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SIMON LEYS - La connaissance d'un grand sinologue contre l'ignorance maolâtre

Écrit par Lepetitjournal Pékin
Publié le 5 janvier 2015, mis à jour le 6 janvier 2015

Pour démarrer cette nouvelle année sur de bonnes bases, lepetitjournal.com propose à ses lecteurs de revenir sur le travail incontournable du grand sinologue belge Simon Leys, décédé l'été dernier. Un retour sous la forme d'un diptyque complémentaire, avec un premier volet consacré à son legs politique pamphlétaire, et un second volet sur l'historien de l'art passionné qu'il a d'abord été.

« Le plus grand essayiste de langue française des cinquante dernières années » selon le philosophe Jean-Claude Michéa, « l'expert qui a pourfendu les illusions meurtrières des maoïstes occidentaux » pour Pierre Assouline? Les hommages qui ont suivi le décès, à Canberra, de Simon Leys (cf photo ci-dessus), né Pierre Ryckmans, sont à la hauteur de son héritage incontournable. Le sinologue laisse derrière lui une oeuvre référence sur la Chine. Indigné par l'engouement de son époque autour de Mao de la part des médias et de l'intelligentsia parisienne, il décide de prendre la plume pour décrire la réalité de la Révolution culturelle (1966-1976) dans Les habits neufs du président Mao, publié en 1971. L'intellectuel belge, emporté par le cancer à l'âge de 78 ans le 11 août dernier, avait pour lui une profonde connaissance de la langue et de la culture chinoise, et « une intransigeance morale absolue » (Michéa) qui lui ont permis d'adopter une démarche empirique, insensible à d'hypothétiques effets de mode. Il s'est ainsi imposé comme La figure qui a opposé la réalité des faits aux oeillères de la maolâtrie et de tous les discours idéologiques.

Invité par la Chine

Il eut son premier contact avec la Chine en avril 1955, à 19 ans. Il est invité avec une délégation d'étudiants belges, pendant un mois, par le gouvernement communiste. C'est une pratique récurrente de la Chine à l'époque pour embellir son image internationale. Comme le rappelle le journaliste et sinologue belge Philippe Paquet dans La Libre Belgique, ce séjour « déclencha la passion d'une vie » et le poussa à partir à Taïwan, « nanti d'une modeste bourse du gouvernement de Chiang Kai-shek ». C'est là qu'il épousa Hanfang et c'est au gré de nombreux séjours sur l'île de Formose, mais aussi à Singapour et Hong-Kong (à partir de 1963) qu'il devint expert en littérature et peinture chinoises, consacrant en 1970 au peintre Shitao, sa thèse de doctorat en histoire de l'art, déposée à l'Institut belge des Hautes Etudes chinoises.

C'est d'abord depuis Hong Kong que Simon Leys sera « témoin de la réalité atroce de la terreur maoïste », comme il le dit dans l'émission Apostrophes, évoquant le souvenir de cet homme assassiné sur le pas de sa porte en 1967 par des hommes de main de Mao, après s'être moqué du Grand Timonier dans une émission de radio. C'est depuis la colonie britannique qu'il quittera ses domaines de prédilection, l'histoire de l'art et la littérature classique, et amassera une documentation prolifique sur la Révolution culturelle, épluchant ici les articles de presse, recueillant là les témoignages de réfugiés, qu'il consignera dans des rapports à destination du consulat de Belgique. La somme de ces rapports deviendra en 1971 Les habits neufs du président Mao.

D'un conte danois à la Chine de Mao

Le titre fait bien sûr référence au conte de 1837 du Danois Hans Christian Andersen, Les habits neufs de l'empereur. Jean-Claude Michéa, dans une interview pour Bibliobs du 31 août 2014, livrait un résumé éclairé de ce conte. « Deux artisans tailleurs proposent à l'Empereur de lui confectionner les habits les plus somptueux qui soient - habits qui auraient, de surcroît, le pouvoir miraculeux de demeurer invisibles aux yeux de quiconque se révèlerait être un mauvais sujet (ou, si on préfère une  formulation plus moderne, aux yeux de quiconque manifesterait des tendances "réactionnaires" et "politiquement incorrectes"). Comme on s'en doute, ces deux tailleurs sont, en réalité, de simples charlatans et les magnifiques habits qu'ils font semblant d'avoir tissés sont dépourvus de toute existence réelle.»

Et Jean-Claude Michéa de poursuivre : « Lors du défilé destiné à présenter au peuple ces magnifiques habits neufs, tous les sujets de l'Empire vont donc se trouver confrontés à une situation à la fois paradoxale et très délicate pour eux. Chacun peut en effet voir par lui-même que le roi est nu, mais - du fait du dispositif idéologique habilement mis en place  par les deux tailleurs - c'est en croyant simultanément qu'il est le seul à le voir. Chacun est donc contraint - si du moins il ne veut pas courir le risque de passer pour un dissident potentiel - de prétendre officiellement qu'il voit autre chose que ce qu'il voit réellement (c'est là, vous le reconnaîtrez, la meilleure définition possible d'un idéologue en mission, qu'il s'agisse pour lui de «démontrer» que le niveau des élèves monte ou que celui de la délinquance baisse). »

Simon Leys, dans le cadre de l'émission Apostrophes (capture d'écran).

La Révolution culturelle : un écran de fumée

Par le titre de son livre, et cette intertextualité avec le conte d'Andersen, Simon Leys revendique en fait le rôle de l'enfant. Voilà ce qu'il expliquait dans l'émission Apostrophes sur cet enfant : « Pas un expert, mais un être naïf qui dit l'évidence sous ses yeux. Il n'y a pas une seule idée neuve ou originale dans ce que j'écris, ce n'est pas un travail de spécialiste. Seulement des évidences de bon sens, connues de tous les Chinois ». Il s'attache donc à relever toutes ces évidences, avec un talent littéraire certain et une volonté didactique. Surtout, il accepte de voir la réalité, ce que ne font ni les idéologues, ni ceux qu'il a appelé « les maoïstes mondains». Aux antipodes des salons de Paris, il témoigne d'une Révolution culturelle « qui n'eut de révolutionnaire que le nom, et de culturel que le prétexte tactique initial ». Simon Leys montre que cette Révolution culturelle n'est en réalité qu' « une lutte pour le pouvoir, menée au sommet entre une poignée d'individus, derrière le rideau de fumée d'un fictif mouvement de masses ». Minutieusement, le sinologue belge nous dévoile les rouages de l'outil qui a permis à Mao de reconquérir le pouvoir au sein de son propre parti.

Plus tard, Simon Leys devint l'attaché culturel de l'ambassade de Belgique à Pékin, et put donc continuer ses observations empiriques sur le terrain, qu'il retranscrivit dans d'autres écrits comme Images Brisées (1976), ou Ombres chinoises en 1981. Accusé d'être le suppôt de la CIA, il poursuivit son combat contre « ce phénomène dont il ne se lassait pas de s'étonner, à savoir la cécité des Sartre, Foucault, Barthes, Kristeva, Sollers, alors qu'une partie d'entre eux avaient séjourné en délégation d'intellectuels invités en Chine en 1974 tandis qu'une purge sanglante s'y déroulait », rappelle Pierre Assouline sur le site internet la République des livres. Simon Leys lui-même écrira dans un autre de ses ouvrages, la Forêt en feu : « Académicien astucieux, politicien en vacances, dominicain en délire, dame patronnesse de la révolution, gourou sexologue, marchand de pommades, prophète, diplomate retraité, grand couturier que sais-je? Quiconque croit être quelqu'un à Paris s'est senti dans l'obligation à l'un ou l'autre moment de sa carrière, de nous livrer les visions que lui avait inspiré le rituel pèlerinage à Pékin. » Quand, plus tard, les événements en Chine lui donneront raison face à ses détracteurs, Simon Leys était lui déjà parti en Australie enseigner la pensée chinoise.

Son travail finalement reconnu à sa juste mesure, Simon Leys fut élu en 1990 à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, devenant le seul sinologue au sein de la prestigieuse institution. Mais Simon Leys, fidèle à lui-même, refusa en revanche l'invitation de l'Académie française, « dont il redoutait les contraintes mondaines » selon Philippe Paquet, conservant ainsi l'esprit libre qui avait toujours guidé sa plume.

Joseph Chun Bancaud (lepetitjournal.com/pekin) Mardi 6 janvier 2015

Pour retrouver le second volet de notre duo d'articles sur Simon Leys, cliquer ici.

lepetitjournal.com pekin
Publié le 5 janvier 2015, mis à jour le 6 janvier 2015

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