


"Cédric, Jacques, Dominique, Arnaud…" un appel dans le car, à l'aéroport de Pékin, vendredi 17 mai. Tout le monde est là, malgré le retard d'un des deux avions au départ de Shanghai. Le bus démarre sous les applaudissements bon enfant, ce pourrait être une colonie de vacances. "Ca rigole pour l'instant, ça rigolera moins demain" prévient l'un d'entre eux, et oui, car le lendemain, c'est le marathon de la Grande Muraille, et sur les 43 personnes dans le bus, 38 coureurs vont tester la résistance de leurs mollets et de leur mental sur les marches irrégulières du mythique symbole chinois.

5164 marches
La course est organisée depuis 1999 par l'agence de voyage danoise Albatros travel, qui propose aussi des parcours à travers le Pôle Nord, la Birmanie ou l'Afrique du Sud. 300 participants avaient inauguré la première édition. Aujourd'hui, face au succès, le nombre est limité à 2600 coureurs, dont 60% venus en Chine juste pour le marathon, et 40% venus de Chine (beaucoup d'expatriés, peu de Chinois). Au choix à la carte des 54 nationalités présentes, le marathon classique de 42 km, le semi-marathon de 21 km ou le parcours fun de 7,5 km. Pour tous, 1200 m de dénivelé, et pour les plus courageux, il faudra gravir un total de 5164 marches. Résultat : un marathonien qui mettrait 4h à Paris aura besoin de 2h de plus pour finir celui-ci.

"Le début du parcours est le plus difficile, avec 8 à 9 km de montée et descente sur la Grande Muraille. Les 13 km suivants du semi se font ensuite à travers les villages", explique Marc de la Bretèque. Et les marathoniens font un tour de plus, inversé, finissant donc à nouveau par la Grande Muraille. Pour la 4ème année, Marc, qui travaille pour SDV (n°1 français du transport et de la logistique, du groupe Bolloré), organise le voyage depuis Shanghai. Le profil type de ses compagnons de route ? "Des cadres supérieurs d'entreprises françaises, entre 40 et 60 ans." Que des hommes, ou presque. Deux femmes relèvent aussi le défi. "C'est un bon groupe. Le noyau dur se réunit déjà tous les samedi matins pour une course dans la concession française, et nous avons désormais deux objectifs dans l'année : les marathons de Shanghai en décembre et de la Grande Muraille en mai." Programme auquel pourrait se rajouter le Grassland extreme, en Mongolie intérieure, en juillet.

La hantise de l'abandon
Et pour tous, l'objectif est simple : "d'abord finir la course". Le temps ne vient qu'après, en bonus. Et puis si vraiment tout se passe bien, finir premier de sa catégorie d'âge sera la cerise sur le gâteau. Mais le plat principal est copieux, et il faut d'abord penser à éviter l'indigestion, comprendre l'abandon. Ce qu'a connu Marc l'année dernière sur le semi, alors qu'il avait avant déjà fini premier de sa catégorie. "Je suis parti trop vite, c'était une erreur fatale". Kadriye Kurt, 34 ans, travaillant à PSA, et une des deux seules femmes du groupe à courir, a elle aussi dû renoncer en pleine course, cette année, à cause d'un problème aux genoux. Cas de force majeure qui ne l'a pas empêchée de profiter "de la meilleure partie de parcours". Si Kadriye garde le sourire, l'abandon, qui mêle sentiments de frustration et de honte, est en général l'échec à absolument éviter.

Il y a pourtant toujours un moment dans la course où le coureur y est confronté. Quand bien même il se prépare depuis 3 mois, a mangé 2h avant le départ, s'hydrate tout du long et dispose de sucres lents (bananes) et rapides à disposition, "il y a toujours un mur, autour des 15 km pour le semi, ou des 30 km pour le marathon", explique Thomas Fer, 38 ans, dont 3 ans en Chine, où il travaille pour Veolia. Il sait de quoi il parle, c'est cette année le seul du groupe à avoir tenté les 42 km. "Là, ça tape dans le dur, c'est un vrai trou noir. C'est insupportable, on ne peut plus penser à autre chose, juste à mettre un pied devant l'autre. On tient seulement au moral." Pire encore, au marathon de la Grande Muraille, la course se termine par une ascension de marches redoutable. "Il n'est pas rare de voir les candidats pleurer à ce moment, au bout de l'effort, pour évacuer le trop plein d'émotions, et repartir. "

L'arrivée, une euphorie partagée
Mais c'est dans cette douleur que l'on touche aussi la beauté de ce sport. A ce moment, il n'y a pas de plaisir, mais des émotions intenses qu'il est rare de vivre. A la fois gloire de l'effort et quête de soi-même, les marathoniens sont ces explorateurs des limites du corps humain, qu'ils repoussent par la conquête de l'esprit sur le corps. Et dans ce type d'aventures, la victoire est d'en sortir vivant en coupant la ligne d'arrivée. Vient alors la récompense. "L'arrivée est toujours fabuleuse, explique Marc de la Bretèque. Une douce euphorie envahit le coureur, et donne la patate toute la semaine". Un bonheur partagé par tous les marathoniens, les uns pour les autres, les uns avec les autres. Impossible de ne pas remarquer l'ambiance incroyable d'un tel événement, comme le note Xavier Bernard, le benjamin du groupe, 15 ans, pour sa première sur le parcours fun, qu'il avalera en un peu plus d'une heure. L'esprit est au partage, car face à l'effort, ces marathoniens sont tous les mêmes, il n'y a pas de différence de sexe, d'âge ou de nationalité. Face à la même souffrance, cet autre, c'est aussi moi, alors même si l'on ne se connaît pas, on se reconnaît dans l'autre.

Une course chère
Le budget n'est pas donné pour avoir la chance de courir sur l'une des 7 nouvelles merveilles du monde. "Il faut compter, avec l'hôtel et le transport depuis Pékin, près de 250 euros. Alors que ce n'est que 60 euros pour le marathon de Paris, ou 30 euros pour celui de Shanghai." Mais c'est le prix à payer pour accéder au merveilleux site de Huangyaguan (passe de la Falaise jaune), dans la municipalité de Tianjin. Pour Alexandre Bondon, 42 ans, depuis 6 mois à Shanghai, c'est d'ailleurs bien le site qui lui a donné envie de participer à son 1er semi-marathon, remplaçant au pied levé, il y a seulement 15 jours, un de ses camarades. "J'ai bondi sur l'opportunité, on m'avait parlé de cette course dès que je suis arrivé sur Shanghai".

D'ailleurs, parmi les 180 Français de la course, 42 coureurs sont venus depuis la France, pour une semaine de tourisme et de sport, avec le club marathon de France, de l'agence Thomas Cook, pour 2500 euros de budget. Parmi eux, des habitués des marathons, comme Hubert de Bortoli, 1er compatriote cette année en 3h55'02, ou le couple Massard, venu fêter leurs 40 ans de mariage. Eux aussi apprécient particulièrement le site. "Quand tu n'es pas bien, il suffit de regarder autour de toi. On n'est pas n'importe où quand même, ça remotive". Le parcours permet aussi de passer par de petits villages qui apportent son charme à la course. Si les villageois ne comprennent pas trop ce qui se passe, ils apprécient le spectacle, assis sur le pas de leur porte, à l'image d'un Tour de France. Et les enfants encouragent les marathoniens, courant sur 200m avec eux, ou tapant dans leurs mains. Grâce à la géniale organisation de Marc, les sportifs dorment dans un de ces villages, juste à côté de la ligne de départ. "C'est pour ça aussi que je reviens", explique aussi Thomas Fer. Il est en effet très appréciable de ne pas avoir à faire les 2h de route depuis Pékin le matin de la course. Car le lever est déjà matinal, à 6h du matin.

Un sextuple champion du monde
Cette année, une marque française s'est particulièrement distinguée. Le team Salomon a vu ses trois coureurs terminer main dans la main, en battant facilement le record du marathon de 9mn, en 3h09'22s. Idem côté femme avec un record abaissé à 3h32'12s. Il faut dire que le temps était idéal pour la performance, nuageux autour de 18°C. Surtout, le team est spécialiste du trail running, au degré d'exigence encore supérieur, et parmi les vainqueurs figure d'ailleurs Jonathan Wyatt, Néozélandais sextuple champion du monde de course en montagne. Comme le reconnaissait Gregory Vollet, manager français de la team, c'est un super coup de communication pour la boîte qui travaille sur l'ouverture de circuits en Chine.
Si les pros de la team Salomon sont encore frais, les autres coureurs sont clairement marqués par l'effort. Après les grandes foulées ou le petit trot de la course, le monde semble tourner au ralenti. Beaucoup marchent pieds nus, ne supportant plus le carcan de leurs chaussures. Juste le fait de retirer son sac à dos est un geste calculé. Et pourtant, il y a fort à parier qu'une grande partie de ces coureurs seront encore là l'année prochaine, à l'image du Danois Henrik Brandt, présent depuis la première course. En attendant, dans la navette qui rentre à Pékin, c'est le silence du repos, bien mérité, des guerriers.
Joseph Chun Bancaud (lepetitjournal.com/pekin) Mardi 21 mai 2013







