Édition internationale

Loïc et Stella de Chabot, la mémoire à voix haute

Derrière Ma fabrique des souvenirs, une plateforme québécoise dédiée à la mémoire des aînés, se cache un homme porté par une mission intime et universelle : faire vivre les récits familiaux avant qu’ils ne s’effacent. Depuis son arrivée au Québec en 2022, Loïc de Chabot donne une nouvelle dimension à son projet né en France, entre journalisme, générosité et technologie accessible.

Loïc de ChabotLoïc de Chabot
Loïc de Chabot co-fondateur de Ma fabrique des souvenirs - Photo Courtoisie
Écrit par Bertrand de Petigny
Publié le 31 mai 2025

 

 

Des mots pour transmettre

Tout commence en France, bien avant l’immigration québécoise. Loïc de Chabot, ancien journaliste devenu gestionnaire de patrimoine, est frappé par un paradoxe : les aînés ont des histoires fascinantes, mais souvent, personne ne les écoute à temps. L’idée germe alors de recueillir leurs souvenirs de manière professionnelle. Il fonde Les souvenirs partagés, un service d’entretiens filmés ou en podcast en audio, menés à domicile, pour permettre aux grands-parents de raconter leur vie à leurs proches.

« Je revenais de mes rendez-vous avec des témoignages bouleversants, des récits de guerre, d’exil, de rencontres, confie-t-il. C’était presque une frustration de ne pas pouvoir les partager. » L’un de ces témoignages, celui d’une dame sauvée dans son enfance par un chef de gare allemand pendant les bombardements à Nantes, le marque profondément. Il saisit alors l’importance de cette mémoire vivante. Pendant quatre ans, il mène de front cette activité et son métier de conseiller financier, jusqu’à faire le saut définitif en 2020, soutenu par une aide à la reconversion et une subvention de Malakoff Humanis.

 

 

 

De la voix humaine à la plateforme numérique

L’arrivée au Québec, en septembre 2022, avec sa femme et leur fille aînée – suivie de la naissance de leur seconde fille à Montréal – marque un tournant. Loïc veut élargir l’accès à la mémoire familiale, sans sacrifier la qualité humaine qui fonde sa démarche. Ainsi naît Ma fabrique des souvenirs, une plateforme web accessible à tous, conçue pour guider les familles dans la collecte autonome de témoignages vidéos.

Chaque utilisateur s’inscrit, choisit un forfait, et accède à une interface intuitive. Des vidéos d’accompagnement, des conseils, une liste de questions thématiques – enfance, guerre, vie professionnelle, COVID, anecdotes libres – jalonnent le parcours. « L’idée, c’est que même un grand-parent peu à l’aise avec le numérique puisse se faire accompagner par un proche. Un petit-fils peut très bien poser les questions et appuyer sur ‘enregistrer’. Cela devient un moment familial. »

 

 

La boîte des Souvenirs partagés
La boîte des Souvenirs partagés

 

 

Les vidéos sont stockées en ligne, téléchargeables, ou effaçables selon les préférences. Une clé USB, joliment emballée dans une boîte à souvenirs, peut même être commandée. « Je voulais un objet physique, comme les boîtes en fer de mes grands-parents, qu’on garde précieusement », explique-t-il. Ce passage du service individualisé à un outil numérique, Loïc et Stella l’ont imaginé avec une jeune entrepreneuse franco-malgache, Matina Razafimahefa, fondatrice de Sayna. La technologie est au service de l’humain – jamais l’inverse.

 

 

 

La mémoire comme levier social et éducatif

C’est après un article dans La Presse que Loïc est approché par une chercheuse de l’Université du Québec à Trois-Rivières, intéressée par la dimension intergénérationnelle et les potentialités cognitives de sa plateforme. Ensemble, ils lancent un premier projet de recherche : des étudiants rencontrent des aînés et recueillent leurs témoignages via Ma fabrique des souvenirs, dans un double objectif de transmission familiale et d’étude des effets sur le bien-être des participants. Un second projet, plus ambitieux, est en préparation pour l’automne.

En parallèle, Loïc développe des collaborations avec plusieurs résidences pour personnes âgées, où il anime des ateliers mémoire, réalise des films commémoratifs ou imagine des formats originaux comme une émission de radio interne. « Je veux multiplier les formats sans jamais perdre de vue le cœur : la parole donnée aux anciens. »

 

 

Stella de Chabot
Stella de Chabot

 

 

Une entreprise de couple et de conviction

Rien de tout cela ne serait possible sans l’implication de son épouse, Stella, née à Marseille de parents malgaches, communicante de formation et cofondatrice du projet. Si Loïc est la voix qui interroge, elle en est l’écho discret mais décisif, assurant dans son temps libre la communication et le marketing de l’activité. Tous deux partagent une sensibilité aiguë au devoir de mémoire, nourrie par des histoires familiales fortes, marquées par la distance, les silences et les transmissions incomplètes.

« C’est un projet de couple, insiste Loïc. On l’a imaginé ensemble, nourri de nos histoires, de nos grands-parents, et de ce besoin commun de laisser une trace. » Ensemble, ils ont bâti une entreprise à leur image : modeste, chaleureuse, ancrée dans l’humain. Pas de rêve de licorne, mais une ambition simple et puissante : « Mon espoir, c’est que des familles puissent se dire un jour : heureusement qu’on l’a fait à temps. »

 

 

 

Pour que rien ne s’efface

Et si la mémoire devenait un geste du présent, avant d’être un regret du passé ?
À l’heure où nos sociétés vieillissent, où les liens se distendent parfois entre générations, Ma fabrique des souvenirs propose un outil simple, humain, accessible. Il invite à tendre le micro avant qu’il ne soit trop tard, à recueillir les rires, les silences, les accents et les récits.

Et si cette démarche trouvait aussi un écho chez celles et ceux dont les mémoires ont été fragmentées par l’exil, l’oubli ou l’histoire ? Loïc de Chabot ne prétend pas détenir les réponses, mais son initiative, née d’un besoin personnel, trace un chemin. À chacun de s’en emparer, pour qu’aucune vie ne se raconte seulement en creux.


 

Commentaires

Sujets du moment

Flash infos