre le marché et son économie, rencontrer des premiers contacts brésiliens et français, avant un retour en France et une seconde session d’immersion. Le programme d’accélération dure ensuite environ 18 mois. L’idée est de mettre en situation d’export cinq à six entreprises au Brésil tout en commençant à recruter une deuxième génération d’entreprises, aidée par la première qui aura réussi sur le marché.         

Pour réussir cette implantation au Brésil, vous êtes aidés de ZoomLyd, spécialiste du business développement IT sur le marché brésilien, un partenaire francophone et local qui était fondamental ?
C’était en effet primordial. Il ne faut pas imaginer venir au Brésil tout seul. Même si nous sommes l’un des plus gros incubateurs aujourd’hui en France avec plus de 265 entreprises et avec une expérience internationale ces dix dernières années, il aurait été suicidaire de venir ici sans aide. On vient depuis 2012, on a un partenariat important avec Belo Horizonte, même s’il est institutionnel au départ, mais on préfère s’appuyer sur des gens que l’on connaît très bien et en qui on a confiance comme ZoomLyd ou encore Business France.  

Quelles sont les particularités du marché brésilien ?
C’est un d’abord marché très lent. Ensuite, quand on le regarde de l’extérieur, il n’a pas l’air très sophistiqué voire "primaire", mais il est en réalité très codifié, répondant à beaucoup de conditions sociales avec une forte segmentation, donc beaucoup plus complexe que l’on imagine. Etant un Bric, le marché brésilien est également sur-sollicité, on est loin d’être les seuls à venir pour réussir, c’est pour cela qu’il nécessite un investissement de long terme et de manière sérieuse. Faire du "one shot" ne fonctionne pas.

On ne soupçonne pas également de l’extérieur qu’il est très dynamique dans le secteur des nouvelles technologies…
Exactement, je pense qu’il y a des logiques de joint-venture, de partenariat qu’on peut imaginer. Prendre des start-up françaises et les lancer sur le marché brésilien en espérant qu’elles raflent la mise, cela ne se fait pas comme cela. Il faut donc rechercher l’association et la complémentarité avec de la technologie et du savoir-faire. Ceux qui ont réussi, comme BlaBlaCar ou Ocab, ont passé du temps ici et ce sont de bons exemples pour les start-up que l’on va accompagner.

Comme vous l’avez évoqué, le but d’EuraTechnologies, c’est aussi de faire le voyage inverse en emmenant des start-up brésiliennes en France ?
Oui, pour compléter la chaîne de valeur française. Mais pour les faire venir en France, il faut d’abord avoir des entreprises françaises basées au Brésil pour leur donner des garanties de succès et pouvoir les rassurer sur ce qu’elles vont trouver chez nous quand elles attaqueront le marché européen. Car c’est le marché européen avant le français qu’il faut vendre car le nôtre est trop petit.  

Le Brésil subit une sévère récession actuellement, mais vous restez optimiste sur les chances de succès de vos start-up ?
Oui, je suis très optimiste et confiant. On ne vient pas donner de leçons, mais on voit bien que c’est un pays qui fait une crise de croissance, traversant une zone de turbulences qui est, je pense, surtout politique et institutionnelle. Economiquement, c’est un pays qui continue néanmoins sa marche en avant et des sujets sont en train de se régler comme l’hyper dominance du secteur public sur le reste de l’économie, le privé est en train de reprendre la main. Le Brésil a donné beaucoup de promesses et va les tenir. Dans les trois à cinq ans à venir, il comptera notamment pour les entreprises étrangères qui voudront y exporter. Il a juste besoin de structurer sa capacité à pouvoir accueillir de l’investissement international.

Est-ce que le Brésil est une entrée vers le reste de l’Amérique du Sud ?
Je n’en suis pas sûr. Déjà, d’un point de vue linguistique, ce n’est pas la même langue que le reste du continent. L’Amérique du Sud, c’est finalement comme l’Europe, des pays complètement différents et il n’y a en plus pas d’unicité de monnaie. Les deux leaders que sont le Brésil et l’Argentine par exemple ont une manière radicalement opposée d’aborder leur économie. Mais le Brésil peut constituer un point avancé pour comprendre le marché sud-américain. 

Propos recueillis par Corentin CHAUVEL (www.lepetitjournal.com - Brésil) lundi 5 septembre 2016

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Publié le 4 septembre 2016, mis à jour le 8 février 2018

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