J’ai rencontré Kristin Hogue lors d’une marche pour le climat cet hiver à New York. J’y accompagnais Hermeline, ma fille de 13 ans, qui avait insisté pour venir manifester. Sa détermination m’avait surpris. N’était-elle pas trop jeune ? Mon épouse, et moi-même n’étions pas à l'aise avec l’idée qu’elle manque l’école. Mais devant son insistance et la lettre qu’elle nous avait envoyée, nous avions abdiqué.
Comprendre l’engagement de son enfant
Ce mouvement m’intriguait et je voulais comprendre comment les autres parents vivaient l’engagement de leurs enfants. Nous traversions le pont de Brooklyn avec plus de 300 collégiens sous un ciel bas, la pluie commençait à tomber. Kristin marchait un peu en retrait du cortège tout en écrivant un tweet. « Ma fille m’autorise à tweeter en son nom pendant les manifestations. La veille, elle me dit ce sur quoi, elle veut communiquer. Pendant les marches, lorsqu’elle est occupée, je suis en charge de son compte ».
Kristin est la mère d’Alexandria Villaseñor, la jeune égérie américaine du mouvement des lycéens. Alexandria manifeste chaque vendredi devant l’ONU, à New York pour sensibiliser l'opinion publique à la crise climatique. « La première fois que ma fille m’a annoncé qu’elle voulait manquer l'école pour aller manifester, nous avons ri, se rappelle-t-elle. Je me disais que c'était l’affaire d’un jour, qu’elle irait manifester ; en ferait l’exposé pour sa classe de sciences et que ça s'arrêterait là ».
C'était sans compter sur la détermination de sa fille. Sept mois plus tard, Alexandria ne compte plus les interviews et les discours. Du Washington Post au New York Times, du Guardian en Grande-Bretagne au journal Le Monde en France ; de la chaîne CNN à France 24… A l’image de la Suédoise Greta Thunberg, Alexandria, 14 ans, est devenue la porte parole de sa génération aux États-Unis.
Amplifiée par les média sociaux, l’action d’Alexandria la propulse en quelques semaines des bancs du collège aux studios de télévision. Les sollicitations sont telles que sa mère, Kristin décide d'assurer son instruction à la maison. « Je me couche le soir étourdie par les demandes d’interviews, les invitations à participer à des conférences et à prendre part à des manifestations » dit Kristin. « J’en rêve presque toutes les nuits. Le matin, je me réveille pour trouver d’autres sollicitations dans mes e-mails. Ce matin, me confie-t-elle, CNN cherchait par tous les moyens à interviewer Alexandria. »
Parents For Future
Devant l’ampleur du mouvement des grèves scolaires ‘Friday For Future’; des parents se sont réunis en groupes de soutien appelés ‘Parents for Future’. Aux États-Unis le plus grand de ces groupes est celui de Seattle. Hélène Costa de Beauregard, sa fondatrice, explique ce qui l’a décidé à s’engager : « En octobre 2018, le rapport du GIEC sur le réchauffement de la planète à 1,5° a été une sonnette d'alarme pour mon mari et moi. Nous savions qu’en tant que citoyens, nous devions en faire plus pour réduire notre empreinte carbone, et que nous devions être plus actifs. Nous avons de jeunes enfants (18 mois et 5 ans), notre devoir de parents est de les protéger et de protéger leur avenir. P4F était la bonne solution. J'ai donc créé un groupe P4F local avec l'aide de Heather, la mère du jeune activiste, Ian, à Seattle. J'y ai trouvé un groupe de personnes incroyables à travers tous les continents ».
Accepter que son enfant fasse la grève, même pour le climat, n’est pas facile. « J’ai d’abord refusé. Je ne pouvais pas imaginer laisser ma fille manquer l'école chaque vendredi, » se souvient, Teresa Tsarouhtsis, maman de Catherine, 16 ans. « Mais par son exemple et ses actions quotidiennes, Catherine m’a convaincu. Maintenant nous recyclons tout, et n’allons plus faire les courses sans emporter nos propres sacs. Aujourd’hui je la laisse manifester ».
Certains activistes sont devenus très populaires et vocaux sur les médias sociaux. Alexandria a plus de 13,800 personnes qui la suivent sur Twitter. C’est sur ce réseau qu’Alexandria a été harcelée par Marc Morano un ancien assistant du parti républicain et un climato-sceptique. « J’ai eu peur pour ma fille, confie Kristin. Et lorsque le journal d'extrême droite Breitbart a publié un article sur Alexandria, elle a reçu des menaces et j’ai redoublé de vigilance ».
Aux Pays-Bas la maman de Lilly Platt, explique lors d’un échange sur WhatsApp que son travail est de faire écran aux messages de haine des groupes d'extrême droite. A 11 ans, Lilly et son grand-père luttent contre la pollution par le plastique. Quand Lilly a annoncé que son grand-père Jim Platt, 79 ans, voterait aux élections Européennes pour le candidat qu’elle choisirait, des messages sur les réseaux sociaux appelaient à tuer son grand-père en lui injectant de la morphine…
Ces grèves scolaires ne font pas l’unanimité en Amérique du Nord une région où la culture du travail et de l’individualisme ne plaide pas en faveur du militantisme. Nombre d’adultes interpellent les enfants pendant leurs marches. « Vous feriez mieux d’aller en classe » leur dit-on ; « Vous perdez votre temps, vos grèves ne servent à rien », ai-je pu entendre récemment à New York.
Des heures à lire les rapports des scientifiques
Rom Lin vit à Toronto au Canada avec sa femme et sa fille de 23 ans. Il est retraité. « Je suis un chrétien, un disciple de Jésus », dit-il. « Je pense qu'Al Gore et David Suzuki (deux militants de la cause environnementale) gagnent de l'argent en faisant peur à la population à propos de ce ‘problème’. La planète terre est grande et le climat complexe. Dieu l'a rendu si belle et si parfaite avec tout ce qui est nécessaire à la survie des êtres humains », affirme-t-il. « Les ‘grèves’ climatiques prônées par les étudiants sont le résultat de l'influence de leurs camarades et de leurs enseignants. Elles ne résoudront pas le problème et les étudiants ne doivent pas imposer une ‘solution’ au gouvernement », ajoute-t-il.
Hélène réfute l'idée que les adolescents puissent se laisser influencer de la sorte. « Ces grévistes sont des adolescents. Quand tu étais adolescente, est-ce que tes parents auraient pu te convaincre de prendre une telle position en public ? », Me demande-t-elle. « Ils prennent une position courageuse et font bouger le statu quo. Leurs actions, ne sont pas un caprice. Ils ont été soutenus par la communauté scientifique qui a publié des lettres en faveur de la grève du climat. Nous devrions remercier les jeunes pour ce qu'ils font et le meilleur moyen de le faire est d'agir, de voter, de faire pression pour des politiques allant dans le sens d'une réduction de nos émissions de gaz à effet de serre dans le monde d'ici 2050 ».
Kristin n’a que faire de la polémique ; elle n’a pas le temps de s'arrêter. Elle a repris ses études à l’Université de Columbia à New York pour comprendre l’impact du changement climatique sur les sociétés et sait mieux que quiconque l’urgence qu’il y a à agir. « Lorsqu’on me reproche d'instrumentaliser Alexandria je réponds ‘oui’, car l’éducation n’est-elle pas une forme de modelage de l’esprit de nos enfants, dit Kristin. Et oui, c’est vrai que je corrige ses discours et que nous parlons ensemble des actions à venir. Un peu comme des parents qui aident leurs enfants à faire leurs devoirs. » « Finalement ceux qui pensent que les enfants ne font que répéter sans comprendre ce qu’on leur dit de dire devraient venir rencontrer ces jeunes qui passent des heures sur le web à se renseigner et à lire les rapports des scientifiques. Nous vivons à l’heure d’Internet et les jeunes savent trouver l’information ».
Depuis quelques semaines Kristin et sa fille Alexandria sont régulièrement invitées ensemble à témoigner de leur activisme. En juin, elles étaient aux Nations Unies pour participer au Global Leadership Summit. Les commentateurs ont appelé leur binôme ‘l’activisme intergénérationnel’.
La mobilisation mondiale des enfants bouscule les adultes, qui à leur tour cherchent une place dans la course pour sauver notre planète. Soutenir sans diriger, intervenir à bon escient... Gageons que si les adultes se font trop présents les jeunes le feront savoir car aujourd’hui ils nous montrent qu’ils n’ont besoin de personne pour se faire entendre.
Récit de Stanislas Berteloot publié dans We Demain