Il y a quelque chose que j’aime par-dessus tout aux Pays-Bas, c’est faire du vélo. Entendons-nous bien, j’adorais aussi faire du vélo en France, mais ce n’est pas tout à fait la même chose. Je lis régulièrement qu’aux Pays-Bas, on trouve plus de vélos que d’habitants. Je veux bien le croire.
Le vélo a toujours fait partie d’une tradition familiale. Pas en tant que cyclistes nous-mêmes, mais en tant que spectateurs du Tour de France.
Dans ma campagne profonde, avec pour seule amie la télévision, le Tour de France était LE rendez-vous de l’été pendant lequel mon oncle et moi encouragions à tue-tête nos héros préférés. Je ne sais pas ce qui était à l’origine de cette passion. Le sport en lui-même, sûrement pas. Mon oncle n’était pas sportif et moi, encore moins. Alors quoi ? Le côté populaire peut-être, le côté France des terroirs… Pour moi, regarder ces hommes (hélas, peu de cyclisme féminin pendant mon enfance, Jeannie Longo n’était absolument pas médiatisée à cette époque), donc regarder ces hommes se dandiner sur leur vélo pendant des heures tout en enchaînant les cols de première catégorie, était synonyme de dépassement de soi. Pas par ni pour le sport, donc, mais en tant qu’être humain. Et puis, regarder le Tour de France, c’était aussi quelque part voyager par procuration. Une énorme liberté que procurait une simple bicyclette.
Le cycliste préféré de mon oncle, et donc le mien, était, contre toute attente, un Néerlandais. Joop Zoetemelk. L’éternel second. Comme ma capacité d’identification aux personnes que j’admirais était particulièrement développée, j’avais du coup intégré les Pays-Bas dans mon imaginaire personnel… Puis, j’ai grandi et j’ai oublié.
Aux Pays-Bas
Quarante ans plus tard, je repense souvent à cette époque lorsque j’arpente les Pays-Bas à vélo. Bien sûr, je vais beaucoup, mais alors beaucoup moins vite que Joop Zoetemelk, Bernard Hinault et Miguel Indurain, mais la magie de ces étés insouciants de mon enfance demeurent.
Lorsque je suis arrivée aux Pays-Bas, j’avais peur de me mettre au vélo. Tous ces gens qui s’agglutinaient dangereusement sur les pistes cyclables aux heures de pointe… je me disais « mais, je n’y arriverai jamais à démarrer au quart de tour comme ils le font lorsque le feu passe au vert ». À l’époque, j’habitais Haarlem Noord et la piste cyclable le long de la Rijksstraatweg avait pour moi des allures d’autoroute. À Paris, j’étais abonnée et inconditionnelle du Vélib’. Un jour, j’ai failli avoir un accident et j’ai arrêté. J’avais peur que cette expérience se répète aux Pays-Bas.
Et puis je trouvais les vélos particulièrement chers. Et bien sûr, il fallait que j’en trouve un à ma taille (non, je ne vous dirai pas combien je mesure). Bref, vous l’avez compris, je ne parvenais pas à me décider.
Et un jour, je l’ai vu. C’était lui. C’était mon futur vélo. Enfin, elle, ma future bicyclette. Hybride, comme moi. Entre vélo de ville et vélo sportif. Pas trop cher (d’occasion forcément). Marque allemande, donc gage de qualité (j’aurais préféré une marque néerlandaise, mais bon …), rouge, à ma taille. Parfait.
Depuis, je suis la première à démarrer au quart de tour lorsque le feu passe au vert et je me suis parfaitement adaptée à mon nouveau mode de transport. Toutefois, je demeure une cycliste contemplative, sans aucune prétention sportive, et mon activité préférée, c’est bien sûr, partir avec mon vélo à la découverte des Pays-Bas.
En vélo vers le Veluwe …
Il faut dire qu’ici, tout est facile, tout est fait pour le cycliste. Les pistes cyclables, un code de route particulièrement avantageux, possibilité de mettre le vélo dans le train. Voyager seule en tant que femme est, de plus, ultra sécurisé. Alors, du coup, la cycliste contemplative que je suis prend son vélo à la moindre occasion pour faire des périples de plusieurs jours. Don Quichotte avait Rossinante ; moi, j’ai mon vélo et mon sac à l’arrière. Je fais des étapes courtes, 40-50 km maximum et j’en profite pour humer l’air tout en me prenant quelques averses de temps en temps, visiter des villes, des villages, des musées, loger chez l’habitant tout en pratiquant le néerlandais. Un vrai dépaysement si simple et si accessible. Une énorme liberté avec une simple bicyclette.
Tous les étés, je fais un séjour dans le Veluwe, une région du centre des Pays-Bas. J’ai trouvé un camping génial, enfin pour moi du moins. C’est un camping où l’alcool est interdit. Donc pas de fêtes. Donc c’est calme. Je loue une huisje, une petite maison, et je reste là quinze jours, pénarde.
Le Veluwe est une région fascinante. Zone boisée, une des seule des Pays-Bas, elle réserve des paysages absolument étonnants et variés. Espèce de steppes désertiques, petites collines, parc naturel protégé, immenses étendues de bruyère, musée d’art moderne, patrimoine industriel et historique, possibilités infinies de promenades, il y a vraiment beaucoup à faire. La bruyère en fleur est un must en été et le site de Posbank, près d’Arnhem, est un incontournable quand on aime le vélo. Le problème, c’est que Posbank, ça monte. Oui, oui, aux Pays-Bas. Véritable Alpe d’Huez du Veluwe, enfin, du moins pour moi, c’est presque trop difficile à vélo, il me faudrait un entraînement sportif que je n’ai pas. Ce n’est pas si haut que ça en fait, mais je ne sais pas, le dénivelé sans doute.
Tous les ans, donc, je vais dans le Veluwe, parfois même plusieurs fois par an, mais le séjour de fin août est un rituel qui est en train de devenir immuable. Ce rituel commence par le voyage aller, que je réalise totalement à vélo depuis chez moi. Environ 120 km sur trois-quatre jours, toujours par une route différente, même si avec le système des knooppunten, forcément, les chemins se croisent et je commence à bien connaître certains secteurs. J’aime la sensation de vacances qui s’installe dès que j’ouvre le local à vélo, puis, le voyage dans le voyage débute …. Puis l’arrivée, enfin. Les retrouvailles avec les habitués du camping ; avec Ton, le gérant, qui parle un excellent français ; les nouvelles du coin, les loups qui commencent à proliférer, etc etc. Puis le repos et les visites diverses et variées. Et quinze jours plus tard, le retour par Apeldoorn, le vélo dans le train et en deux heures, je parcours ce que mon vélo et moi-même avons mis plusieurs jours à traverser. La forêt défile sous mes yeux, certains coins de sable et de pins me rappellent mes Landes natales, puis Amersfoort, Amsterdam et là, les vacances sont inexorablement terminées.
Épilogue
Il y a quelque temps, j’ai eu parmi mes étudiantes une jeune femme qui travaillait dans le secteur du cyclisme professionnel, en particulier féminin. Quelle coïncidence ! J’appréciais beaucoup de l’écouter parler de son expérience. Et la passion avec laquelle elle le faisait a ravivé en moi la flamme de l’enfant qui encourageait à tue-tête ses coureurs cyclistes préférés devant la télé, au fin fond de la France profonde et qui rêvait de découvrir le monde sur son petit vélo. Au même moment, je découvris que parmi les chaînes disponibles sur la télévision qui se trouve dans mon appartement, il y avait Eurosport, m’ouvrant ainsi un monde infini de possibilités télévisuelles. Un monde cycliste de possibilités télévisuelles. J’ai recommencé à regarder le Tour de France, comme au bon vieux temps. Mes héros préférés ne s’appellent plus Joop Zoetemelk, Bernard Hinault et Miguel Indurain, mais Annemiek van Vleuten, Marianne Vos et Demi Vollering, et comme le hasard n’a pas de limites, elles sont toutes néerlandaises. Sur les pentes de Posbank alors que je crache tous les excès de ma jeunesse et de mes vies antérieures en pédalant comme une forcenée sur mon petit vélo, je revois mon oncle en train de parler avec passion de ce coureur cycliste au nom imprononçable, l’éternel second, qui venait d’un pays du nord, plat et pluvieux.
Je dédie ce texte à mon oncle, Jean-Pierre dit Jeannot. Et à Celia, avec gratitude.