Une réforme met le feu aux poudres en Nouvelle Calédonie depuis le 14 mai 2024. De fortes tensions, des barrages, des incendies, du pillage et des violences rythment le quotidien des habitants du territoire français dans le Pacifique. “J’ai préparé un un sac de survie s’il fallait partir de chez nous dans l’urgence” confie Victoire, une résidente sur place.
Mes enfants étaient à l’école, j’ai traversé deux barrages pour aller les chercher. J'ai eu peur.
Depuis vendredi 11 mai, la zone de Saint Louis, en périphérie de Nouméa, est bloquée par des groupes indépendantistes. Tout passage est filtré. C’est vraiment depuis lundi 13 mai que Victoire, professeure et maman de deux jeunes garçons, ressent que la situation dégénère. “Mes enfants étaient à l’école, j’ai traversé deux barrages pour aller les chercher. J'ai eu peur.” raconte-elle, vivant dans le quartier du Vallon doré au Mont Doré près de Nouméa, mais surtout, près de Saint Louis. “Depuis mardi matin, je suis confinée chez moi avec un sentiment d’insécurité. Mercredi 15 mai, je décide de m’installer chez mes parents à quelques rues de chez moi. Comparé à ce qu’il se passe à Nouméa, nous sommes tout de même plus sécurisés.”
Climat anxiogène et groupes armés en colère
Victoire entend régulièrement des coups de feu et apprend que des centaines de commerces sont pillés dans la nuit par des petits groupes armés. Les forces de l’ordre semblent dépassées : “Il y aurait 100.000 armes en circulation sur le territoire, comment ne pas imaginer que ces groupes indépendantistes en colère ne vont pas s’attaquer aux logements après les commerces ? Il y a eu des morts, c’est terrible !” confie Victoire. “J’ai entendu qu’une femme qui devait accoucher et l’ambulance a été bloqué à un barrage. L’enfant est mort né”. Une information que nous n’avons pas pu vérifier à ce jour.
Mercredi, j’ai préparé un sac de survie s’il fallait partir de chez nous dans la précipitation, avec des vivres, des bouteilles d’eau, des vêtements et les passeports de la famille
En journée, la maman tente de changer les idées de ses enfants. Son fils de 6 ans se pose beaucoup de questions : “il me demande pourquoi l’école est fermée et pourquoi il y a beaucoup de bruit dehors. J’ai pris le parti de cacher la vérité, d’inventer des histoires lorsqu’une détonation ou une explosion se fait entendre…” Depuis le début des tensions, Victoire écrit sans arrêt à ses amis pour prendre des nouvelles. “Mercredi, j’ai préparé un sac de survie s’il fallait partir de chez nous dans la précipitation, avec des vivres, des bouteilles d’eau, des vêtements et les passeports de la famille” raconte-t-elle.
On dit que les pharmacies sont toutes vides… et faut que je trouve une solution pour se réapprovisionner.
En Nouvelle-Calédonie, un appel au calme après de nouveaux affrontements
— FRANCE 24 Français (@France24_fr) May 16, 2024
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L’Etat d’urgence mis en place, incertitude du quotidien
Mercredi 15 mai, dans la soirée, Emmanuel Macron déclare l’état d’urgence : “l’armée va pouvoir intervenir, je commence à voir le bout du tunnel.” Mais la maman s’inquiète maintenant de l’alimentation ou des médicaments dans les jours qui viennent “On dit que les pharmacies sont toutes vides… et faut que je trouve une solution pour se réapprovisionner”. Son collège a été brûlé “Comment et quand vais-je retourner travailler ?” se demande-t-elle en soupirant, réalisant qu’elle a de la chance d’être chez ses parents, et pas seule dans cette atmosphère très anxiogène. Au réveil jeudi, elle se sent plus rassurée mais reste sur ses gardes pour la suite : “Nous écoutons la radio en attendant des instructions. Les photos que l’on voit en ligne ne sont pas exagérées.”
Nouvelle-Calédonie: l'exécutif sous pression pour trouver une sortie de crise
Selon David Guyenne, le président de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Nouvelle-Calédonie. Les trois nuits d'émeutes ont causé pour 200 millions d'euros de dégâts. Selon lui, 80 à 90 % du circuit de distribution de Nouméa ont notamment été “anéantis”. L’armée se déploie actuellement pour “sécuriser” les ports et l’aéroport. Un millier de policiers et de gendarmes supplémentaires sont en train d’être déployés dans l’archipel, a affirmé Gabriel Attal, après un conseil de défense à l’Elysée jeudi 16 mai. Au total, 2.700 membres des forces de l’ordre sont prévus sur place.
Le statut particulier de la Nouvelle Calédonie au coeur du débat : Colonie française depuis 1853, la Nouvelle-Calédonie est devenue un territoire d'Outre-mer en 1946. Après des affrontements entre indépendantistes et loyalistes dans les années 1980, les accords de Matignon sont conclus le 26 juin 1988. Ils prévoient un processus d’autodétermination pour le territoire du Pacifique. En mai 1998 est signé l’accord de Nouméa qui renforce ce processus avec un cadre juridique et politique valable pour 20 ans. Cet accord prévoit que la population soit consultée sur l’avenir de la Nouvelle Calédonie au plus tard en 2018 et, en cas de rejet, deux nouvelles fois. Par trois référendums - en 2018, 2020 et 2021 - le “non” à l’indépendance du territoire l’emporte. A l a dernière consultation, le rejet l’emporte à 96,50%. Les partis indépendantistes boycottent ce résultat et n’en reconnaissent pas sa légitimité. L’accord de Nouméa apporte également des règles particulières pour les élections locales. Selon celui-ci, le corps électoral se limite essentiellement aux électeurs inscrits sur les listes en 1998 et à leurs descendants. Ainsi, les résidents arrivés après cette date et de nombreux natifs en sont donc exclus. Or, depuis plus de 15 ans, la situation a évolué, la proportion d’électeurs privés de droit de vote au scrutin local a augmenté. Le gouvernement français décide donc de dégeler le corps électoral en l'ouvrant aux natifs et aux personnes domiciliées sur le territoire calédonien depuis au moins dix ans. Environ 25.000 électeurs pourraient être concernés. La réforme électorale a été adoptée par le Sénat le 2 avril, puis voté par l'Assemblée nationale mardi 14 mai. Si les loyalistes sont favorables à la réforme, les indépendantistes de Nouvelle Calédonie y voient un passage en force de l'Etat pour "minoriser encore plus le peuple autochtone kanak".