Sans le savoir, ce format s’est peut-être déjà glissé sous vos yeux lorsque vous scrolliez dans les transports en commun ou durant votre pause café. Ces séries ultra-courtes, pensées pour un visionnage sur mobile, nous viennent tout droit de Chine et s’imposent comme un nouvel écosystème audiovisuel. Entre innovation, rentabilité et addiction contrôlée, le phénomène des micro-dramas gagne du terrain et commence même à s’exporter en France et dans les studios Hollywoodiens.


Le marché chinois des micro-dramas
L’expression « micro-drama » aussi appelée “duanju” en chinois désigne des séries découpées en dizaines d’épisodes allant de une à cinq minutes grand maximum. Conçues pour le format vertical et la consommation mobile, elles s’inscrivent dans la continuité des vidéos courtes popularisées par TikTok ou Instagram Reels.
Derrière l’apparente légèreté du format se cache une industrie florissante. En 2024, le marché chinois des micro-dramas a généré 50,44 milliards de yuans, soit près de 6,9 milliards USD, selon le China Netcasting Services Association et le secteur a progressé de 34,9 % en un an.
Le phénomène s’appuie sur des plateformes dominantes : Douyin (TikTok), Kuaishou, Tencent Video ou iQIYI, auxquelles s’ajoutent des applications dédiées telles que DramaBox, ReelShort ou GoodShort. Certaines de ces productions atteignent déjà plus d’un milliard de vues.
La mécanique est bien rodée : des intrigues simples, des rebondissements toutes les 60 secondes puis un cliffhanger à la fin de chaque épisode. Les utilisateurs peuvent regarder gratuitement les premiers épisodes, puis doivent payer pour débloquer la suite ou visionner des publicités. Ce modèle du « pay-per-drama » s’avère particulièrement lucratif : selon le cabinet iResearch Consulting, les revenus du secteur pourraient doubler d’ici 2028, pour dépasser 14 milliards USD rien qu’en Chine.
Hollywood et la France reprennent le genre
Longtemps perçu comme une curiosité venue de Chine, le micro-drama trouve aujourd’hui sa place sur les marchés occidentaux. Aux États-Unis, ce marché à déjà généré plus d’un milliard de dollars de revenus cette année. Le lancement du studio californien MicroCo, né de la coentreprise entre Cineverse et Banyan Ventures, symbolise cet engouement : son équipe, issue de Showtime Networks et d’ABC Entertainment, travaille au premier studio américain entièrement dédié à ce format.
Ce n’est pas la première fois que l’industrie hollywoodienne teste le format court. L’échec de Quibi en 2020, malgré 1,75 milliard de dollars investis, persiste encore dans les mémoires. Mais en Chine, les producteurs de micro-dramas ont adopté une stratégie inverse : des productions légères, tournées en quelques jours, pour un budget moyen compris entre 15 000 et 300 000 dollars.
La France commence elle aussi à s’y intéresser. La start-up StoryTV, fondée par Alexandre Perrin et Adrien Cottinaud, a lancé la première plateforme francophone dédiée, diffusant chaque mois plusieurs mini-séries originales. Le service revendique environ 4 000 utilisateurs gratuits et 200 abonnés payants, selon ses fondateurs. Parallèlement, des applications internationales comme ReelShort ou Netshort figurent déjà dans le top 20 des téléchargements de l’App Store France. Les producteurs européens voient là une opportunité : celle de créer à moindre coût et d’expérimenter de nouvelles écritures audiovisuelles, adaptées à une génération qui consomme l’image en continu sur son smartphone.
Une nouvelle économie de l’attention
Si la croissance du format est indéniable, elle interroge sur la nature même du rapport au récit. Dans ces fictions découpées au scalpel, chaque demi minute vise à déclencher un pic de dopamine : un cri, une gifle, une révélation, puis le générique. L’attention devient marchandise.
Cette économie du temps court repose sur une logique d’addiction contrôlée, calibrée pour retenir le spectateur dans une boucle émotionnelle et payante. Derrière la simplicité des intrigues, les plateformes exploitent une mécanique de monétisation sophistiquée : micropaiements, publicités intégrées, placements de produits en masse.
Reste à savoir comment les créateurs occidentaux s’approprieront ce format. La question n’est pas seulement celle du modèle économique, mais aussi celle du sens : comment raconter autrement dans un monde où deux minutes suffisent pour captiver, ou lasser.
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