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RELIGION - Les cultes afro-brésiliens toujours discriminés par des églises évangéliques

Écrit par Lepetitjournal Rio de Janeiro
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 25 février 2015

Autrefois diabolisés et interdits, les cultes afro-brésiliens, répandus dans la région de Bahia, subissent les attaques répétées des adeptes de plusieurs églises évangéliques, et notamment de l'église Universelle du Royaume de Dieu.

Au vu de la foule compacte qui accourt chaque 2 février, le jour de Iémanja, assister aux offrandes à la déesse de la mer, le chiffre peut sembler ridicule. Et pourtant, selon le dernier recensement, seuls 0,3% des Brésiliens déclaraient être adeptes des cultes afro-brésiliens en 2010. Si le pourcentage est traditionnellement sous-estimé, c'est que le candomblé, le culte afro-brésilien le plus populaire dans la région de Bahia, souffre toujours de nombreuses discriminations, venant des églises évangéliques les plus controversées.

Le candomblé est loin d'en avoir fini avec les stigmatisations. Sivanilton Encarnação da Mata occupe la plus haute fonction religieuse (celle de "babalorixa") et dirige un lieu de culte, un terreiro, sous le nom de Baba Pecê. Il le regrette : "Aujourd'hui encore, il existe des cas graves de persécution contre les religions afro-brésiliennes, des préjugés et de l'intolérance. Les attaques les plus virulentes proviennent de certaines églises néo-pentecôtistes qui attaquent constamment le candomblé. Ils peuvent aller jusqu'à envahir des terreiros et briser des objets sacrés."

Les attaques les plus répétées prennent place dans des livres, des émissions de télévision ou de radio, qui diabolisent le

candomblé, mais pas seulement. Lorsqu'ils se rendent au terreiro, les adeptes du candomblé sont parfois pris à partie dans la rue par des évangéliques, comme en témoigne une fidèle du candomblé qui souhaite rester anonyme : "S'ils me voient habillée en blanc, qui est la couleur rituelle du candomblé, ils me crient 'Jésus vous aime !' pour m'inciter à changer de religion". Les discriminations se prolongent en agressions verbales sur les lieux des terreiros, parfois même de la part de pasteurs évangéliques, qui viennent tenter de convaincre des adeptes d'abandonner leur foi. Baba Pecê et la Fédération du culte afro-brésilien font même état d'agressions physiques et de jets de pierre, tout en concédant que ce sont des phénomènes rarissimes dans l'Etat de Bahia.

Plusieurs plaintes
Pour se défendre, les terreiros préfèrent se tourner vers la Fédération, basée à Salvador, qui réunit plus de 6.000 terreiros dans tout le Brésil. Celle-ci a déposé deux plaintes devant les tribunaux contre les pasteurs qui étaient venus prendre à partie des membres d'un terreiro. Mais parfois, même les pouvoirs publics se transforment en agresseurs : João Henrique, maire de Salvador et publiquement évangélique, a entrepris en 2011 la destruction d'un terreiro sur la base d'un litige administratif, avant de faire machine arrière devant l'émotion suscitée.

Même dans certains quartiers à dominante catholique, en dehors des zones populaires, la population mène parfois la vie dure aux petits terreiros. Vingt ans après s'être installée dans le quartier de Santo Antonio, à Salvador, Marta, qui dirige un terreiro, se plaint de l'hostilité du voisinage : "Les voisins passent en médisant, ils me critiquent. Ils ont essayé de m'exproprier, et le fils de la voisine a même tenté de m'agresser ici, dans mon terreiro. J'ai déposé plainte pour plusieurs situations. Si ma foi n'était pas aussi forte, j'aurais déjà jeté l'éponge". Selon elle, les voisins de ce quartier historique n'acceptent pas l'implantation d'un lieu de candomblé, qui attire régulièrement des fidèles venant de toute la ville.

Les évangéliques à la pointe des discriminations
Pour expliquer le contexte actuel, la plupart des victimes de discriminations pointent du doigt les églises protestantes évangéliques, en premier lieu l'Eglise Universelle du Royaume de Dieu. Ce courant néo-pentecôtiste, à la tête d'un réseau audiovisuel de 23 chaînes de télévision et de 40 radios, s'est fait remarquer par l'inculpation de son fondateur en 2009 pour blanchiment d'argent. Ce dernier a aussi vu son livre retiré de la vente en 2005 pour préjugés et discrimination envers les religions afro-brésiliennes.

Ironiquement, l'Eglise Universelle aurait beaucoup copié le candomblé, selon Antoniel Alaide Bispo, secrétaire général de la

Fédération nationale du culte afro-brésilien : "Ils se contentent d'emprunter des éléments du dogme du candomblé, en l'adaptant, comme le culte des éléments, que nous avons toujours pratiqué". L'Eglise Universelle reconnaît également les orishas, divinités du candomblé, mais en négatif : pour eux, ce sont des démons, qu'il fallait exorciser lors de transes parfois télévisées dans les années 1990.

Une position officielle apaisée
L'agressivité envers le candomblé est également alimentée par le prosélytisme hyperactif des fidèles, mais plus de ses pasteurs : après plusieurs inculpations d'enfreindre la liberté de culte, impossible de vilipender publiquement le candomblé comme dans les années 1990. Les séances d'exorcisme des orishas se sont faites plus discrètes. La position officielle s'est apaisée. Pour ce pasteur de l'Eglise Universelle au temple d'Iguatemi, à Salvador, qui souhaite rester anonyme : "Chez nous, il est interdit de parler mal des autres religions. Ici, les fidèles travaillent pour faire le bien. Nous n'avons rien contre les autres religions. Mais il est écrit dans la Bible que les fidèles doivent adorer un seul dieu, et il n'y a pas d'autre dieu que Jésus."

Le prosélytisme intensif de l'Eglise Universelle, des pasteurs comme des fidèles, s'explique par un dogme universaliste, comme l'explique une fidèle d'une cinquantaine d'années qui arpente l'immense temple d'Iguatemi pour discuter avec les fidèles et renforcer leur foi : "Nous sommes convaincus que Jésus reviendra sur Terre, mais pas avant que tout le monde croie en son règne". Quitte à employer la manière forte pour faire rentrer les âmes égarées dans le droit chemin.

Des préjugés ancrés dans l'histoire brésilienne
Si ces persécutions perdurent dans un pays laïc, qui défend la liberté de culte et la diversité religieuse, c'est qu'elles trouvent un écho dans la diabolisation qui a toujours visé le candomblé, depuis l'époque de la christianisation des esclaves. Comme le rappelle Baba Pecê, dirigeant du terreiro Casa de Oxumaré : "Les fidèles du candomblé ont dû résister contre vents et marées pour pouvoir pratiquer le culte des orishas depuis les débuts, depuis les temps de l'esclavage. Ce sont les esclaves africains qui ont importé le candomblé au Brésil. Et depuis le début, cette religion a souffert de préjugés, de discriminations et d'intrusions dans ses lieux de cultes."

Alors que le candomblé est dépénalisé depuis 1976, une large part de la population brésilienne continue de lui accorder une réputation sulfureuse. Pour Baba Pecê, "on entend des choses horribles sur les terreiros, on dit qu'on y tue des enfants, on y tue des gens : c'est faux, le terreiro ne fait rien d'autre que les accueillir."

Le moment charnière du candomblé
En effet, difficile de nier le rôle structurant du candomblé dans des communautés souvent modestes de Salvador et de la

région de Bahia. Andeison, 21 ans, fréquente le terreiro du quartier populaire de Brotas depuis 11 ans : "Le candomblé m'apprend à mener ma vie. Il m'a montré le chemin pour tout". Le rôle de "ciment de la communauté", selon les mots de Baba Pecê, se vérifie à travers des ateliers de capacitation professionnelle, des cours de danse, de musique et de couture qui visent à donner un futur à des jeunes parfois en risque de marginalisation. Le culte accueille toutes les personnes, même en difficulté, sans poser de questions.

Aujourd'hui, les cultes afro-brésiliens sont à un moment charnière : après une quarantaine d'année dans la légalité, la Fédération des terreiros leur a permis d'accéder, en théorie, à la reconnaissance et à la protection d'une religion officielle. D'où des ambitions nouvelles, selon Leonardo, 19 ans, un autre fidèle du terreiro : "Nous avons le projet de créer une faculté de théologie de la religion africaine dans le terreiro pour protéger et uniformiser les théories, et transmettre le savoir des anciens de manière fidèle. Nous avons aussi des projets sociaux, avec des cours de capoeira, de couture?"

Une religion qui entretient le secret
Pour le moment, les sollicitations de subvention du terreiro doivent surmonter des préjugés, car, pour Baba Pecê, "dès qu'on est en face de responsables qui contrôlent ces ressources, ils doutent énormément de nos capacités, de notre bonne foi, de notre responsabilité sociale. Ils n'ont pas confiance, tout simplement". Ces retours incitent à la prudence du côté des adeptes des cultes afro-brésiliens. Même si les années sombres de la répression sont loin derrière, la religion continue d'entretenir un certain secret. Les "candomblecistas", comme on appelle les fidèles, n'abordent le sujet de leur religion que lorsqu'ils sont en terrain sûr. Bien que des lieux de culte acceptent les curieux d'un soir, beaucoup vivent leur foi dans la discrétion (ce qui explique les sous-estimations à chaque recensement) et une certaine réticence à parler aux journalistes persiste.

Alors que la conquête de nouveaux adeptes n'a jamais été de mise, le public du candomblé apparaît de plus en plus métissé, et atteint de plus en plus de membres de la classe moyenne qui recherchent une expérience de foi authentiquement brésilienne. Un juste retour des choses, selon Antoniel Alaide Bispo, secrétaire général de la Fédération nationale du culte afro-brésilien : "Pendant des siècles, quand les noirs ont été amenés ici, ils ont dû adopter le catholicisme. A Salvador, si le peuple n'avait pas été converti par les Portugais, la religion afro-brésilienne serait aujourd'hui dominante."

Matthieu GAGNOT (www.lepetitjournal.com - Brésil) jeudi 26 février 2015

Légendes photos : Les mères-de-saints déposent des offrandes à la déesse de la mer selon le rite du candomblé, Salvador de Bahia,  2012 (Photo 1) / Baba Pecê, babalorixa du terreiro Casa de Oxumaré, Salvador de Bahia (Photo 2) / Marta dans son terreiro Mae Marta de Iansa, quartier de Santo Antonio, Salvador de Bahia (Photo 3) / Antonio Alaide Bispo, secrétaire général de la Fédération nationale du culte afro-brésilien, Salvador de Bahia (Photo 4) / Temple de l'Eglise Universelle dans le quartier d'Iguatemi, Salvador de Bahia (Photo 5) / Les fidèles du terreiro Casa de Oxumaré en pleine procession sur l'avenue Vasco de Gama, Salvador de Bahia (Photo 6) / La foule assistant au Jour de Iémanja en 2012, Salvador de Bahia (Photo 7)

- Lire l'article original sur le blog de Matthieu Gagnot

- Lire notre article sur le candomblé

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Publié le 25 février 2015, mis à jour le 25 février 2015
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