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« Barrage », la pièce de théâtre qui plonge au cœur des émeutes de Nouvelle-Calédonie

Écrite par l’ancienne journaliste Jenny Briffa, « Barrage » plonge au cœur des tensions calédoniennes de 2024. Entre fiction et réalité, la pièce interroge les fractures d’un pays en quête de dialogue. Après la métropole, elle sera jouée en 2026 sur le Caillou, là où tout a commencé.

L'affiche de « Barrage » et les comédiens Stéphane Piochaud et Laurence BoléL'affiche de « Barrage » et les comédiens Stéphane Piochaud et Laurence Bolé
« Barrage » et les comédiens Stéphane Piochaud et Laurence Bolé. Crédit : Jérôme Dominé
Écrit par Sherilyn Soekatma
Publié le 20 octobre 2025, mis à jour le 21 octobre 2025

 

Quand la Nouvelle-Calédonie s’embrase en mai 2024, Jenny Briffa est en métropole. Ce qui frappe la scénariste, au-delà des destructions, c’est la fracture humaine, la rupture du lien qui faisait tenir ensemble la société calédonienne. « Comment se relever de tout ça ? », s’interroge-t-elle. « Pas seulement sur le plan économique, mais surtout sur la question du vivre ensemble, qui est essentielle. »

Calédonienne, elle refuse de choisir un camp, si ce n’est celui du dialogue. Face à un pays qu’elle voit se déchirer depuis des années, elle ressent le besoin de mettre en mots ce qui divise pour réparer. Par le théâtre, elle veut faire comprendre à la métropole la complexité du territoire, et symboliquement, aider les Calédoniens à renouer entre eux : « Qu’ils puissent se dire des vérités, leur colère des deux côtés, mais aussi leur amour du pays. »

 

Jenny Briffa
 Jenny Briffa est formatrice, auteure et scénariste. Crédit : Marc Le Chélard

 

Mise en scène par Frédéric Andrau et interprétée par les comédiens Laurence Bolé et Stéphane Piochaud, Barrage raconte le moment où la Nouvelle-Calédonie a sombré dans la violence, au plus fort des émeutes de 2024.

 

 

Faire barrage… ensemble

Derrière le titre, Barrage, se cache un mot lourd de sens pour tous les Calédoniens. Pendant les émeutes, chacun faisait barrage pour protéger sa maison, son commerce, son quartier.

Dans la pièce, Marguerite, professeure kanak indépendantiste, et Kévin, enseignant caldoche loyaliste, font barrage pour protéger leur lycée des exactions. Ensemble, ils dressent un barrage, non plus contre l’autre, mais contre la haine. 

 

Les comédiens Stéphane Piochaud et Laurence Bolé sur scène
« Barrage » de Jenny Briffa avec Stéphane Piochaud et Laurence Bolé. Crédit : Jérôme Dominé

 

L’idée de Barrage est née d’une histoire vraie : « J’ai entendu parler d’un professeur indépendantiste qui, à Païta, s'était violemment opposé aux jeunes pour protéger un lycée », raconte Jenny Briffa.

 

« Protéger l’école, c’est protéger l’avenir. »

 

Dans ce geste de résistance commune, Barrage trouve sa plus belle image. Celle d’un peuple, capable, malgré tout, de se parler encore et de s’unir pour sa jeunesse : « Protéger l’école, c’est protéger l’avenir. » Une conviction qui résume l'esprit de la pièce.

 

Le théâtre comme tentative de dialogue

Jenny Briffa n’en est pas à son coup d’essai. Depuis ses débuts, l’ancienne journaliste écrit des pièces « argument contre argument », où deux voix s’affrontent sans jamais s’annuler. Avec Barrage, elle pousse cet équilibre à son paroxysme.

Avant ce drame inspiré des émeutes de 2024, la Calédonienne s’était déjà fait connaître pour une trilogie au ton plus comique : Fin mal barrés ! (2018), Fin mal géré ! (2020) et Fin bien ensemble ! (2022). Trois pièces dans lesquelles deux personnages, déjà prénommés Kévin et Marguerite, interrogent avec humour les enjeux des trois référendums sur l’indépendance du territoire.

Dans ce dialogue entre deux camps, la parole est symétrique, jamais moralisatrice. Le théâtre devient un espace où l’on peut, enfin, dire ce que l’on tait ailleurs : « À Nouméa, nous n’osons plus parler politique entre amis ou en famille, de peur de se fâcher. Barrage dit ce que nous n’osons plus se dire. »

Un équilibre assumé, mais qui lui vaut d’être tour à tour accusée de pencher d’un côté ou de l’autre : « Certains nous accusent d’être pro-indépendantistes, d’autres de défendre les loyalistes. Mais ce n’est ni l’un, ni l’autre. C’est un spectacle équilibré, et il faut attendre de le voir avant de juger. »

 

Barrage, vue par lepetitjournal.com

Le 16 octobre dernier, à la Manufacture des Abbesses, se tenait la cinquième représentation de Barrage. Sur scène, deux chaises seulement. Un choix minimaliste qui concentre toute l’attention sur les personnages et leurs mots. Elles incarnent le face-à-face, la possibilité du dialogue entre indépendantistes et loyalistes, mais aussi l’univers scolaire que Marguerite et Kévin défendent comme ultime rempart contre la haine.

 

Les comédiens Stéphane Piochaud et Laurence Bolé sur scène
Marguerite (Laurence Bolé) et Kévin (Stéphane Piochaud) défendent leur lycée dans « Barrage ». Crédit : Jérôme Dominé.

 

Au-delà du texte, la bande-son recrée le tumulte des émeutes, avec ses explosions, ses cris, ses bribes de journaux télévisés et ses échos de réseaux sociaux. Le spectateur est happé par ce vacarme qui rappelle l’atmosphère suffocante de mai 2024.

La lumière, elle, donne le rythme. Elle s’efface par moment, laissant glisser les comédiens vers d’autres rôles. Elle revient ensuite pour pointer un visage. Elle accompagne chaque aveu, chaque doute, chaque conviction. Comme un projecteur intérieur, elle met à nu les blessures des personnages, reflets de celles du pays.

 

Une pièce pensée pour panser les blessures

Présentée d’abord à Paris, Barrage émeut jusqu’aux larmes les Calédoniens expatriés en métropole. Beaucoup y trouvent une forme de réparation intime : « Chaque fois qu’un Calédonien vient voir la pièce, il y a des larmes, raconte la scénariste, C’est comme si l’on vidait quelque chose. »

Jenny Briffa espère que la pièce pourra jouer ce même rôle en Nouvelle-Calédonie : prévenir que la haine s’installe, rappeler les liens qui unissent et offrir un espace pour se dire des vérités, pour pleurer ensemble.

Sous ses airs de chronique politique, Barrage est d’abord un cri d’amour à un pays blessé : « La France peut nous envoyer des milliards pour reconstruire nos entreprises, nos routes, notre pays. Mais si nous construisons une case et que les gens n’ont pas envie d'aller s'asseoir dedans ensemble, à quoi bon ? Dans 10, 15 ans, on risque de rebrûler la case. »

Aujourd’hui, Jenny Briffa espère ramener Barrage sur sa terre natale, dans les salles de Nouméa, mais aussi dans les quartiers et les lycées du Caillou, pour toucher directement la jeunesse.

 

Frédéric Andrau, Laurence Bolé et Stéphane Piochaud à la Maison de la Nouvelle-Calédonie
Lepetitjournal.com a rencontré Frédéric Andrau, Laurence Bolé et Stéphane Piochaud à la Maison de la Nouvelle-Calédonie à Paris. Crédit : Patrice Ajavon

 

 

« Barrage » de Jenny Briffa, mis en scène par Frédéric Andrau avec Laurence Bolé et Stéphane Piochaud, se joue à Paris au Théâtre de la Manufacture des Abbesses du 9 octobre au 2 novembre 2025. Puis tournée en Nouvelle-Calédonie.

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