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Crypto-fascisme et dérive autoritaire : la révolution conservatrice de Trump

En plus de marquer un tournant dans la politique américaine, l’élection de Donald Trump en 2024 révèle aussi une mutation profonde du paysage idéologique des États-Unis. Pour analyser cette évolution, Lepetitjournal.com a interrogé Romuald Sciora, chercheur associé à l'IRIS et directeur de l'Observatoire politique et géostratégique des États-Unis. Spécialiste des relations transatlantiques et de la politique américaine, il nous livre son regard sur cette montée de l’ultraconservatisme et son impact mondial.

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Donald Trump via son compte Instagram @realdonaldtrump
Écrit par Liz Fredon
Publié le 10 mars 2025, mis à jour le 11 mars 2025

 

 

Sous couvert de défense des libertés individuelles, l’administration Trump orchestre une offensive contre les droits des minorités, la liberté d’expression et le multilatéralisme depuis son élection. Cette dynamique, que certains experts qualifient de crypto-fascisme, s'inscrit dans une transformation plus large de la démocratie américaine vers un régime semi-autoritaire.

 

"L'administration Trump prône une liberté d'expression orientée qui sert son projet politique."

 

Trump, Musk et la liberté d’expression à géométrie variable

Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump s’appuie sur des figures influentes du monde des affaires et des médias pour remodeler le discours public. Parmi elles, Elon Musk joue un rôle clé dans la diffusion d’une idéologie libertarienne qui, tout en prônant une liberté totale d’expression, encourage paradoxalement la suppression des voix dissidentes.

"L'administration Trump ne prône pas une liberté d'expression universelle, mais une liberté d'expression orientée qui sert son projet politique. Lorsque Musk dénonce la ‘cancel culture’, il ne le fait que pour des opinions qui l’arrangent. Les discours d’extrême droite sont mis en avant, tandis que les voix progressistes sont de plus en plus marginalisées", analyse Romuald Sciora.

 

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La censure des minorités et l’anti-wokisme comme doctrine d’État

L’un des volets majeurs de cette contre-révolution culturelle repose sur une offensive systématique contre les minorités. Depuis son investiture, Trump a signé plusieurs décrets visant directement les droits des personnes transgenres : interdiction d’exercer dans certaines professions publiques, exclusion de l’armée, et suppression du "T" dans les références officielles à la communauté LGBT.

"Aujourd’hui, ce sont les personnes transgenres qui sont ciblées. Demain, d’autres groupes suivront. C’est une stratégie éprouvée des régimes autoritaires : cibler une minorité pour tester les réactions, puis étendre progressivement la répression", souligne le spécialiste.

 

 

 

 

L’anti-wokisme, autre fer de lance de cette politique, ne se limite pas à la sphère politique. Il s’étend au domaine culturel, éducatif et médiatique. Des centaines de livres traitant des questions de genre et de race sont retirés des bibliothèques publiques, et les financements pour la recherche sur les inégalités sociales sont drastiquement réduits.

 

"On vote toujours, mais la liberté d’expression est bridée, les minorités sont muselées et la presse est sous pression"

 

Vers un régime semi-autoritaire à la Viktor Orbán ?

Si les États-Unis restent officiellement une démocratie, plusieurs indicateurs montrent qu’ils glissent vers un modèle semi-autoritaire inspiré de la Hongrie de Viktor Orbán. "Dans deux ans, les États-Unis ressembleront plus à la Hongrie de Viktor Orbán qu'à l’Amérique de Kennedy ou d’Obama. On vote toujours, mais la liberté d’expression est bridée, les minorités sont muselées et la presse est sous pression", prévient Romuald Sciora.

Les réformes judiciaires mises en place par Donald Trump renforcent également cette tendance. La nomination de juges ultra-conservateurs et l'affaiblissement des contre-pouvoirs institutionnels placent le pays sur une pente glissante. Si l’érosion démocratique continue à ce rythme, les élections de 2028 pourraient se dérouler dans un cadre où l’opposition aura perdu toute véritable influence.

 

 

Donald Trump via son compte X @realDonaldTrump
Donald Trump via son compte X @realDonaldTrump

 

 

Une vague réactionnaire mondiale ?

L’idéologie portée par Trump et Musk ne s’arrête pas aux frontières des États-Unis. Elle trouve un écho en Europe, où plusieurs partis d’extrême droite s’en inspirent. En Allemagne, Elon Musk a ouvertement soutenu l’AfD, tandis qu’en France, certains responsables politiques reprennent le discours anti-woke américain.

"Ce que nous observons, c’est une internationalisation du modèle trumpiste. Les mouvements réactionnaires européens s’appuient sur les mêmes stratégies : diabolisation des minorités, instrumentalisation de la liberté d’expression et défiance envers les institutions démocratiques", explique Sciora.

 

Le deuxième mandat de Donald Trump n’est pas seulement une continuité du premier, il en est l’aboutissement idéologique. Sous couvert de lutte contre le politiquement correct, son administration impose une transformation profonde des institutions et des normes sociétales. Si cette évolution se poursuit, les États-Unis pourraient basculer vers un régime où la démocratie existera encore en apparence, mais où les libertés fondamentales seront sévèrement restreintes. Une dynamique qui, comme le souligne Romuald Sciora, dépasse largement les frontières américaines et menace d’influencer durablement les équilibres politiques mondiaux.


 

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