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LEA GARCIA - "Orfeu Negro a marqué l’histoire des acteurs noirs au Brésil"

Écrit par Lepetitjournal Rio de Janeiro
Publié le 10 septembre 2014, mis à jour le 26 février 2015

Elle ne voulait pas être comédienne, mais écrivain. Abdias do Nascimento, fondateur du Théatre expérimental du noir (TEN) et un temps compagnon de Léa Garcia, en a voulu autrement, la poussant sur les planches brésiliennes. A l'occasion de la projection d'Orfeu Negro, son premier film, au Cinemaison de la Maison de l'Europe de Rio, elle s'est confiée lundi au Petitjournal.com sur ce monument du cinéma franco-brésilien.

Lepetitjournal.com : Orfeu Negro a été projeté aux élèves du lycée Molière, c'est important pour vous qu'il soit montré aux jeunes générations ?
Léa Garcia :
Oui, parce qu'il a été réalisé il y a déjà longtemps, en 1959, et il porte en lui un héritage. C'est un film ancien, mais avec beaucoup d'énergie, de vigueur et de vibration. C'est aussi une oeuvre très poétique que j'aime revoir parce qu'il sauvegarde la mémoire du carnaval de l'époque. Aujourd'hui, nous avons un autre carnaval.  

Le casting a été un véritable événement à Rio, comment avez-vous été choisie ?
Il y a eu des annonces dans les journaux, les magazines, et cela a créé une grande mobilisation parmi les jeunes de l'époque. C'était particulier parce qu'ils cherchaient des acteurs noirs et il y en avait bien moins qu'aujourd'hui. La production a alors publié des croquis des deux personnages principaux, Orfeo et Eurydice, pour sélectionner les plus ressemblants. Pour ma part, je voulais jouer Mira parce que je l'avais interprétée au théâtre, même si le personnage du film est différent. La Mira de la pièce est plus dramatique. Mais quand Marcel Camus a vu Lourdes de Oliveira, elle correspondait parfaitement à ce qu'il souhaitait, elle était si belle et sculpturale, elle avait le physique du rôle. C'est alors que j'ai découvert le personnage de Serafina qui n'existait pas dans la pièce. J'ai ainsi postulé pour ce rôle, observant les autres candidates en tentant de prendre un peu de chacune d'entre elles, et j'ai obtenu le personnage.

Quels souvenirs gardez-vous du tournage d'Orfeu Negro ?  
Cela a été un plaisir pour nous tous. Nous étions tous très jeunes, avec la détermination et la volonté des débutants, et l'équipe de production française était très amicale. L'assistant de Marcel Camus nous réveillait tous les matins en chantant Manhã de Carnaval (l'un des morceaux de la bande originale, ndr) au téléphone. Cela me faisait tant rire ! Il y avait aussi une très bonne entente avec l'équipe brésilienne qui était majoritaire à la technique (son, image, etc.), ce qui donnait ainsi une harmonie merveilleuse, comme une grande famille.

Le réalisateur est français, les acteurs et l'histoire brésiliens, est-ce au final plus un film français ou brésilien ?
Je crois qu'il y a un peu des deux. Par exemple, la scène où Mira emmène Orfeo chez le cartorio pour se marier, cela est très français parce qu'ils y vont seuls tous les deux alors qu'au Brésil, un mariage implique vraiment toute la famille. Mais cette coproduction est vraiment bien faite parce que l'intention de l'équipe française était de montrer Rio de Janeiro comment elle était à l'époque. Quand on voit les gens danser sur le bateau qui arrive de Niteroi ou bien dans les tramways, c'est tout à fait réaliste, nous dansions dans les transports ! Le vendredi du carnaval, tout le monde était dans la rue en train de s'amuser, jetant du parfum, des confettis et des serpentins avant que cela ne soit interdit. Le film montre vraiment bien l'ambiance de l'époque.

Le film est une adaptation de Orfeu da Conceição, une pièce de Vinicius de Moraes dans laquelle vous avez joué. Quelle version préférez-vous ?
Ce sont deux modes d'expression artistique différents et les deux ont joué un rôle très important dans ma carrière. Au théâtre, je jouais un autre personnage, Mira, avec une interprétation différente, plus dramatique, tandis que dans le film, je joue Serafina, un rôle comique. Puis la pièce de théâtre ne montre pas Rio comme le film qui possède une photographie magnifique de la ville. Les décors de la pièce avaient été dessinés par Oscar Niemeyer, mais la mise en scène était plus concentrée, plus dense.

Mais vous n'avez pas du tout aimé votre performance dans le film à l'époque?
Oui, tout le monde riait en voyant mes scènes à l'avant-première parce qu'elles étaient comiques, mais moi je pleurais à chaudes larmes. Et Marcel Camus me consolait en me glissant : "Pourquoi fais-tu cette tête mon ange ? Tout le monde rit parce qu'ils aiment ton personnage !"

Quelle place a Orfeu Negro dans l'histoire du cinéma brésilien ?
C'est compliqué, les Brésiliens ne se sont pas appropriés le film à l'époque parce qu'il s'agissait d'une coproduction étrangère (franco-italo-brésilienne, ndr). Ils avaient ce ressentiment du fait que l'actrice principale était américaine, mais aussi parce que tous les acteurs étaient noirs et cela a été pris comme du racisme alors que ce n'est pas du tout la réception qui a eu lieu à l'étranger. Ce n'était pas du tout l'intention non plus de Vinicius de Moraes, qui a transposé le mythe d'Orphée dans les favelas, donnant l'opportunité à un élément brésilien qui n'était pas vu fréquemment de cette manière d'avoir un espace dans la cinématographie brésilienne. Puis il faut rappeler aussi qu'Orfeu Negro a fait partie à la fois du Cinema novo brésilien et de la Nouvelle vague française, tout comme il a été un précurseur de la bossa nova avec la bande originale de Luiz Bonfa et Tom Jobim.

Le film a été important pour les acteurs brésiliens noirs ?
Oui, logiquement. Orfeu Negro a marqué notre histoire et nous essayons encore aujourd'hui de donner au noir une plus grande place dans l'audiovisuel brésilien, mais un noir qui ne serait plus dans les stéréotypes. Et pour cela, il faut aussi lui donner les clés, il faut des réalisateurs noirs pour montrer leur réalité. Les noirs américains font leur cinéma, pourquoi les noirs brésiliens ne pourraient pas non plus offrir leur regard ? Sans avoir besoin de parler de racisme ou de sortir le drapeau de la négritude.

Il y a eu un Orfeu plus récent (1999), réalisé par Caca Diegues, qu'en avez-vous pensé ?
J'ai un tout petit rôle dedans. C'est une transposition dans la société actuelle, dans un morro bien plus violent, avec sa réalité plus dure, le trafic de drogue. Le film est bien moins poétique que l'original. Il est vrai qu'en 1959, il n'y avait pas ces fusillades, ces trafics de drogue dans les favelas, c'était bien différent d'aujourd'hui.  

Où en est votre carrière à l'heure actuelle ?
Les gens croient que je suis à la retraite parce qu'ils ne me voient plus à la télévision, mais je n'ai pas arrêté ! Je fais encore beaucoup de cinéma, devant et derrière l'écran, j'écris notamment des scénarios. Je cherche actuellement des fonds pour réaliser un scénario que j'ai écrit, une adaptation de trois contes d'auteurs brésiliens noirs. 

Propos recueillis par Corentin CHAUVEL (www.lepetitjournal.com - Brésil) jeudi 11 septembre 2014

- Lire notre compte-rendu de la projection d'Orfeu Negro à la Maison de l'Europe de Rio

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Publié le 10 septembre 2014, mis à jour le 26 février 2015

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