Nombreux sont ceux qui s’intéressent à la politique, mais n’osent pas franchir le pas pour essayer d’en devenir un acteur. Bruno Grandsard, Franco-Américain aux États-Unis, a décidé de passer cette étape. Il est candidat pour le 10 ème district de New York pour le congrès des États-Unis (la primaire aura lieu le 25 juin 2024). Grâce à la flexibilité de son travail, où il aide des start-ups dans le climat, il fait campagne depuis plusieurs mois. Dans une Amérique plus que jamais divisée, il raconte ses ambitions et ses difficultés : “Ce duel est comme David contre Goliath.”
Qu’est qui vous a amené à vous impliquer dans la vie politique des Etats-Unis ?
Je suis franco-américain. J'opère facilement dans les deux pays. J'ai étudié la politique et les relations internationales, incluant notamment l'économie. Je m'intéresse donc à la politique depuis très longtemps. Après quelques années en France, je suis revenu à New York en 2016. J'ai été choqué par l'élection de Donald Trump. Honnêtement, je ne m'y attendais vraiment pas. À l’approche de la fin de son mandat, j’ai commencé à réfléchir à ce que je peux faire en tant que citoyen pour essayer d'éviter sa réélection.
J'ai passé pas mal de temps à regarder quelles étaient les alternatives. Je suis rapidement arrivé à la conclusion que Joe Biden était la plus grande chance de le battre. Je me suis impliqué en tant que volontaire pendant plus d’un an, dans les quatres premières primaires, les plus importantes (New Hampshire, Iowa, Nevada et South Carolina). J'ai aussi fait partie d'un comité environnemental pour proposer de futures lois au prochain président.
J’ai dû faire 400 km à pied pour collecter 2500 signatures, dont 85 % moi-même.
J’ai déménagé en Pennsylvanie pendant six semaines avec ma fille pour faire du porte-à -porte. L'issue est positive avec la victoire de Joe Biden. Je n’avais pas l’intention de continuer. Mais le pays s’est retrouvé dans la même situation qu’il y a quelques années, en pire. Pourquoi est-ce que les États-Unis sont dans cette situation ? J’ai commencé à réfléchir aux problèmes structuraux qui expliquent cette dysfonction politique. Le système des primaires était un modèle de démocratie des partis il y a 50 ans, ce n’est plus le cas aujourd'hui. Il faut changer le système et ouvrir les primaires pour passer à un format à l'Européenne : deux tours avec plusieurs partis.
Aujourd'hui, seuls les républicains et démocrates peuvent voter dans leur primaire respective. Finalement, très peu de citoyens votent. Le taux de participation dans les primaires est à peu près de 20 %, soit un électeur sur cinq qui choisit le représentant de son parti. Mais 85 à 90 % des circonscriptions ne sont pas compétitives. La victoire revient toujours à un républicain ou à un démocrate. Il est assez facile d’influencer un système avec aussi peu d’électeurs. Les plus motivés, souvent idéologiquement, vont voter. Dans ce système, le rôle de l'argent pèse énormément dans l'équation. Donc nous élisons des personnes qui ont tendance à être aux extrêmes. Je le vois maintenant en tant que candidat. Normalement un candidat dans une primaire est soit extrêmement à gauche du candidat démocrate, soit extrêmement à droite du candidat républicain. Mais cette formule, idéale pour gagner, ne représente pas ce que je suis. Il faut changer le système pour sauver la démocratie aux États-Unis. Voilà pourquoi je fais cette campagne.
Est-ce que le fait d'être franco-américain est un atout pour votre campagne ?
Ma double nationalité n’a pas d'impact négatif. Je n’ai aucun complexe là-dessus. Je n'ai jamais entendu ou senti un désavantage vis-à-vis de ça. Il y a toujours, peut-être, des personnes sur qui cela a un impact. Mais, à mon avis, cela reste très minime. Si quelqu’un vit à New York depuis 10 ans, il devient New-Yorkais, surtout aux yeux de l'électorat démocrate. En revanche, être franco-américain me différencie de la concurrence. Je pense que cela n'agit ni en positif, ni en négatif sur ma campagne.
Est-ce que l'officialisation de votre candidature il y a quelques jours représente déjà une victoire ?
Oui, tout à fait. J'ai dépensé 2 500 $ jusqu'à maintenant, ce qui est, pour les États-Unis, miraculeux. Je suis resté honnête avec moi-même. J'ai parlé avec au moins 10 000 électeurs. J’ai dû faire 400 km à pied pour collecter 2500 signatures, dont 85 % moi-même. Honnêtement, je n’étais pas sûr de la faisabilité de ma candidature. Le premier jour, une collègue avait 5 signatures par heure. J’ai vite réalisé l’ampleur de la tâche qui m’attendait. Il a fallu trouver les endroits les plus propices pour des signatures. Cela devient un calcul : “ 10 signatures par heure dans ce coin de rue, 20 là-bas…” Il fallait faire un peu de maths.
Au départ, je n'ai pas été pris au sérieux.
J’ai aussi survécu au système légal. À New York, le vrai sport étatique est d'empêcher un concurrent d'être sur la liste, pour une raison justifiée ou non. Quelqu'un a fait opposition à ma candidature, ils ont eu cinq jours pour donner tous les détails nécessaires. Ils ne l'ont pas fait car il n'y avait aucune raison. Mes signatures étaient excellentes. Je pouvais vérifier chacun des signataires. J'avais même une clause avec mon avocat pour m'abstenir de payer si je ne pouvais pas récupérer les signatures suffisantes. Je n'étais pas 100 % confiant. Au bout de 3 jours, j’ai compris que j’aurai assez de soutien. En général, la plupart des signatures ne sont pas récoltées par les candidats, mais par les clubs démocrates qui aident les élus. Mais les candidats comme moi sont rarement aidés par les clubs.
Comment cette candidature est perçue par vos confrères dans le domaine de la politique ?
Au départ, je n'ai pas été pris au sérieux. J'ai présenté ma candidature à la majorité des clubs. Au moins, ils étaient à l’écoute de ce que j'avais à dire. Il y a eu énormément de scepticisme. Après ma présentation, j’ai demandé l’avis d’une politicienne que j’apprécie et qui est assez âgée. Elle m’a dit honnêtement : “ça se voit que t'es un débutant”. D’une manière qui sous-entend : “Je fais ce métier depuis 30 ans. T’es qui toi ?”
Les problèmes des États-Unis viennent de la polarisation extrême du système.
Je l’ai vue dans la rue récemment après avoir passé un mois à récupérer des signatures. Elle est venue me donner un câlin et me féliciter : “Ok, tu es nouveau, mais je vois que tu bosses, que tu es sérieux.” Je pense que les gens respectent ceux qui travaillent dur. Personne ne croit que je suis là, avec mon argent, pour acheter un poste. Je ne dépense pas mon argent. J’ai seulement l’argent levé grâce aux contributions. Je suis en train de faire ce que quelqu'un d’autre peut faire. J’y passe le temps nécessaire.
Est-ce que cette candidature ne revêt pas un aspect symbolique étant donné que vous êtes face au candidat sortant et disposant de moyens financier important, Daniel Goldman ?
Cette candidature est symbolique dans le sens où, quand je me suis réveillé le 1er janvier, j'ai vu qu'il n'y avait toujours pas d'autres candidats. J’ai trouvé que ce n’était pas démocratique. Qu’est-ce qu’une primaire avec un seul candidat ? En 2022, Daniel Goldman avait gagné par 26 % des électeurs démocrates du district contre 24 % pour sa dauphine. La différence entre les deux candidatures sont les moyens mis en œuvre. Il avait dépensé 7 millions de dollars pour sa campagne contre 500 000 pour sa rivale.
Il a déjà investi 2 millions de dollars dans sa campagne pour cette année. Il n’avait aucun adversaire, car un politicien qui perd des élections risque sa carrière. Dans ce sens-là, ma candidature est symbolique. Il fallait avoir de la concurrence. Je n’ai pas de carrière politique à risquer. Maintenant, est-ce que j’ai 0 % de chance de gagner ? Je n’ai jamais pensé que mes chances étaient nulles, mais elles sont faibles. Ce duel est comme David contre Goliath. Mais il y a un chemin, un fil d’ariane, ce n’est pas impossible.
Quels sont les sujets que vous souhaitez traiter ?
Les réformes électorales sont ma priorité pour ensuite réformer la politique. Je pense que nous allons droit dans le mur en tant que société. Les problèmes des États-Unis viennent de la polarisation extrême du système. Cette dernière est causée en grande partie par le système électoral. La priorité est donc de changer ce système. Ce n’est pas facile, mais il faut le faire comme l'État de l’Alaska et de Washington l’ont fait.
L’Alaska est un État extrêmement républicain mais pas nécessairement MAGA (partisan de Trump). La sénatrice Lisa Murkowski, pro avortement et anti-Trump, y a été réélue. Pourquoi ? Car ils ont changé leur système électoral. Il permet à tous les démocrates, républicains et indépendants de voter au premier tour pour le candidat qu’ils veulent. Les quatre premiers candidats vont au 2e tour qui est régi par un système de classement. La personne avec le moins de votes est éliminée jusqu'à arriver au premier. Un peu comme un multi tour mais condensé en un seul jour.
Il y a toujours des choses à améliorer. Il ne faut surtout pas abandonner.
Ensuite, le sujet du climat, dont je suis très proche car je travaille dans ce milieu. Les États-Unis disposent d'une loi incroyable, “inflation reduction act” adoptée lors du mandat de Biden. Elle est bien écrite mais elle concerne, en majorité, le système et les voitures électriques. Ces deux secteurs ne représentent même pas 1⁄3 des émissions. Les secteurs de l'industrie, de l'agriculture et du bâtiment en représentent une part importante. Il faut aussi mobiliser le capital privé pour qu’il fasse des investissements par secteurs. Ce n’est pas l’État qui va le faire.
Enfin, il y a plein de questions économiques. La plus grande à New York concerne le logement. Il y a une véritable crise du logement. Les États démocrates ont du mal à construire des infrastructures. Il y a eu un traumatisme des années 50, 60, 70 où tout a été construit n’importe comment. De vieux bâtiments ont été détruits, des autoroutes construites au milieu de quartiers… Depuis, les lois sont très strictes à un point où il est difficile de faire quoi que ce soit. Il n’y a pas vraiment de plan d'urbanisme sur 50 ou 100 ans. Voilà comment développer les infrastructures à New York.
À l'inverse, à Paris, il y a pas mal de nouvelles lignes de métro, des extensions de quelques stations… À New York, il y a seulement une ligne de métro qui a été agrandie, une première depuis des dizaines d'années. Il n’y a pas de plan sur le long terme mais seulement des plans par quartier. Il faut prendre une approche urbanistique de la ville sur plusieurs décennies. Il y a aussi d’autres sujets dans tout ce qui touche à la pression économique assez importante auquel font face les New-Yorkais.
Un message pour nos lecteurs ?
Il est difficile, en tant qu’individu, de faire des grands changements. Mais une personne peut faire des petites actions ayant potentiellement un impact positif. Parfois, elles peuvent même avoir un impact plus grand. Il faut se focaliser sur ce que nous pouvons contrôler. Voilà pourquoi je me suis porté volontaire pour la campagne de Biden.
Maintenant, je contrôle aussi ma propre campagne. Même si je n’ai pas de pouvoir pour faire voter les gens, je peux leur donner un choix. Ma vision est plutôt optimiste, même si tout a l'air d'être en déclin et en crise. Il y a toujours des choses à améliorer. Il ne faut surtout pas abandonner.