L’histoire du bagne en Nouvelle-Calédonie est longue et toujours omniprésente aujourd’hui. De nombreux bagnards, d’horizons différents, s’y sont croisés et certains sont restés, forgeant la société calédonienne. Si la mémoire de l’histoire du bagne a mis du temps à émerger, sa présence est aujourd’hui mise en avant partout sur l’île et préservée, afin de construire l’histoire locale.
Napoléon, initiateur du bagne en Nouvelle-Calédonie
L’histoire du bagne en Nouvelle-Calédonie commence le 2 septembre 1863, lorsque Napoléon III décrète le territoire comme lieu de transportation. Le 9 mai 864, l’Iphigénie arrive à l’île Nou après plusieurs mois de voyage. Les premiers arrivants sont les « Transportés », par une loi de 1854. Majoritairement condamnés à des peines de travaux forcés, de 8 ans à perpétuité, ce sont aussi les plus nombreux des trois catégories de bagnards. Ces Transportés sont majoritairement français, mais aussi maghrébins. Ils sont envoyés à l’île Mou, dans un centre pénitencier, qu’ils vont en partie construire et qui deviendra plus tard le quartier de Nouville, suite à la transformation de l’île en presqu’île rejoignant Nouméa.
On compte en tout 75 convois qui amèneront environ 21 600 immaculés au bagne. On peut retrouver dans ces convois le personnel du bagne, dont 600 membres proviennent de la métropole. La famille Lafleur, très influente en Nouvelle-Calédonie, provient de ces convois. Leur ancêtre Henri François Arthur Lafleur était surveillant militaire. Aujourd’hui présente dans de nombreux secteurs, de l’immobilier à l’imprimerie en passant par l’équipement paramédicale, la famille est aussi connue via l’homme politique Jacques Lafleur, un des chefs politiques historiques des non-indépendantistes et l’un des trois signataires de l’Accord Nouméa en 1998.
Une histoire du bagne colonial rythmée par celle de la métropole
Le deuxième groupe de bagnard était appelé les « Déportés ». Il était composé majoritairement de condamnés politiques ayant participé à la période insurrectionnelle de la Commune de Paris en 1871. Connus également sous le nom de « Communards », ils sont envoyés en Nouvelle-Calédonie à partir de 1872. Ils seront 4 250 à partir de la France métropolitaine pour les pénitenciers de l’île des Pins et de Ducos, une presqu’île dans un des secteurs urbains de Nouméa. On trouve chez ces Communards des personnalités connues de l’époque, comme l’institutrice et militante anarchiste Louise Michel, ou l’homme politique et journaliste Henri Rochefort. Si ces déportés obtiennent l’amnistie en 1880, plus de 30 familles décident de rester dans la colonie. Ils ne sont d’ailleurs plus les seuls déportés puisque les ont rejoint des participants à la révolte des Mokrani en 1871 en Algérie, la première grande insurrection contre la colonisation française, ainsi que les condamnés des insurrections qui vont suivre. Plusieurs centaines d’« Algériens du Pacifique » fondent des lignées calédoniennes importantes à Nessadiou et à Bourail, comme les Abdelkader. Un faible contingent de Tonkinois indépendantistes les rejoint également en 1931 suite à un attentat d’un hôtel à Hanoi.
La politique du bagne en Nouvelle-Calédonie touche aussi les récidivistes français, qu’on appelle les « Relégués ». Condamnés à partir de 1885, plus de 3 300 hommes et 457 femmes sont envoyés à Ducos, à l’île des Pins, à Prony ou à Boulouparis.
Les bagnards, main d’œuvre de l’administration pénitenciaire
Les bagnards s’avèrent être une grande aide au développement de la colonie et à son peuplement. Ils sont aussi envoyés pour lutter contre la révolte des kabyles en 1871, et sont utilisés pour la répression des kanak pendant la révolte du Grand Chef kanak Ataï en 1878. Peu à peu, le bagne se transforme en entreprise de main d’œuvre pour l’administration coloniale puis pour les sociétés privées, comme la Société Le Nickel créée en 1880. Une fois leur peine de travaux forcés écoulée, les bagnards doivent doubler leur peine dans des fermes pénitenciaires afin d’obtenir une terre en concession pénale à leur liberté. On relève 1 300 concessions attribuées dont la majorité sont à Bourail, La Foa, Farino, Ouégoa et Pouembout.
La présence du bagne en Nouvelle-Calédonie est peu à peu contestée, notamment par les colons qui subissent la concurrence de la main-d’œuvre et de l’administration pénitentiaire qui occupent les meilleures terres. Les derniers centres pénitenciers sont fermés en 1922 et en 1931.
Une histoire préservée et partagée
Après avoir longtemps été mise de côté, l’histoire coloniale néo-calédonienne fait surface dans les années 1970 avec la question de son héritage. Les années suivantes sont marquées par la reconnaissance d’un oubli des mémoires locales et leur ravivement. En 1970 est créée l’association « Témoignage du passé », dans le but de préserver le patrimoine hérité de la période coloniale et participe à la création de musées sur le sujet. Le passé bagnard est encore omniprésent par l’architecture notamment à Nouville, où l’ancien atelier de couture et de cordonnerie est transformé en théâtre (le Théâtre de l’Île). Les anciens ateliers sont maintenant le site du département de droit et d’économie de l’Université de Nouvelle-Calédonie. D’autres sites sont des fouilles archéologiques, comme l’ancienne boulangerie.
L’association « Marguerite » organise, quant à elle, des reconstitutions sons et lumières au Fort Teremba, un ancien pénitentier entre La Foa et Moindou. Le prochain se déroule cet hiver pour les calédoniens, du 12 au 19 juin 2021.
Aujourd’hui, impossible de comprendre la Nouvelle-Calédonie actuelle sans apprendre de son histoire. Le bagne, tout comme l’histoire coloniale, est une période importante qui a laissé sa marque dans la société calédonienne. Si vous vous baladez sur l’île, gardez les yeux ouverts pour apercevoir les vestiges de périodes et d’évènements historiques fondateurs.