S'ils ont quitté la Nouvelle Calédonie : la Nouvelle Calédonie ne les a jamais quittés. Éloignés pour quelques semaines ou plusieurs années, ils sont la preuve que l’on peut avoir des racines et des ailes. Partons ensemble à la rencontre de ces Calédoniens explorateurs, voyageurs, créateurs… Aujourd’hui j’ai RDV avec Isya Okoué Métogo, étudiante en 3eme année à Sciences Po Poitiers.
Isya a 20 ans. Elle est née en France et a déménagé en Nouvelle-Calédonie quand elle avait 6 ans avec ses parents et sa petite sœur. Ils habitent depuis au Mont Dore dans la région de Nouméa.
Isya a effectué toute sa scolarité en Nouvelle-Calédonie et a passé le concours de Sciences-Po (un peu par hasard) grâce à la Convention d'éducation prioritaire : un partenariat entre Sciences Po et les lycées en ZEP, dont le lycée du Grand Nouméa fait parti.
Elle a intégré Sciences Po en janvier 2018 via un module spécifiquement conçu pour les étudiants néo-calédoniens, entre la Maison de la Nouvelle-Calédonie, les Provinces et Sciences Po, dont le pôle Égalité des chances qui gère les conventions d'éducation prioritaire CEP.
L’éloignement et la mise en quarantaine de l’île pendant la COVID-19
A propos de son prochain retour Isya me confiait : « Je suis rentrée en Nouvelle Calédonie pendant l'été 2019 et je devais rentrer cet été comme chaque été, mais je n'ai pas pu et j'ai entendu dire que je n'allais pas pouvoir rentrer pour Noël non plus… donc je suis là ! Ma famille continue sa vie normalement, et comme en Nouvelle-Calédonie on est généralement comme dans une bulle toute l'année : ça ne leur change pas grand-chose ! »
Elle affirme que pour elle tout va bien même si elle n’a pas pu rentrer en Juillet / Aout : "Je ne suis pas non plus dans une situation à plaindre: ça va." Et point positif pour l'étudiante, la bourse de Nouvelle-Calédonie dont elle bénéficie est ininterrompue pendant les vacances.
Isya bénéficie d’une bourse de la province Sud spécifiquement pour les étudiants de Sciences Po qui sont sous Convention d'éducation prioritaire. C'est une bourse mensuelle sur 12 mois qu’elle complète avec une bourse du CROUS de France.
Il faut maintenant s’armer de patience pour pouvoir rentrer et retrouver ses proches.
Pourquoi la métropole ? Pourquoi Sciences Po?
En Nouvelle-Calédonie partir vers la Métropole est dans tous les esprits à l’âge des études supérieures, chacun est témoin des vagues successives de jeunes partants ou revenants de France riches de nouvelles expériences.
Isya ne prévoyait pas d’intégrer Sciences Po, elle ne connaissait d’ailleurs pas l’établissement. C’est sa professeur d’espagnol du Lycée qui l’a encouragé à suivre un atelier « Sciences Po ».
C’est seulement au bout de deux ou trois semaines de ce fameux atelier qu’Isya a compris que c'était en réalité une prépa pour tenter le concours d’entrée de Sciences-Po Paris !
« J’étais plus branché philosophie et littérature mais la procédure en elle-même et le travail sur les articles de presse que l'on m'a proposé pendant cette prépa m’ont beaucoup intéressé et j'y suis allée à fond ! ». Et elle a été acceptée!
Aujourd'hui en 3e année, Isya n’a pas une idée précise de ce qu’elle veut faire plus tard, mais elle se sait passionnée par les sciences humaines et sociales.
En tant qu’étudiante en sciences politiques, quelle vision du futur de la NC ?
La famille d’Isya vient de France mais ils n’ont pas une vie d'expatriés sur l’île. Ses parents sont arrivés en 2006 dans le but de s'intégrer à la culture calédonienne. Isya est elle-même métisse de par les origines africaines de son père. La mixité et l’intégration sont des thèmes qu’elle connaît bien.
La chose qui est la plus frappante quand je pense à la Nouvelle-Calédonie : c'est le découpage des communautés qui restent chacune beaucoup entre elles. Il n'y a pas énormément d'échange. C’est un pays qui est extrêmement riche avec des cultures différentes qui se croisent. Avec des particularités extrêmement intéressantes et beaucoup de diversité. Mais avec une présence des événements de l'histoire récente qui pèse sur la société.
Isya parle des événements des années 80-90 : « parce que les gens qui ont vécu cette période sont bien évidemment encore en vie et c'est un travail de mémoire à faire : c’est un lourd héritage. Aujourd'hui ça va un peu mieux mais je pense qu’il y a un gros défaut de l'apprentissage de l'histoire en Nouvelle Calédonie. »
Elle se souvient que quand elle était au lycée ou au collège, l'histoire de la Nouvelle-Calédonie était plutôt floue pour elle. Elle ne la connaissait que par ce que ses parents lui en avaient raconté, ce n’était pas quelque chose qui était enseigné à l’école.
Aujourd'hui l'instruction civique existe, et l’histoire récente de la NC y est enseignée.
A la recherche de son identité et la question de l’appartenance
J’ai longtemps pensé que je n'avais pas ma place dans les débats. Il y a une légitimité à avoir dans les discours et dans les positions qui se base sur la naissance, sur le temps que tu as passé en Nouvelle-Calédonie et sur ton implication personnelle (si tu as de la famille qui vient de là-bas) ...
Isya a deux parents nés en France, elle est elle-même née en France et elle s’est longtemps sentie peu légitime pour participer aux débats. Et n’ayant pas le droit de vote, elle ne peut pas prendre part, en tant que citoyenne, à la vie de son pays ; et ils sont beaucoup de jeunes dans ce cas.
Pour moi personnellement : la Nouvelle-Calédonie est mon pays. Même si j'ai conscience que ce n'est pas mon seul pays, je viens aussi de France et j’ai mes racines du Gabon… maintenant que je grandis ça va mieux : je me construis avec ça.
Aujourd’hui Isya se sent plus à l'aise quand elle affirme qu’elle vient de Nouvelle-Calédonie.
"En NC généralement quand on me demande d'où je viens on se réfère plus à la culture à laquelle on appartient plutôt qu’aux sentiment personnel d’appartenance."
Pour elle c’est difficile de dire en Nouvelle-Calédonie qu’elle vient de Nouvelle-Calédonie. On lui rétorque souvent « oui ok mais sinon tu viens d'où ? ».
C'est seulement en revenant en France il y a quelques années qu’elle a affirmé son appartenance comme un fait et une fierté, Isya le dit haut et fort : « Je me sens Calédonienne, je me sens appartenir à la Nouvelle-Calédonie ».
Référendum et Indépendance : « Nous sommes en train de vivre un moment historique »
Selon Isya, à l’heure actuelle, la Nouvelle-Calédonie est toujours une colonie française notamment au niveau des statuts.
En faisant Sciences Po et en étudiant le droit constitutionnel, elle sait maintenant sur quoi la Nouvelle-Calédonie est indépendante et sur quoi elle ne l’est pas.
« J'ai enfin pu comprendre ce que signifie “accéder à la pleine souveraineté” » me confie Isya.
A Sciences Po elle a beaucoup appris sur son île d’un point de vue historique, et compris comment ont été construits les accords de Matignon et de Nouméa. Elle a étudié les compromis qui ont été faits entre les indépendantistes et les loyalistes pour arriver à ces accords et finalement arriver à signer ces échéances de référendum.
Isya a toujours eu le sentiment d’une sorte de guerre entre indépendantistes et non indépendantistes, d’un clivage permanent. Avec le recul qu’elle a aujourd’hui en ayant quitté la « bulle » de la Nouvelle Calédonie et en étudiant à Sciences Po, elle prend conscience de l’ouverture offerte, et de la possibilité d’échanger avec des personnes du monde entier.
Elle savait qu’il y avait d’autres options que l'unique question du oui ou du non ; et ce qui l’intéresse le plus aujourd'hui est la question du développement et de l'après.
Tournée vers le futur : « Je suis pour l'indépendance »
Je suis pour l'indépendance. Il y a eu un calque du système français en Nouvelle-Calédonie qui n'était pas adapté à la société et maintenant on se retrouve avec des inégalités beaucoup trop fortes entre les communautés ce qui renforce encore plus ce côté colonisateur, même au niveau éducatif. Tout cela n'est pas adapté et c'est aujourd’hui l’occasion de remodeler la façon dont la société est faite pour le peuple calédonien.
Il y a quelques années Isya avait conscience des problèmes existants, mais elle n’avait pas conscience du nombre de possibilités qui existaient pour essayer de les régler.
En étudiant à Sciences-Po Poitiers, qui est le campus latino-américain, elle a appris beaucoup sur les cultures d'Amérique Latine, notamment la place qu'elles laissent à la nature dans la société et les droits qu’ont conservé les peuples autochtones dans cette partie du monde.
Beaucoup de ces pays sont dans des situations similaires à celles de la Nouvelle-Calédonie, pourquoi ne pas s’en inspirer ? Isya a réalisé que d’autres systèmes que le système capitaliste installé en Nouvelle-Calédonie sont possibles.
Avec les études que je fais je crois que je me sentirais lâche envers moi-même de ne pas rentrer au pays essayer de faire quelque chose pour ce pays.
Mais en même temps à 17 ans Isya a été très choqué : elle a reçu une lettre de l'Insee qui lui annonçait que sa demande de faire partie des listes électorales néo-calédonienne avait été refusé. Ca a été très marquant pour elle de se voir refuser de prendre part à la vie politique du pays auquel elle se rattache.
Elle a pendant longtemps cru qu’elle n'avait pas sa place dans les débats et qu’elle n'avait pas la légitimité à s'exprimer ou revendiquer quoi que ce soit.
A l'époque elle ne savait pas comment se positionner mais aujourd'hui elle aimerait beaucoup aider à la construction de son pays.
Messages de paix pour le futur
« On retrouve des deux côtés du oui et du non beaucoup de messages de paix pour construire un pays tous ensemble et ça fait du bien. » me confiait la jeune femme.
J’aime la vision d’Isya selon laquelle tout ce dont nous avons besoin aujourd'hui sont des messages d'union, de paix et de destin commun. Que ce sont derrière ces grandes notions que tout s’articule.
Le mot de la fin est pour Isya :
C'est avec plaisir que je donnerai au pays tout ce que j'ai appris pour qu'il se construise.