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« Donner la parole aux femmes, toute l’année » prône JC Agid

JC AgidJC Agid
JC Agid
Écrit par Rachel Brunet
Publié le 31 mars 2019, mis à jour le 1 avril 2019

JC Agid signe notre éditorial de cette fin mars. Nous avons donné la parole aux femmes durant tout ce mois, et nous allons continuer. Nous souhaitions le regard d’un homme sur le « Mois de la Femme ». 

JC Agid est consultant en stratégie de communication et développement. Il représente aux États-Unis la 3ème édition de Women in Africa qui se tiendra à Marrakech les 27 et 28 Juin 2019 et est l’ancien directeur du Women’s Forum Mexico et du Women’s Forum Brazil. http://www.thirtyseveneast.com/

" Le mois de la femme s’achève et avec lui, celui d’une respiration annuelle nécessaire : observer, analyser, discuter et montrer le rôle croissant des femmes dans la société et la vie économique. 

Les 31 portraits que l’édition new yorkaise du Petit Journal vient ainsi de publier à cette occasion donnent une voix, une force, une influence et un visage médiatique à ces femmes. 

Le fait qu’une femme journaliste ait initié et développé ce projet est déjà en soi un immense progrès qui fait écho à l’engagement de l’actrice et co-fondatrice du Women Media Center (WMC), Jane Fonda. « Si on laisse aux seuls hommes le soin d’écrire l’histoire, alors on ignore la moitié de la population », explique Fonda. “Et on vole à l’autre moitié, celle des hommes, la possibilité d’entendre la même histoire mais avec un regard féminin. Nous sommes perdants de part et d’autre si la voix des femmes n’est pas représentée dans les médias”.

Mon souvenir d’étudiant en journalisme à Columbia University est celui d’une promotion dominée par les femmes. En toute logique, leurs signatures et leurs idées devraient ainsi être diffusées plus que celles des hommes. 

Et pourtant. 

Les femmes représentent un peu moins de 42% des rédactions selon l’American Society of News Editors. À la télévision, seules 37% des journalistes et présentateurs sont des femmes. « Lorsque l’on regarde le journal du soir, nous ne regardons pas une Amérique qui représente avec objectivité toutes les voix », constate Pat Mitchell, ancienne Présidente de PBS, du Paley Center for Media et co-Présidente du Women’s Media Center.

La nomination, il y a quelques semaines pour la première fois d’une femme, Susan Zirinsky, à la tête de CBS News (en pleine tempête #MeToo qui a entrainé le départ du Président de CBS Leslie Moonves) est un événement dans l’histoire de la promotion des femmes dans les médias. Susan Zirinsky ! Pour beaucoup, ce nom est évidemment étranger. Ou pas tant que cela. Son histoire de jeune journaliste au bureau de Washington de CBS News avait servi de base au film Broadcast News en 1987 (extrait video). Holly Hunter campait alors le rôle d’une productrice d’informations qui semblait promise aux plus hautes fonctions à la télévision. Zirinsky aura dû patienter presque 40 ans.

D’autres médias, le New York Times et Bloomberg en tête, ont mis en place une stratégie de recrutement et de promotion de femmes journalistes. 

Le New York Times s’enorgueillit ainsi d’avoir atteint la parité toutes fonctions confondues en 2017- enfin presque : la rédaction ne comprend que 47% de femmes et, surtout, le New York Times online emporterait la palme du plus grand nombre d’articles rédigés par les hommes (67%). Car ce sont les hommes qui signent le plus - quelques que soient les sujets - peut-on lire dans The Status of Women in the U.S. Media 2019 publié par le WMC, l’association dédiée à la promotion des femmes dans la presse et créée en 2005, avec Fonda, par Gloria Steinem et Robin Morgan.

Ainsi, 69% des dépêches des deux plus grandes agences d’information au monde, l’Associated Press et Reuters, soit la base des informations que nous consommons, portent la signature d’un homme, constate le WMC.

Ce n’est guère mieux à l’écrit et sur internet où les hommes sont auteurs de plus ou moins 60% des articles - exception faite du HuffPost où les chiffres sont parfaitement équilibrés : c’est 50/50.

Les trois seuls thèmes qui font exception à cette domination masculine dans la presse écrite sont ceux de la santé, de la vie pratique et des divertissements. Pour le reste, le sport est couvert à 90% par les hommes, les infos internationales et économiques à 64%, les sujets culturels à 63% etc. etc.

Permettre aux femmes journalistes d’exercer leur métier dans les mêmes conditions et avec la même influence que les hommes ne résout pas tout. Encore faut-il que les femmes d’entreprises, les politiques, scientifiques, artistes, banquières, avocates, militaires, philosophes, quelles que soient leurs expertises, soient sollicitées par les médias dans leurs enquêtes, interviews, portraits et même leurs éditoriaux (rappel : je suis un homme). Ne pas donner la parole aux femmes leaders dans la presse (mais aussi dans les conférences ou dans la culture), c’est se priver d’une opinion et d’un regard différents, d’idées nouvelles, de talents et de réponses aux questions qui sont à la source du travail des journalistes, peu importe si ce sont des hommes ou des femmes journalistes. 

Dans l’article « Vous ne citez probablement pas assez de femmes. Laissez nous vous aider » la journaliste du Columbia Journalism Review cite la directrice du bureau du Washington Post à Tokyo, Anna Fifield, qui explique que l‘excuse - «fausse », dit Fifield - la plus commune est la difficulté de trouver des expertes ou que celles-ci sont indisponibles. C’est au passage une excuse souvent utilisée par les conseils d’administrations lorsqu’ils sont questionnés sur le faible nombre (voire l’absence) d’administratrices dans leurs entreprises.

Le rôle des médias est ainsi au cœur de la promotion des femmes dans la vie économique et sociale. En proposant des listes de noms de femmes qui peuvent être interviewées sur les sujets du jour, des organismes comme le WMC (SheSource Experts) et des médias comme la radio NPR (Source of the Week) offrent une solution pratique à tous les journalistes qui se plaignent de ne pas connaître suffisamment de femmes expertes et dirigeantes susceptibles d’être interviewées. La série des 31 portraits du Petit Journal à New York permet aussi de faire connaitre ces femmes dont le rôle, le travail, l’impact et la vision ne pourront plus jamais être ignorés.

Il nous reste 11 mois avant de célébrer à nouveau les femmes et de prendre la mesure des progrès réalisés ou non pour développer un monde plus juste et intelligent. Onze mois pour que les médias s’engagent à ouvrir systématiquement leurs tribunes aux femmes journalistes et à interviewer davantage de femmes dirigeantes".

Jean-Christian Agid

 

Un grand merci, cher JC, pour ce superbe éditorial. L’édition New York du Petit journal continuera à donner la parole aux femmes, quel que soit leur métier, leur fonction ou leurs ambitions. Nous ne pouvons, en effet pas, nous priver d’un regard féminin sur une société encore et toujours pilotée par des hommes. 

Anne-Claire Legendre, consule générale de France à New York, nous a lancé l’idée d’ouvrir nos colonnes à des hommes féministes, c’est aussi ce que nous allons faire. D’ailleurs, nous avons commencé avec ce brillant édito signé Jean-Christian Agid.

Rachel Brunet
Publié le 31 mars 2019, mis à jour le 1 avril 2019