Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 2

Lescure: « Ceux qui nous nourrissent sont en train de mourir de faim »

Roland Lescure loi agricultureRoland Lescure loi agriculture
Écrit par Justine Hugues
Publié le 3 juin 2018, mis à jour le 3 décembre 2020

Président de la commission des affaires économiques à l’Assemblée, le député de la 1ère  circonscription des Français de l’étranger a joué un rôle important dans la genèse et le vote de la loi agriculture et alimentation, dite loi EGAlim. Il revient avec nous sur quelques objectifs de la loi et la très controversée décision de ne pas y inscrire l’interdiction du glyphosate. 

8 mois de travaux préparatoires, 40h de débats en commission des affaires économiques et 77 heures en hémicycle : cela aura été le préambule nécessaire à l’adoption de la loi EGAlim. Quelques uns des points ont été votés sur fond d’échanges tendus entre les députés. Parmi eux : le bio dans les assiettes de nos enfants et le glyphosate comme produit d’épandage de nos agriculteurs.

 

 

Lepetitjounal.com : Les engagements du Grenelle de l’environnement et le plan « développement de l’agriculture bio : horizon 2012 » prévoyaient déjà l’introduction de 20 % de produits bio en restauration collective publique. Or, les résultats sont aujourd’hui très modestes (au dessous des 5%). En quoi l’article 11 du projet de loi agriculture et alimentation permettra-t-il d’atteindre l’objectif ?

 

Roland Lescure : La recherche de diversification et d’amélioration de la qualité des produits proposés en restauration collective a fait l’objet de nombreuses initiatives nationales comme locales. Il s’agit de valoriser l’ancrage territorial de l’approvisionnement des cantines, de recourir davantage aux productions de l’agriculture biologique ou des produits qui bénéficient de labels ou de signes de qualité. Les bénéfices sont multiples : l’amélioration de la qualité nutritionnelle et gustative des repas servis, les retombées économiques positives pour les producteurs locaux, l’effet de levier de la demande issue de la restauration collective sur le secteur du bio, les externalités environnementales positives de l’approvisionnement en circuits courts. Le principal frein à la montée en gamme des repas servis en restauration collective est, naturellement, le prix. 

Ainsi, pour la restauration collective publique, en particulier, les marges de manœuvre financières sont très limitées. Dans ce contexte, jusqu’à présent, la loi a fixé plusieurs caps d’amélioration de la qualité des repas servis.

L’article 11 du projet de loi prévoit de renforcer les obligations applicables aux personnes morales de droit public qui ont la charge d’un service de restauration collective - notamment les services de l’État, les collectivités territoriales ou encore les établissements sociaux et médico-sociaux.

Il s’agit d’élargir les critères pour permettre un accès à une alimentation saine, sure, durable et accessible à tous. La restauration collective publique devra proposer, dans la composition des repas servis, une part « significative » de produits présentant au moins l’une les caractéristiques suivantes :

  • être issus de l’agriculture biologique ;
  • bénéficier d’un signe, label, appellation d’origine, indication géographique ou d’une mention valorisante comme la mention « produit de montagne », « produit fermier » ou « produit pays » ;
  • satisfaire de manière équivalente aux exigences qui permettent aux produits d’accéder aux signes ou mentions précitées ;
  • être acquis en tenant compte du coût du cycle de vie du produit

 

Concernant l’opportunité de légiférer sur l’offre de repas végétariens dans les cantines scolaires, vous mentionniez dans l'Hémicycle qu’il y en a partout au Canada, sans que cela ne soit dans la loi. Comment évaluez-vous la position de la France dans ce domaine (menus bio et végétariens dans la restauration collective) par rapport aux pays de votre circonscription? 

Nous n’avons pas fait de recherche exhaustive à ce sujet mais cette réponse se fonde sur l’état d’esprit et les pratiques canadiennes. Un sondage, mené par l’Université de Dalhousie, montre que la nouvelle et jeune génération canadienne est plus tenté par végétalisme que la génération précédente. L'enquête indique que les personnes âgées de moins de 35 ans sont trois fois plus susceptibles de se considérer végétariens ou végétaliens que les personnes de 49 ans ou plus. Implicitement, cela incite l’industrie agro-alimentaire à s’adapter et donc à proposer une option végétarienne. 

A ce jour, les pratiques ne se sont pas implémentées en France. Il y des initiatives locales, sans toutefois une généralisation à l’ensemble du territoire. Par exemple à Bègles (Gironde) où la cuisine centrale sert un repas végétarien par semaine. Sur 2 400 repas, 300 menus végétariens sont servis chaque jour, soit cinq fois plus qu'il y a trois ans.

 

 

Seul député des Français de l’étranger à être présent en séance lors du vote sur l’interdiction, dans les trois ans, du glyphosate, vous avez voté contre. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Un certain nombre d’entre vous m’ont interpelé sur le projet de loi EGAlim ou m’ont reproché mon vote contre l’inscription dans la loi de l’interdiction du glyphosate. Ces interpellations sont légitimes. Je souhaite y répondre en appréhendant le problème dans son ensemble. 

Depuis quelques années, le monde agricole connait sa crise la plus dramatique et la détresse a gagné les campagnes : un agriculteur sur deux perçoit un revenu inférieur à 350€ net par mois, une exploitation en France disparait toutes les 15 minutes, le taux de suicide des agriculteurs en 2016 a triplé en un an, c’est 25% supérieur à la moyenne nationale. Ceux qui nous nourrissent sont en train de mourir de faim. 

En même temps, les scandales à répétition dans l’agroalimentaire et les recherches sur le lien entre l’alimentation et la santé publique ont exalté chez le consommateur une demande croissante pour une alimentation plus saine, plus durable et plus en phase avec la préservation de l’environnement. 

Fort de ce constat, le gouvernement a rassemblé, dès sa prise de fonction, toutes les parties prenantes autour de la table, créé un dialogue, condition sine qua none de la réussite sur le long terme : les États Généraux de l’alimentation de juillet à décembre 2017. Ainsi, en concertation avec tous les acteurs, la majorité et le gouvernement ont abouti à un projet de loi pour changer le modèle économique du secteur agricole tout en garantissant une transition vers une agriculture et une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous. 

Cette loi donne à nos agriculteurs le pouvoir de vivre décemment de leur travail. En même temps, elle responsabilise ces derniers pour monter en gamme et accélérer la transition agricole dans chaque filière. Comment ? Par exemple en renforçant leur rôle dans la négociation des prix. 

Cette loi donne le pouvoir aux intermédiaires de définir une stratégie commerciale viable. En même temps, elle les responsabilise en cadrant et en contrôlant les pratiques agricoles pour assurer une meilleure qualité et une meilleure traçabilité. Comment ? Par exemple, en luttant contre les pratiques commerciales déloyales dans la grande distribution. 

Cette loi donne le pouvoir au consommateur d’avoir accès à un large choix d’aliments sains, sûrs et durables. En même temps, elle les responsabilise pour qu’ils deviennent des « consom’acteurs », prêts à payer le prix pour la qualité auquel ils aspirent. Comment ? Par exemple, en imposant aux cantines de servir 50% de produits de qualité et au moins 20% de produit bio ou encore en renforçant l’étiquetage de certains produits afin de mieux renseigner le consommateur. 

L’examen de la loi agriculture et alimentation illustre bien la complexité du monde dans lequel nous vivons. Dans une société, les intérêts divergent et le pouvoir politique a alternativement choyé une partie de la population au détriment d’une autre : on a pu favoriser le consommateur pendant un temps avant de faciliter le travail du producteur pendant une autre période, toujours au détriment de l’un et l’autre et en pariant sur la fidélité électorale qui en découlerait. 

Pour finir, parlons du glyphosate. Trop souvent passer par la loi permet aux politiques de se laver les mains d’un problème sans le résoudre en profondeur. Interdire le glyphosate d’ici trois ans, comme un couperet alors qu’une alternative n’a pas été trouvée à ce stade, mettrait le fardeau uniquement sur nos agriculteurs, qui sont déjà dans une détresse inédite. Alors que la France a réussi à baisser de 10 à 5 ans, l’autorisation de renouvellement du glyphosate en Europe, nous devons être exemplaires au niveau national : demander à l’ensemble des acteurs d’être responsables, de s’organiser pour établir des plans de sortie du glyphosate crédibles et ensuite montrer la voie à l’Europe. Il faut responsabiliser, tout en respectant les engagements du Président de la République, et rester en phase avec les attentes des agriculteurs, des consommateurs et des intermédiaires.

Loin de moi l’idée d’être en faveur du glyphosate dans nos champs et dans nos assiettes mais l’esprit inédit de concertation de tous les acteurs menés depuis les États généraux de l’alimentation me paraissait incompatible avec l’interdiction dans la loi des phytosanitaires d’ici trois ans. 

De manière générale, je préfère la responsabilisation et la cohésion à la coercition. L’ensemble des acteurs (politiques, agriculteurs, industriels, chercheurs, etc.) ont toutes les cartes en main pour transformer l’essai. Stéphane Travert, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, a dévoilé en avril son plan d’action pour réduire la dépendance de l’agriculture aux produits phytopharmaceutiques. Si les acteurs ne saisissent cette opportunité, comme l’a dit notre président de groupe, Richard Ferrand, la loi sera inéluctable. Christophe Castaner, Secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, a d’autant plus précisé qu’un groupe de travail va être mis en place pour surveiller cette transition : « La confiance n’exclut pas le contrôle ». 

En tant que président de la commission des affaires économiques, je suivrai de près cette transition et veillerai personnellement à ce que son interdiction soit inscrite dans la loi si les acteurs ne font pas face à leurs responsabilités dans les 18 mois.

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions

    © lepetitjournal.com 2024