Affaire Mangione : le meurtre qui révèle les fractures du système de santé américain

Le mercredi 4 décembre 2024, Brian Thompson, PDG d’UnitedHealthcare, l’une des plus grandes compagnies d’assurance santé aux États-Unis, est abattu devant un hôtel de Manhattan. La scène, captée par une caméra de vidéosurveillance, montre un crime méthodique, presque théâtral. Quelques heures plus tard, les images font le tour d’Internet, captivant les Américains.

#FreeLuigi enflamme les réseaux sociaux

Au bout de cinq jours de cavale, Luigi Mangione, 26 ans, est arrêté et inculpé pour meurtre. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Avant même de connaître son identité, Internet et les Américains s’enflamment : le hashtag #FreeLuigi envahit les réseaux sociaux, transformant le suspect en une figure presque héroïque. Lorsque son mugshot est publié, les montages sur Criminal de Britney Spears affluent de toutes parts. 

Made some #LuigiMangione lock screens for us:) #FreeLuigi pic.twitter.com/oA4C2wgD09

— Cydney Asher/Stoned Stoner Stoning (@StonedStoning) December 23, 2024

Les médias s’emparent également de son histoire, car l’affaire possède tous les ingrédients d’une série américaine à succès : un récit haletant avec plusieurs rebondissements, une lutte entre le bien et le mal et énormément d’indices laissés par le présumé coupable. Les enquêteurs retrouvent par exemple un manifeste de trois pages dans lequel Luigi critique violemment le système de santé américain, qu’il qualifie de "plus coûteux du monde” et les douilles retrouvées sur les lieux du crime portent une inscription : "Deny, Defend, Depose"*, un slogan souvent attribué aux pratiques controversées des assurances santé qui rejettent les demandes d’indemnisation.

*Delay, Deny, Defend: Why Insurance Companies Don't Pay Claims and What You Can Do About It, de Jay Feinman est un essai-critique des compagnies d'assurances spécialisées dans la santé aux États-Unis, au sujet des remboursements des soins, accusant les compagnies de privilégier les profits au détriment des assurés. 

Robin des bois des temps modernes ou meurtrier ?

Fils de bonne famille, diplômé d’une université prestigieuse, Luigi Mangione surprend par son profil atypique. Décrit par ses proches comme calme et attentionné, il est aujourd’hui le principal suspect d’un meurtre prémédité et minutieusement exécuté. Pour certains, il apparaît comme un Robin des bois des temps modernes, prêt à défier les puissants pour dénoncer les injustices du système. Pour d’autres, il reste un meurtrier qu’aucune cause ne peut justifier. 

Toujours est-il que l’affaire cristallise les tensions d’une société déchirée entre ses inégalités et ses idéaux. Elle soulève une problématique bien plus large et place à nouveau sous le feu des projecteurs un mal propre aux Etats Unis : les défauts du système d’assurance-maladie.

Colère et ressentiment envers les assurances santé privées 

Malgré les avancées depuis la présidence d’Obama, le ressentiment envers les assureurs privés reste profondément enraciné. Ces derniers sont souvent accusés de privilégier les profits au détriment de la santé des patients. En cause, ces dernières années, le taux de refus d’agrément pour les actes médicaux a fortement augmenté. Avec un système de santé qui absorbe 17 % du produit intérieur brut, les critiques fusent sur son coût exorbitant et son inefficacité. 

Et les réactions face au meurtre de Brian Thompson réflètent cette colère latente et cet engouement autour de l’accusé. D’où l’inquiétude croissante des autorités. Une note interne, citée par le New York Times, souligne le risque que Mangione soit érigé en martyr ou en modèle à suivre, encourageant d’éventuels actes similaires. "La crainte est que cet événement inspire d’autres individus prêts à se positionner comme défenseurs du peuple par des moyens extrêmes", précise un officier.

La nomination de Robert Kennedy Jr. comme ministre de la Santé ne présage rien de bon

Dans un pays où les assurances santé privées sont régulièrement accusées de privilégier les profits au détriment des patients, le geste de ce jeune homme trouve un écho dans la frustration partagée par de nombreux Américains, peu importe le bord politique. Il révèle les fractures profondes d’une société en quête d’équité et met en lumière les limites d’un système de santé qui, malgré ses réformes, ne fonctionne pas vraiment. D’ailleurs, la nomination controversée de Robert Kennedy Jr., un antivax complotiste notoire, comme ministre de la Santé par le président élu Donald Trump, ne fait qu’ajouter à la polarisation du débat.

L’enquête se poursuit. Une des hypothèses privilégiées est celle d’un problème de dos suite à un grave accident de surf, qui aurait nécessité une opération pour le jeune homme. Mais pour l’instant, aucune preuve ni déclaration de l’accusé n’a établi un lien entre son accident et le meurtre qu’il a commis. Il a d’ailleurs plaidé “non coupable” devant la justice new-yorkaise le 23 décembre 2024, du chef d’accusation de meurtre en tant qu’acte “terroriste”.