Sous le nom d’équipage Narrows Minded, trois Français expatriés à Seattle ont réussi l’exploit “Race to Alaska”. Une course nautique qu’ils ont achevée en une semaine en juin dernier après une année de préparation. Au lendemain de son rêve de marin amateur, Arthur Petitpierre retrace le carnet de bord d’un accomplissement collectif “humide et intense”.
Contre vents et marées, Ghislain Devouton, Frédéric Pergola et Arthur Petitpierre se sont lancés dans une aventure aussi folle que passionnante : participer à “Race to Alaska”, une course de référence dans la communauté nautique de Seattle. Après un an de préparation, la seule équipe française de la compétition au départ de Port Townsend s’est rendue jusqu’en Alaska, à Ketchikan.
La huitième édition a réservé un joli sort aux Trois français qui y participaient pour la première fois : une sixième place au classement général et aucune casse pendant la semaine de navigation. Parti sur un trimaran F25C - avis aux spécialistes - l’équipage tricolore a réussi son défi mais n’est pas complètement satisfait confie Arthur : “nous ne sommes pas allés au bout du potentiel du bateau”. Mais l’essentiel est ailleurs : “nous avons beaucoup appris de cette aventure intense, une première course longue inhabituelle pour nous.”
Une course nautique atypique
Dans le monde de la voile, Race to Alaska est une course un peu particulière. Elle ne fait pas partie des régates très codifiées, avec des catégories de bateaux spécifiques, classés en fonction des tailles et des performances. Race to Alaska possède un corpus de règles simplifié, où le champ des possibles est très ouvert. Les bateaux qui participent à la course ne doivent pas avoir de moteur, en revanche il est possible d’avoir des mécaniques qui permettent de pédaler ou de ramer pour faire avancer le bateau s’il n’y a pas de vent.
“C’est une des rares courses que je connaisse où non seulement tu peux avancer avec ta voile mais tu peux aussi ramer. Aussi, il y a toute une série de règles qui sont assez drôles” présente Arthur Petitpierre : “s’ils ont besoin d’embaucher un avocat pour décider si tu es disqualifié ou non, tu es automatiquement disqualifié… Tu ne passes pas devant un comité en cas de réclamation, ils ne veulent pas s’embarrasser avec cela.”
Mais rassurez-vous, si l’organisation de la course souhaite partager “l'impression que c’est du grand n’importe quoi”, elle reste très encadrée et ne lésine pas sur la sécurité de ses navigateurs : “Tout est préparé correctement : il y a un briefing très sérieux avant la course, une balise satellite qui nous traque en temps réel et nous ne naviguons jamais loin des côtes. Dès que tu fais de la voile, le risque existe, il faut être conscient de ce que tu fais, être bon marin, savoir se mettre à l’abri si les conditions le nécessitent.”
Achat d’un bateau, entraînements, partenariat… la genèse du projet “Race to Alaska”
“Race to Alaska, c’est un peu la compétition difficile que tout le monde rêve de faire.” Née à Port Townsend, ville du sud-ouest de l’Etat de Washington à la riche tradition maritime, Race to Alaska ne se refuse pas. Pourtant, la participation d’Arthur Petitpierre s’est décidée sur un “coup de tête”. Mais poussé par ses deux amis et sa compagne, il s’est finalement jeté à l’eau. Nous sommes en juillet 2023, il se souvient :
“L’été dernier, je reçois un appel de Ghislain qui me dit qu’il ‘lance un projet Race to Alaska avec Frédéric, est-ce que ça te dit d’en faire partie ?’ Au départ, je refuse, je lui répond que ce n’est pas la bonne année… que j’ai une salle de bain à refaire… que je n’aurai pas le temps et je raccroche. Et là, ma femme qui est dans la pièce d’à côté me dit ‘attends tu as dit non à quoi ?’. Je lui explique que c’est pour Race to Alaska, que je vais devoir acheter un bateau, prendre du temps pour le retaper et que ce n’était pas un projet que je voulais faire avant que je sois à la retraite. Elle me convainc de le faire malgré tout, ‘que ce n’est pas une chance qui se présente plusieurs fois dans une vie, qu’il faut aller au bout de ses rêves.’”
“Globalement, les personnes qui participent à la course sont des amateurs éclairés, mais nous sommes très loin du professionnalisme.”
Une fois le cap mis sur Race to Alaska 2024, il restait finalement tout à organiser avec comme première étape le choix et l’achat du bateau. Ce n’est pas une mince affaire mais les trois équipiers y sont parvenus en moins de trois mois : “Ghislain avait bâti une liste des bateaux qui avaient participé à la course, de ceux qui l’avaient terminés et de ceux qui avaient bien figuré au classement de Race to Alaska. Au sein de ce tri ressortaient cinq-six bateaux classiques de la côte ouest des Etats-Unis.” En discutant avec celui qui avait gagné la première édition de Race to Alaska, le trio entend parler du F25C, “une bête” suffisamment petite pour être financièrement accessible, avec des flotteurs se repliant et la praticité de pouvoir se ranger sur une place de port dans une marina.
En carbone, très performant et pas suffisamment pointu pour qu’il ne soit pas accessible à des marins amateurs, le F25C est le bateau rêvé mais il y a un nœud. Seulement 48 exemplaires de cette embarcation ont été construits il y a entre 20 et 30 ans. À chaque problème sa solution…
“Nous avons passé deux mois à chercher un peu, à appeler des propriétaires, à demander des informations… Puis, nous avons contacté une équipe française de San Francisco, qui avait fait Race to Alaska sur ce bateau l’année d’avant. Nous les appelons pour avoir leur retour puis la discussion à dériver sur le fait de savoir s’ils comptaient refaire ce projet. Nous avons appris qu’ils avaient décidé de vendre le bateau donc nous avons fait rapidement une offre.” À la fin du mois d’octobre 2023, Arthur et ses équipiers avaient leur bateau. L’entraînement pouvait démarrer.
Pour se familiariser avec le bateau, les trois Français commencent à naviguer jusqu’à la mi-décembre 2023. Pour eux, naviguer sur un trimaran est une première. Et quelle première ! “Ça va plus vite que ce que nous connaissons habituellement, dès la première sortie, nous avions le sourire jusqu’aux oreilles.” Mais la réalité les rappelle à l’ordre : leur nouveau bijou devra s’offrir quelques arrangements pour concourir dans les meilleures conditions possibles : “il fallait le rendre plus solide, plus fiable pour la course.” À partir de janvier, l’équipage prénommé Narrows Minded débute le chantier :
“Il y avait la volonté d’arriver jusqu’au bout et cette course est de l’ordre d’une semaine. Ce n’est pas comme une régate sur la journée où tu peux t’arrêter le soir pour réparer ce qui est cassé sur le bateau. Je me suis sur la construction d’un pédale-drive lorsqu’il n’y a pas de vent. La peinture du bateau nécessitait d’être refaite, cela a représenté un travail de titan qui nous a pris un total de trois mois à s’en occuper pendant tous nos week-ends.”
Cette période fastidieuse a permis de construire une véritable cohésion d’équipe. Plongé plus que jamais dans l’objectif Race to Alaska, le trio enchaîne les entraînements. Quelques sorties de nuit pour s’habituer à des réalités auxquelles il sera confronté pendant la course : “nous nous organisons à prendre les relais de sommeil, à gérer la nourriture.” Les Français sont rodés, parés à embarquer pour l’aventure le 9 juin 2024.
Un équipe intouchable, une erreur fatale et des paysages incroyables… le “Race to Alaska” version française
En partance de Port Townsend (Washington), les Français et leurs concurrents devaient d’abord rallier Victoria - en Colombie Britannique - pour la première étape de la course. “Une mise en bouche qui sert à prouver au comité de course que tu es bien préparé pour prendre part à la suite” présente Arthur. Dans une ambiance collégiale, les différents équipages sont à quai le temps d’un week-end. Le temps pour eux de “créer un esprit de course sympathique et bien se reposer” avant de partir pour la grande traversée.
Le top départ a été donné le 12 juin au port de Victoria, qui a la particularité d’être un port pour hydravion. Ainsi, les skippeurs ont interdictions de naviguer dans le port à la voile : “nous devons démarrer la course à la pédale, pendant à peu près vingt minutes pour atteindre l’extérieur du port.” C’est ce que l’on appelle “mouiller la chemise” dès les premiers instants.
Partie dans le peloton de tête, la Team française “Narrows Minded” a pour objectif secret de finir sur le podium. Et la première place ? Impossible à atteindre, elle est réservée à la Team Malolo si son bateau “exceptionnel et intouchable” ne casse pas. Malheureusement, une prise de risque - jugée avec du recul comme une erreur - a coûté cher aux navigateurs français :
“Il y a deux points de passage obligatoires dans Race to Alaska pour passer entre Vancouver et la Colombie Britannique. Il y a Bella Bella et Seymour Narrows. C’est ce qui a inspiré le nom de notre équipe ‘Team Narrows Minded’. C’est un passage étroit, de quelques centaines de mètres, dans lequel il peut y avoir beaucoup de courant, même des torrents. Nous étions obsédés par l'idée de traverser Seymour Narrows. Nous y sommes passés alors qu’il allait faire nuit… nous n’avons rien vu, juste la lumière du bateau devant nous qui n’avait pas l’air de trop secouer. Donc nous nous sommes dits ‘c’est parti’ en pleine nuit noire. Nous n’avons pas vu les berges, cela a été un non événement. Les trois premiers jours de course, nous avons fait une régate à couteau tiré avec quatre autres bateaux qui avaient les mêmes caractéristiques de vitesse que les nôtres. Nous nous sommes retrouvés à pédaler toute une nuit sans vent. C’était un peu dur et c’est là que nous avons vu les places que nous visions s’envoler. Nous avons fait une erreur de routage. Nos trois concurrents sont partis entre deux îles et nous avons choisi un autre chemin qui nous semblait plus court. Nos tergiversations nous ont fait perdre du temps. Nous avons fini la course un peu tout seul jusqu’à faire un joli finish, avec un vent qui nous poussait par l’arrière.”
“J’ai vu bien plus de baleines en une semaine que durant toute ma vie entière”
Après une semaine de course haletante, “humide et stressante”, les Français sont finalement arrivés à bon bord. Si le résultat leur laisse un goût amer, ils ont pu profiter durant leur aventure de passages fabuleux, des fjords de Seymour Narrows en passant par des vallées escarpées et des côtes boisées.
Arthur, Ghislain et Frédéric ont aussi fait la rencontre de loutres de mer, de Marsouins de Dall et d’une vingtaine de baleines. Ils auraient aussi entendu un ours… Mais nous n’avons pas les images pour le prouver !
L’équipage Narrows Minded sur le pont pour une deuxième édition ?
Race to Alaska est organisée tous les deux ans, la prochaine édition se déroulera ainsi en 2026. Et à la question “comptez-vous y participer une nouvelle fois ?”, Arthur hésite encore. Les trois marins avaient prévenu leur femme qu’ils allaient vendre le bateau après la course, finalement ils devraient garder leur monture… De là à le mettre à l’eau pour une nouvelle route vers l’Alaska ? “Il est tout à fait probable que l’on puisse repartir ensemble, mais j’ai ma fille de 14 ans qui en rêve aussi” explique Arthur Petitpierre. “J’aimerai pouvoir l’aider en priorité dans ce projet en 2026”.
Une ambition familiale toute aussi noble que permet Race to Alaska en ne fixant pas d’âge minimum pour participer à la course. Sa fille, qui a vu des adolescents de son club de voile concourir à l’édition 2024, pourrait ainsi être la prochaine skippeuse française de Race to Alaska.
L'équipe Narrows Minded soutenu dans l'aventure ? “Nous voulions un partenaire auquel nous puissions amener une exposition, que cela fasse sens et que ce soit mutuellement bénéfique.”
Les Frenchies ont démarré leur projet en fonds propre pour le coût du bateau, de son entretien et des frais d’inscription à la course - de l’ordre de 1.500$. Mais ils souhaitaient trouver un partenaire pour les accompagner. “Pas mal d’équipes optent pour des campagnes de crowdfunding. Nous travaillons dans de grandes entreprises de la tech, nous pouvons financer nos rêves tout seul” reconnaît Arthur Petitpierre. Il poursuit : “j’en ai discuté avec mon conseiller financier - Guillaume Decalf - et en blaguant je lui ai dit “tu ne voudras pas avoir le nom de ta boîte dans nos voiles et nous sponsoriser ?”. Et il me répond “pourquoi pas, envoie moi un projet pour que je vois ce que cela peut me rapporter en termes d’exposition.” Basé à San Francisco avec sa société Oui Financial, Guillaume a comme cœur de cible les Français des Etats-Unis. Le conseiller a adhéré au projet du trio d’expatriés de Seattle. Logo sur les voiles et casquette Oui Financial sur la tête, Guillaume Decalf a été aperçu jusqu’en Alaska ! L’équipage français devrait également faire une présentation de la course à la communauté française de Seattle avec une promotion de leur partenaire Oui Financial.