Très attendu, comme tous les ans, le Festival du film français vous offre une sélection à couper le souffle et une programmation qui devrait permettre à tous d’en profiter pleinement.
Traviata, my brothers and I (Mes frères et moi) de Yohan Manca
Adapté de la pièce de théâtre « Pourquoi mes frères et moi on est parti… » de Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, ce film est le premier long métrage de Yohan MANCA. Il a été présenté dans la section "Un certain regard" à Cannes 2022.
Nour a 14 ans. Il vit avec ses 3 frères et sa mère, dans le coma, dans un appartement d’un quartier populaire, en bord de mer, dans le sud de la France.
Les grandes vacances commencent, Nour subit le poids d’une famille sans parents. Ses frères adultes se démènent chacun à leur façon pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur mère en soins palliatifs à la maison. Des personnalités très différentes, des trafics en tout genre, il y a des tensions mais aussi beaucoup d’amour.
Quand Nour, contraint d’effectuer des travaux d'intérêts généraux dans son collège, est attiré par le chant de Pavarotti qui s’échappe d’une des classes, toute sa vie va changer. Il rencontre Sarah, une chanteuse lyrique qui anime un cours d’été, une révélation pour cet adolescent des quartiers populaires.
Improbable pour un jeune de banlieue mais Nour connait bien la Traviata, son père chantait cet opéra à sa mère. Depuis, il la veille et lui passe régulièrement cette musique pour adoucir son coma. La connexion se fait instantanément, Sarah repère un certain potentiel et encourage Nour à venir assister à ses cours.
Pas si simple, Nour se débat entre toutes ses obligations et pressions familiale.
Ce film est touchant mais jamais mielleux, le contexte social est rude mais pas dramatique, les rapports entre les frères sont parfois violents mais ils restent unis, chaque situation est dédramatisée.
Yohan jongle entre réalisme et poésie, les quatre frères sont attachants, le jeune acteur Maël Rouin Berrandou (Nour) est charmant et plein d’avenir quant à Judith Chemla (Sarah), elle excelle dans un personnage entier et passionné. Elle est toutefois moins convaincante en cantatrice.
L’art pourra t’il extraire Nour du déterminisme des quartiers populaires ? Allez voir ce film, c’est un vrai plaisir.
Cette critique est déjà parue au mois de décembre car j’avais eu la chance de voir ce film au Lotterywest film festival à Sommerville.
Goliath de Fréderic Tellier
France, professeure de sport le jour, ouvrière la nuit, milite activement contre l’usage des pesticides. Patrick, obscur et solitaire avocat parisien, est spécialiste en droit environnemental. Mathias, lobbyiste brillant défend les intérêts d’un géant de l’agrochimie. Ces trois personnes, trois destins, qui n’ont rien en commun mais vont se rencontrer, s’affronter sans concessions.
Efficace, le film est structuré pour nous présenter trois perspectives face à un problème de taille : un des pesticides les plus vendus s’avère être cancérigène et a occasionné la mort d’une agricultrice.
Gilles Lellouche est le gentil avocat qui défend tout d’abord la compagne de l’agricultrice décédée puis les activistes, pas nécessairement pleinement convaincus à la cause, il est néanmoins sensible au malheur des gens et voit là une occasion de se faire une réputation.
Emmanuelle Bercot se bat parce que son époux se meurt d’un cancer occasionné par les traitements de pesticides utilisés par son voisin agriculteur. Elle est prête à tout sacrifier pour son combat.
Pierre Niney incarne le lobbyiste, intelligent, cynique, agressif et sans vergogne, il est tout simplement diabolique. Rien ne l’arrête ou ne le déstabilise.
Goliath ne ménage pas les émotions pour produire son effet. Même si Frédéric Tellier ne raconte ni ne montre rien de nouveau, il va droit au but, déploie des propos forts et percutants, il met le spectateur sous une tension permanente.
Nous naviguons dans un univers manichéen, une bataille acharnée entre des idéalistes ou des victimes et une multinationale armée de lobbyistes détestables prête à tout pour étouffer la moindre affaire gênante.
C’est un film solide, informatif, rondement mené et très bien interprété. Du cinéma offensif visant à marteler un combat important pour l’avenir de nos enfants et de notre planète : le pot de fer contre le pot de terre.
Lost illusions (Les illusions perdues) de Xavier Giannoli
Lucien de Rubempré, jeune poète inconnu dans la France du XIXème siècle, tombe amoureux de la baronne Louise de Bargeton, marié à un vieux baron plus passionné par la chasse que par les arts. Ils s’enfuient tous les deux à Paris dans l’espoir de vivre leur amour librement et pour Lucien de se forger un destin littéraire. Très vite identifié comme n’appartenant pas à la noblesse, il est rejeté des salons et perd le soutien de son amour.
Livré à lui-même, le jeune homme naïf, va vite découvrir les dessous d’un monde qu’il croyait dédié à l’art. Seul, pauvre, affamé et humilié, Lucien, oubliant ses principes, écrira des critiques acerbes dans un journal de bas étage. Celles-ci vont lui valoir une certaine notoriété tant il manie bien le verbe.
Comme souvent avec les adaptations littéraires, on aurait pu craindre un fade et peu fidèle contenu. Bien au contraire, Xavier Giannoli a savamment centré le récit autour de la période parisienne et a eu aussi recours à un narrateur, qui par ce biais a donné aux spectateurs le contexte qui leur aurait manqué autrement. Ce narrateur était, je dois le reconnaitre un peu agaçant au début, mais on s’y habitue vite.
En deux heures et demie, Xavier Giannoli réussit à faire de ce récit une tragédie sociale où les « fake news », les canards de bas étages et pots de vins ont une consonance très actuelle.
Lors de son ascension médiatique, aveuglé par le désir de revanche et d’accession à la noblesse qui l’a humilié, Julien va se brûler les ailes. Il va connaître le succès, l’argent facile, les flatteries et va se laisser piéger par un sentiment d’impunité, les faux amis et un monde où l’argent du plus offrant a toujours raison.
Benjamin Voisin incarne le candide Lucien à merveille, son César est grandement mérité, il parvient à dégager une arrogance ingénue à la fois pathétique et touchante.
Autour de lui, les seconds rôles ne sont pas en reste, tous plus vrais que nature : Salomé Dewaels, Vincent Lacoste, Cécile de France, Xavier Dolan, Jeanne Balibar ou encore Gérard Depardieu donne vie à une jonchée de personnages. Et n’oublions pas la dernière apparition de Jean-François Stévenin dans un petit mais mémorable rôle, celui par qui les carrières théâtrales se jouent.
Une belle comédie humaine et adaptation de Balzac avec un casting éblouissant où les valeurs déontologiques sont corrompues par l’argent.