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PIERRE-LOUIS LAMBALLAIS - "Le Brésil ne sait pas ce que sont les pompiers volontaires"

Écrit par Lepetitjournal Rio de Janeiro
Publié le 8 décembre 2016, mis à jour le 9 décembre 2016

Travaillant dans l'informatique, ce Rennais de 56 ans est également sapeur-pompier volontaire à Brasilia depuis 2010. Ayant fait le constat que le Brésil ne s'appuyait que sur ses 70.000 pompiers militaires pour se protéger, il a lancé le projet d'ouvrir des casernes de sapeurs-pompiers volontaires à travers le pays. Entretien.

Lepetitjournal.com : Parlez-nous de votre parcours, comment êtes-vous arrivé au Brésil ?
Pierre-Louis Lamballais :
Mon activité principale, c'est la programmation (développement informatique). Parallèlement à cela, j'étais sapeur-pompier volontaire dans un petit village à côté de Laval (Mayenne). En 2003, j'ai commencé à m'intéresser à des feux assez particuliers appelés "feux de locaux" (connus sous le nom de flashover). J'ai traduit pas mal de documents anglais et j'ai ouvert un site (flashover.fr) pour les y déposer. En 2007, j'ai été invité par le SPF Intérieur belge (équivalent du ministère de l'Intérieur français) pour donner cours aux Sapeurs-Pompiers Belges, ce que j'ai fait pendant un peu plus de trois ans. En 2008, une officière du CBMDF (pompiers militaires de Brasilia) est venue suivre mon cours en Belgique. J'ai ensuite donné cours au CBMDF en août 2008 et en avril 2009. Je me suis marié avec cette officière, qui s'appelle Marina, en 2010 et depuis je suis donc à Brasilia.

Comment est né ce projet d'ouvrir des casernes de sapeurs-pompiers volontaires au Brésil ?
Pour comprendre ce projet, il fait se baser sur les chiffres européens ou américains. En France, pays 13 fois plus petit que le Brésil, il y a 260.000 sapeurs-pompiers : 10.000 sont militaires (Paris et Marseille), 250.000 sont "non-militaires" dont 200.000 sont volontaires. Tous (militaires, non-militaires et volontaires) agissent à partir de casernes, ont le même uniforme, savent faire la même chose. Simplement, dans les petites villes, le nombre d'interventions est faible, donc on ne peut pas payer des gens à ne rien faire. Il y a donc des volontaires. C'est le cas dans tous les pays du monde qui ont un niveau de sécurité correct. Aucun pays ne peut se protéger uniquement avec des professionnels, car le coût serait trop élevé. Au Brésil, il n'y a que 70.000 pompiers militaires. Il y a bien des "bombeiros civil", mais du point de vue français, ils ne sont pas "sapeurs-pompiers" mais "SSIAP", qui est le nom donné aux agents de sécurité incendie dans les magasins. Avec Marina et quelques autres amis (des militaires et des non-militaires), nous avons donc monté l'ANSB (Association nationale des Sapadores-Bombeiros) avec comme but de monter des casernes de volontaires. Nous avons choisi l'appellation de Sapadores-Bombeiros, comme au Portugal, car nous ne sommes pas militaires, mais nous ne sommes pas non plus "bombeiro civil". Dans notre association, nous avons des gens de tous bords, conscients de ce besoin.

Combien de pompiers manque-t-il au Brésil ?
En termes de nécessité, si nous calculons en proportion du territoire et de la population, une protection correcte du Brésil nécessiterait 200.000 pompiers militaires et 800.000 volontaires. Aux Etats-Unis, il y a environ 1,2 million de sapeurs-pompiers par exemple. On a ainsi calculé qu'il fallait 25.000 casernes (il y en a 7.000 en France) pour accueillir ces 800.000 volontaires.

Comment se passe l'organisation d'une caserne avec des volontaires ?
Le temps consacré aux interventions est très faible. Le rapport du député français Georges Ginesta a montré qu'elles ne

représentaient que 14% du temps de travail. A Brasilia, la ville n'est protégée à un instant donné que par 10 à 12% de l'effectif total du service incendie. Le reste de l'activité est consacré aux achats, formation, écriture des cours, vérification des poteaux incendies, etc. Or, si ceci est acceptable pour des agents du service public, pour les volontaires, cela ne fonctionne pas car s'ils ont du temps pour les interventions, ils n'en ont pas trop pour le reste. Mais s'il n'y a pas le reste, les interventions sont impossibles à réaliser... Nous avons donc analysé cela pour aboutir à la conclusion que si nous considérons que les interventions occupent 15% de l'énergie, nous constatons que les 85% restants peuvent être répartis en deux groupes : les activités devant obligatoirement être réalisées sur place (vérifier un poteau incendie, former le personnel...) et celles pouvant être réalisées "autre part" (achat des uniformes, écriture de cours, conception d'application pour la gestion des poteaux incendies...). L'énergie nécessaire à une caserne se divise donc en 15% d'activité opérationnelle, 15% d'activité locales (hors opération) et au minimum 70% d'activité hors opérationnelle, mais non locale. Nous avons donc décidé qu'à Brasilia, nous nous occuperions de ces 70% : nous réalisons les achats d'équipement, la recherche sur ces équipements, la création des cours, leur rédaction, création des outils pédagogiques, etc.

Vous avez également développé un système informatique pour ces casernes?
Oui, pour la liaison avec les casernes, j'ai développé un gros système informatique auquel tous les volontaires ont accès via Internet. Le système a une  capacité suffisante pour gérer 25.000 casernes et un million de volontaires. Chaque caserne y gère les RH, les véhicules, les équipements, les formations, la planification, etc. La liste des fonctionnalités est énorme. C'est le résultat de trois ans de développement à temps plein avec l'énorme avantage que je suis à la fois programmeur et sapeur-pompier ce qui permet d'avoir un système parfaitement adapté aux besoins. A cela s'ajoute un autre système actuellement en cours de développement, qui tourne sur tablette Android : ce système reçoit les appels des témoins d'accidents, détermine la localisation (GPS), calcule la distance avec les casernes et appelle les volontaires de celle qui est la plus proche, en fonction des disponibilités du personnel et des engins.

Comment va se dérouler la mise en place de votre organisation ?
C'est la partie la plus difficile et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, le Brésil ne sait pas ce que sont les pompiers volontaires et il y a donc une incompréhension. Ensuite, nous savons qu'au Brésil, tout le monde prétend faire plein de choses, mais les réalisations sont rares. Il s'en suit que lorsque nous présentons le projet, personne n'y croit et même n'imagine que cela puisse se faire. Nous ne recevons donc aucune aide. A ceci s'ajoute le fait qu'une caserne passe par deux étapes : la mise en place elle-même, puis le maintien. Or, si les volontaires sont aptes à faire le maintien, ils ne sont pas aptes à la création. S'il faut trouver un local, trouver de l'aide pour avoir des camions, cela ne se fait pas. Et en fin de compte, la caserne reste dans un lieu "prêté par un ami", avec tout le matériel que nous pouvons fournir, et il est important, mais sans le matériel que nous ne pouvons pas fournir et que les volontaires ne cherchent pas. Il s'en suit une démotivation de leur part et rien ne se fait.

Quelle solution envisagez-vous ?
La solution vers laquelle nous nous dirigeons est un concept de "mobi-quartel" : nous débarquons avec tout le matériel et nous restons sur place pour recruter. Si cela ne marche pas, nous repartons avec tout notre matériel et nous tentons autre part. En fin de compte, nous supprimons la partie "création" pour commencer directement sur la partie "maintien". Or, si actuellement nous avons des uniformes, des casques, des tenues de feu, des équipements pour la désincarcération (accident de la circulation), etc., nous n'avons pas de véhicules. Il nous manque donc une certaine quantité d'équipement pour nous permettre cette action de "mise en place avec tout le matériel" et en termes d'aide, certaines choses sont difficiles. Par exemple, il n'est pas possible d'importer du matériel d'occasion au Brésil si un matériel équivalent y est fabriqué. Résultat, impossible de faire venir de France des engins incendie. C'est très gênant car de nombreux services européens seraient d'accord pour nous donner des camions.

Vous avez donc lancé un appel aux dons, à quoi vont-ils servir ?
Les équipements pour les "bombeiros" sont très chers. On opte pour de la recherche locale, mais c'est compliqué car le niveau technique est  faible et surtout peu fiable. On fait fabriquer nos casques à São Paulo, nos uniformes à Brasilia, les bottes dans le Minas Gerais. Nous allons certainement ouvrir un atelier de soudure ici, entre autres pour fabriquer des échelles de 18 mètres dont nous avons eu les plans en France. Voilà pourquoi une aide matérielle ou financière serait la bienvenue. Si 50% des Français du Brésil nous donnaient 10 reais par mois, cela nous ferait environ 100.000 reais pas mois... Inutile de dire que ce serait largement suffisant.

Propos recueillis par Corentin CHAUVEL (www.lepetitjournal.com - Brésil) vendredi 9 décembre 2016

- Voir le site de l'ANSB et faire un don

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Publié le 8 décembre 2016, mis à jour le 9 décembre 2016

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