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Blog de Virginie: Pourquoi les Pays-Bas ?

L’expatriation n’est pas un concept anodin. Déjà, lorsqu’on décompose le mot, on a ce préfixe « ex », qui signifie « hors de » et « patri-ation ». Hors de la patrie. Hors de la terre du père, où l’on parle d’ailleurs souvent sa langue maternelle, à savoir la langue de sa mère. Bon, inclusif ou pas, le concept d’expatriation a à voir avec les racines, enfin, ses racines et surtout le déracinement. 

Virginie LacommeVirginie Lacomme
Virginie Lacomme
Écrit par Virginie Lacomme
Publié le 19 décembre 2023, mis à jour le 19 décembre 2023

Premier départ

 

Je me souviens encore du moment où j’ai fermé la porte de mon appartement parisien pour la dernière fois avant de venir m’installer, définitivement, aux Pays-Bas. La porte a claqué derrière moi, d’un coup sec et qui résonne encore dans ma tête. Puis, le vide en moi, une espèce de malaise diffus, je ne sais pas si vous avez connu ce type de sensation étrange au moment où vous avez quitté votre pays natal. Un mélange d’appréhension et d’excitation. Le carrefour où se télescopent deux injonctions existentielles : « N’y vas pas ! Vas-y ! » En boucle, 24 heures sur 24 dans mon cerveau. Bien sûr, c’est le « vas-y » qui a gagné. 

Pourtant, ce n’était pas ma première expatriation. À 19 ans, moi qui n’étais pratiquement jamais sortie de chez ma mère, me voilà cédant aux sirènes du pays le plus proche de mon lieu de naissance, l’Espagne. Dans les années 90, pas d’internet, pas d’euro, pas d’Espace Schengen. Juste une langue que j’avais apprise à l’université et que j’écoutais parfois sur ma petite radio FM et l’envie de découvrir le monde. Un monde assez réduit, finalement, à moins de 200 kilomètres de chez moi ; mais si différent, à la fois, si dépaysant. Je me souviens encore du moment où je suis descendue du bus pour me diriger vers ce qui sera le premier bar à tapas de ma vie, le premier d’une très longue série. Mon premier sandwich à l’omelette espagnole. Et l’impression que la langue que me parlait le serveur n’avait rien à voir, mais alors rien à voir avec la langue que j’avais apprise à l’université et que j’écoutais parfois à la radio. Et pourtant, c’était la même langue. Dehors, les sirènes hurlaient, l’ETA venait de commettre un énième attentat. 

Au total, je passai environ trois ans à travailler en Espagne, d’abord avec de longs séjours de quelques mois, les mois d’été, puis deux ans pleins. En fait, il ne s’agissait pas d’une réelle expatriation tellement je m’y sentais comme un poisson dans l’eau. C’était si proche à tous points de vue de mon lieu de naissance ! D’ailleurs, le concept d’expat n’existait pas, du moins pas dans les milieux que je fréquentais, exclusivement espagnols. 

 

Virée métropolitaine

 

Mon installation à Paris quelques années plus tard fut beaucoup plus problématique, un vrai choc culturel. Un vrai déracinement intérieur. Une expatriation interne. Être expat dans son propre pays, oui, pourquoi pas. Mais c’est vrai que quand on est provincial.e et surtout de la France profonde, arriver à Paris, c’est quelque chose. Pourtant, je parvins à m’intégrer aussi dans la vie parisienne et très bien, même. L’idée de revenir en Espagne me taraudait, mais à Paris, se trouvaient des tentations auxquelles il était bien plus difficile de résister. Moi qui rêvais de découvrir le monde, eh bien, cela tombait très bien parce que le monde était à Paris. Paris, ville-monde où vous êtes au Sénégal dans une rue, puis en Inde dans une autre. Paris se situe aussi au carrefour des lignes de train, de bus, d’avion et je ressentis le besoin de découvrir d’autres pays.

Un des premiers fut à Amsterdam. En 2000. Un souvenir agréable, très cliché, parce qu’à l’époque j’aimais faire la fête et j’ai effectivement fait la teuf à Amsterdam. Un souvenir agréable, mais embrumé. J’avais mis une semaine pour apprendre à prononcer correctement geldautomaat (guichet automatique), oui, oui, c’était des florins encore à l’époque. J’avais trouvé les gens sympas. Quelques années plus tard, je revins à Amsterdam pour accompagner un groupe de voyageurs mexicains que je devais guider dans la ville. C’était relativement facile pour moi, parce que j’avais étudié une partie de l’histoire des Pays-Bas pendant mes études hispaniques, eh oui, les Pays-Bas ont appartenu à l’Espagne. Mais jamais, ô grand jamais, je n’aurais imaginé qu’un jour, je me serais installée dans ce pays. 

 

À Amsterdam Noord (Photo: Virginie Lacomme)
À Amsterdam Noord (Photo: Virginie Lacomme)

 

L’Espagne me taraudait encore. Mais le temps avait passé. L’Espagne avait changé et moi également. Je ne savais pas bien comment donner une cohérence à ces centres d’intérêt qui m’écartelaient véritablement. Ce sont mes études qui donnèrent une certaine cohérence et permirent, indirectement, le dénouement de mon départ de la France. Pendant mon expatriation en Espagne, j’avais essentiellement travaillé et avais ainsi omis d’achever mes études. À Paris, je décidai de les reprendre en parallèle avec ma profession. Mais comme expliqué précédemment, mes centres d’intérêt avaient changé et j’eus beaucoup de mal à trouver un sujet de Master. Il fallait que ce soit un sujet hispanique, mais qui englobe le fait que dorénavant, j’habitais plus au nord et que finalement, je m’y sentais bien. Enfin, le sujet fut tout trouvé après des mois de recherches.

 

Pivot vers les Pays-Bas et leur histoire

 

Il se trouve que la bibliothèque de la Synagogue portugaise d’Amsterdam regorge de manuscrits en espagnol écrits par des Juifs qui ont fui le Portugal au XVIIe siècle pour se réfugier à Amsterdam. L’histoire est longue, elle commence en 1492. L’Espagne expulse ses Juifs d’Espagne, certains choisissent de se convertir au christianisme, d’autres fuient au Portugal où ils sont convertis de force au christianisme. Quelques générations plus tard, alors que les Provinces-Unies gagnent leur indépendance par rapport à l’Espagne, certains de ces nouveaux-chrétiens espagnols et portugais choisissent de se réfugier à Amsterdam où ils renouent avec le judaïsme et se reconvertissent à leur religion d’antan. Une histoire de déracinement, d’exil puis de retour à soi-même comme je les aime.

 

Intérieur Synagogue Portugaise, toujours éclairée à la bougie depuis le XVIIe (Photo: Virginie Lacomme)
Intérieur Synagogue Portugaise, toujours éclairée à la bougie depuis le XVIIe (Photo: Virginie Lacomme)

 

Pour moi, plonger dans ce travail fut une véritable expatriation intellectuelle. Non juive moi-même, tout ce que je savais de ce sujet provenait de mes études hispaniques et jamais, je n’avais envisagé le même sujet depuis des sources juives, ce qui constitua un certain défi en soi. Mais surtout ce travail me donna l’occasion de venir à Amsterdam vu que l’original du manuscrit sur lequel je travaillais s’y trouve. Un premier séjour d’un mois me fit prendre conscience que oui, les Pays-Bas étaient un pays très agréable et surtout très bien organisé. En 2015, la situation à Paris était chaotique, c’est le moins qu’on puisse dire et passer du temps à Amsterdam fut une véritable bouffée d’oxygène. C’est là que l’idée d’une nouvelle expatriation émergea. 

 

Le grand départ

 

« Mais Virginie, tu as plus de 40 ans, tu ne vas t’expatrier maintenant, c’est insensé » fut la phrase que j’entendis le plus à cette époque lorsque j’annonçai la nouvelle autour de moi. Je décidai de passer en mode sous-marin et de préparer mon expatriation sans rien dire à personne pour éviter ce genre de réaction très désagréable. J’avais sympathisé avec la bibliothécaire à Amsterdam et elle m’avait dit : « Tu es la bienvenue ici ». Je le pris au pied de la lettre et multipliai mes visites pour officiellement consulter des documents. Mais en secret, j’en profitais pour approfondir ma connaissance des Pays-Bas et commencer à chercher du travail, un logement. Depuis mes séjours dans les années 2000, Amsterdam avait bien changé et cela tombait bien parce que moi-aussi j’avais changé. Je n’avais plus besoin du mot geldautomaat, mais mes efforts de l’époque m’ouvrirent la porte à de nouveaux mots aux sonorités similaires : goedemorgen (bonjour), par exemple. 

Un jour, ce fut le jour et je me vois encore en train de fermer ma porte et l’entendre claquer derrière moi. Un moment d’hésitation, un mélange d’appréhension et d’excitation et dans ma tête, le chaos le plus total. « Vas-y, n’y va pas ». Il fallait pourtant y aller si je ne voulais pas rater mon train. Alors je me mis en route.  Alors quand on me demande pourquoi j’ai décidé de m’expatrier aux Pays-Bas … « c’est pour suivre ton mari c’est ça ? », je souris intérieurement et repense à toute cette histoire. De l’Espagne aux Pays-Bas, en passant par Paris et l’extraordinaire épopée des Juifs portugais d’Amsterdam, mes expatriations ont un fil conducteur finalement. 

L’autre jour, je me promenais à Amsterdam Noord et je vis un panneau de piste cyclable qui indiquait la direction d’Alkmaar. Cela eut l’effet d’une madeleine de Proust. Lors de mon séjour en 2000, j’étais déjà venue là et je m’étais dit : « Il faut que je revienne ici, louer un vélo, aller à Alkmaar pour le fromage puis poursuivre à Texel pour les phoques et les oiseaux ». Depuis, je travaille à Alkmaar et je suis allée observer les phoques et les oiseaux à Texel, et oui, parfois, je voyage à vélo. Avec mon vélo. Mais concernant mes voyages à vélo à travers les Pays-Bas, il faudra attendre le prochain épisode ! 
 

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