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Opéra de Pékin - La Guilde du Huguang

Dans tout Pékin, il n'y a probablement qu'un seul lieu lié à la fois à l'opéra de Pékin et au Kuomintang. La Guilde du Huguang est ce dénominateur commun, et offre l'occasion pour les non-initiés de s'adonner aux plaisirs de l'opéra de Pékin, à l'endroit même où Sun Yat-Sen créa le parti du Kuomintang en 1912.

acteurs de lopera de pekin Guilde du Huguang photo JCBacteurs de lopera de pekin Guilde du Huguang photo JCB
Écrit par Lepetitjournal Pékin
Publié le 12 août 2025, mis à jour le 17 août 2025

La Guilde du Huguang tire son nom de l'ex-province du Huguang, qui a ensuite été démembrée entre Hunan et Hubei. Mais les immigrés venus de cette ex-province dans la capitale avaient gardé leurs liens, et ont créé, en 1807, ce lieu dans lequel ils pouvaient se retrouver pour manger ou regarder les pièces de l'opéra de Pékin. C'était aussi une auberge d'accueil pour les jeunes bacheliers descendus de la province pour tenter les concours d'entrée dans l'administration impériale. La maison est donc au tout début de son histoire le témoignage d'une solidarité provinciale qui a probablement disparu depuis.

Sur les pas de Sun Yat-Sen

Le lieu a ensuite périclité pendant qu'au même moment se délitait l'Etat Qing (1644-1911). La Guilde du Huguang est d'ailleurs directement lié à cette transition d'un empire à une république, puisque c'est en ses murs que Sun Yat-Sen, futur premier président de la République chinoise, a créé le parti du Kuomintang. Un article du défunt journal ???? shuntian shibao, en date du 27 août 1912, témoigne de cette création. Ensuite, la maison fut un temps occupée par des roturiers, puis transformée en une usine de cahiers. Mais en 1986, la municipalité de Beijing, aujourd'hui propriétaire, décida de préserver cet héritage et d'en faire à nouveau une scène pour l'opéra de Pékin.
En 1997, après rénovations, le bâtiment ouvrait de nouveau ses portes au public, avec un petit musée dont le visiteur fera vite le tour mais qui permet de voir des jolis costumes et des photos de Chen De Lin, maître qui a enseigné son art à Mei Lan Fang, seule des 4 plus grandes artistes féminines de l'opéra de Pékin à avoir chanté à la Guilde du Huguang.

Plonger deux siècles en arrière

L'intérêt réside surtout dans la salle de spectacle. Une belle grande salle carrée dont la structure en bois date de 1830. Plongé dans ce lieu, on se laisse alors aisément aller à imaginer une scène d'antan : le public, venu en nombre, est là, en petits groupes, assis autour de nombreuses tables où leur sont servi thé, guazi (graines de tournesol) cacahuètes et pâtisseries. Aux deux étages se trouve la belle gent, qui avec cette position élevée, a une meilleure vue, un meilleur son et aussi plus d'intimité.

Les gens discutent fort. Plus il y a de bruit et d'animation, mieux c'est, même pour les acteurs, qui doivent pouvoir de toute façon, avec la puissance de leur voix, couvrir les discussions de la salle. De temps en temps, après un passage particulièrement réussi, des spectateurs lâchent un tonitruant "?!" (bien!) pour marquer leur appréciation, en plus des applaudissements. Il y a d'ailleurs tout un savoir pour lâcher son cri dans le bon timing et ne pas déranger la performance. Seule l'expérience garantit de ne pas se tromper. Le spectateur débutant se contente donc judicieusement d'attendre la fin d'une performance pour tenter le coup et ne se laisse pas tenter par les courts silences de l'orchestre.

Multiples codes de couleurs

Enfin, ça c'était l'ambiance qui existait avant. Maintenant, l'esprit est plus proche d'une salle de spectacle européenne, avec sous-titres en anglais, même si thé et gourmandises sont encore de mise. Si vous êtes chanceux, vous aurez peut-être à vos côtés un fin connaisseur, comme Ghaffar Pourazar, anglais d'origine iranienne, responsable des relations internationales du musée. Vingt ans qu'il étudie et pratique l'art de l'opéra de Pékin, c'est donc un formidable décodeur pour le spectateur néophyte. En commençant par l'entrée des artistes, qui se fait selon un pas spécial "pour donner l'impression de flotter, car ils représentent des esprits, ou des personnages de haut rang".

Les couleurs ont aussi leur signification, pour dépeindre les personnages. "Le costume bleu marque le caractère d'une personne têtue, la longue barbe rouge montre qu'elle n'est pas du coin mais dans d'autres pièces, elle identifie le monstre. Le local sera plutôt grimé en noir, gris, blanc." Puis soudain apparaissent deux nouveaux acteurs. "Ce sont des wenchou, l'équivalent de clowns. Normalement, ils ont le nez blanc, mais pas ici, probablement car ils ont un autre rôle après et n'ont pas le temps de changer de maquillage, explique Ghaffar Pourazar. Il peut parfois durer plus d'une heure."

Orchestre traditionnel

Le décor est minimaliste. Les objets, peu nombreux, sont symboliques : ici, une table et  là, un bâton pour représenter un cheval. "Ce sont les acteurs qui concentrent tout l'intérêt et peignent la scène avec leurs gestes". Les histoires sont aussi assez simples. La première parle d'un seigneur de guerre qui pour se venger d'un ennemi, lui vole le cheval impérial dont il a la garde pour que la fureur de l'empereur lui tombe dessus. Le deuxième tableau raconte l'histoire d'une fille à la recherche d'une herbe marine pour soigner sa mère malade. Le dernier est plus martial. Une sirène s'est mariée avec un humain, bafouant la loi du ciel. S'ensuit une bataille entre soldats célestes et peuple de l'eau, l'occasion de beaucoup d'acrobaties et de jonglages.

L'orchestre, dix musiciens environ, permet de se familiariser avec les instruments traditionnels. Il s'est agrandi au fil des années. On y trouve par exemple le Jinghu, instrument de musique similaire au Erhu, en plus aigu et spécialement dédié à l'opéra de Pékin. Il y a aussi le Bangu, petit tambour autrefois aussi utilisé pour indiquer l'heure. Son rôle, tel un chef d'orchestre, est de garder le tempo. Ou encore le Dize, flute traversière généralement en bambou. Tout cela forme une bande-son inhabituelle pour l'oreille non avertie, mais prise par le spectacle, elle s'habitue vite à une musique qui accompagne harmonieusement les mouvements des acteurs.

Il faut par contre bien choisir son jour pour venir à la Guilde du Huguang. Pour peu qu'il n'y ait pas grand monde, et un public surtout étranger, la salle aura alors un air déprimant. Il vaut donc mieux, pour une fois, venir en période de vacances. Le lieu reste en effet un théâtre touristique, cher (180 Y min), non destiné aux spécialistes, sachant que ces derniers sont de moins en moins nombreux, y compris parmi les Chinois, dont les jeunes générations délaissent cet art difficile d'accès. Mais pour les néophytes, il serait dommage de se priver de cette jolie introduction à l'opéra de Pékin, dans un bel écrin chargé d'histoire.

Joseph Chun Bancaud 

Informations pratiques :
adresse : 3, Hufang Lu, district de Xuanwu
tarifs : 180 Y, 280 Y, 380 Y, 680 Y
de 18h30 à 19h30 tous les jours
accès en bus : 14, 15, 66, 70, 113, 603
métro : station Caishikou ligne 4, sortie sud-est, puis descendre l'avenue Luomashi Dajie vers l'est jusqu'au croisement avec Hufang Lu
tél : 8355 1680

lepetitjournal.com pekin
Publié le 17 août 2025, mis à jour le 17 août 2025
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