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Mariana Martins : “la multiculturalité me suit durant toute ma carrière”

Ancienne élève du lycée français de Brasilia, Mariana Martins est la plus Française des Brésiliennes. Aujourd’hui installée à Miami où elle travaille pour le Centre pour la politique de l’air pure (CCAP), elle a profité de chacune de ses riches expériences pour étendre son ouverture sur le monde. Institutions internationales, développement des pays émergents et francophonie sont au programme de notre long entretien avec Mariana Martins.

Mariana Martins Clean Air Policy TogoMariana Martins Clean Air Policy Togo
Écrit par Teddy Perez
Publié le 14 mars 2024, mis à jour le 20 mars 2024

Vous avez suivi votre scolarité au sein du Lycée français François Mitterrand à Brasilia. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Cela a eu un très grand impact dans ma vie. J'ai commencé à l’établissement François Mitterrand quand j'avais environ sept ans, un peu par hasard. Mes parents sont brésiliens mais ma mère a toujours bien aimé la France et le style européen d'éducation. Elle voulait me donner l'opportunité de pouvoir étudier à l'étranger si j'en avais envie au lieu de rester dans le système brésilien d'éducation. En alternative de l'école américaine, il y avait l'école française qui, à l'époque, était très petite avec 300 élèves de la Maternelle jusqu'à la Terminale. Aujourd'hui, elle est beaucoup plus grande. Professionnellement, cela m'a ouvert les portes de l'Europe et même du monde pour faire des études supérieures. J'ai passé un baccalauréat reconnu en Europe, je pouvais aller n'importe où au sein de l'Union européenne.

 

Le lycée français était ainsi un tremplin en matière d’ouverture sur le monde ?

Le lycée français est très fort en langues. Non seulement cela m'a ouvert des portes vers la France, mais aussi vers une certaine multiculturalité qui me suit lors de ma carrière personnelle. À travers l'école, c’est là on se forme en tant que citoyen. Je suis devenue très franco-brésilienne même si je n'ai pas de passeport français. Je suis très française dans ma vision du monde - même si je suis 100 % brésilienne - une double-identité qui n'est pas officielle disons.

 

Mariana Martins durant sa Première au Lycée français de Brasilia (2011-12)
Mariana Martins durant sa Première au lycée français de Brasilia (2012)

 

Justement, vous poursuivez vos études en France après le Lycée français ?

J'ai décidé de continuer mes études en France à Sciences Po. J'étais au sein du campus euro-américain de Reims, la ville du champagne ! Le campus euro-américain est focalisé sur les matières de sciences politiques, sciences sociales, avec un aspect transatlantique et une focalisation sur la relation entre l'Europe et les Etats-Unis. J'ai poursuivi mes études à Sciences Po au campus de Paris dans un Master en anglais en économie et business.

 

Votre carrière professionnelle a démarré tambour battant, au sein de plusieurs hautes organisations mondiales. Comment cela a été possible ?

Très tôt, j’ai été attirée par les instances internationales. Je dirais que cela a commencé dès mes 14 ans, lors du stage de terrain où nous devons aller au sein d’une entreprise pendant quelques jours. J’ai fait mon premier stage au sein de l’ambassade de Suisse, un secteur professionnel qui me plaisait davantage au départ. Puis j’ai réalisé un deuxième stage à la Banque mondiale pour avoir ce parallèle entre ces deux environnements. En poursuivant mes études à Sciences Po, j’ai pu avoir de nouvelles opportunités dans le domaine international et me construire un réseau de networking avec des personnes qui venaient de l’étranger. J’ai ainsi profité de toutes ces expériences pour grandir au sein d’un milieu dont je n’étais pas issue. Mes parents étaient militaires, très loin donc de l’économie ou de la politique internationale.

 

Après la Banque mondiale, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) s’ouvre à vous. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Juste avant l’OCDE, j’ai travaillé au sein de l’UNESCO à la fin de mes années universitaires lors d’un projet professionnel avec un organisme de l’OMC. Après cela, je ne savais pas trop si l’ONU était l’organisme qui me convenait le plus. J’ai profité d’une année de césure, entre l'obtention de mon bachelor et l’entrée en master pour travailler et avoir plus d’expériences professionnelles. C’est à ce moment que j’ai candidaté à l’OCDE, au sein d’une mission en analyse politique publique dans l’équipe qui était justement chargée du Brésil. À l'époque, le Brésil faisait beaucoup d’efforts pour intégrer l’OCDE mais c’était aussi le début de la présidence de Jair Bolsonaro (2019-2023). Ainsi, les échanges étaient très actifs avec Brasilia. L’organisation analysait la situation économique et sociale du pays, leur donnait des conseils pour leur permettre d’améliorer les politiques publiques et intégrer éventuellement un jour l’OCDE.

Une fois ce travail terminé, j’ai pris un nouveau poste de consultante à la Banque mondiale au Brésil. Je me suis rapidement rendu compte qu’il était difficile d’évoluer à des postes à plus hautes responsabilités. J’enchaînais les postes de consultante. Alors, j’ai commencé à regarder ce que je pouvais dans le domaine privé et trouver une activité à l’international et multiculturelle.

 

Mariana Martins, Consultante à la Banque mondiale en 2019
Mariana Martins, Consultante à la Banque mondiale en 2019

Puis vous vous éloignez de votre premier amour pour les instances internationales en vous concentrant sur l’accompagnement entrepreneurial en matière de développement durable. Quelles ont été les raisons de ce nouveau choix ?

Je me voyais rester en France quelques années en plus. Malheureusement, avec la crise sanitaire, j’étais loin de ma famille qui était au Brésil, de mon copain qui était à Miami et j’étais vraiment isolée dans mon appartement à Paris. Une fois l’été 2020 passé, la vie a repris et j’ai été diplômée de mes études à Sciences Po. J’ai commencé à postuler en France mais j’ai rencontré beaucoup de difficultés car je n’étais pas européenne. Après réflexions, je suis allée aux Etats-Unis rejoindre mon copain et une fois là-bas, tout est allé très vite. Au Brésil et en France, les choses ne bougeaient pas beaucoup à cause du Covid-19. Aux Etats-Unis, c’était un monde à part. Il a eu des effets d’accélération plutôt que de récession. Il y a beaucoup d’entreprises de New York et de la Silicon Valley en Californie qui ont déménagé et se sont installées en Floride pas simplement pour son climat tropical, mais car les mesures sanitaires étaient - il faut l’avouer - moins strictes. Ainsi, le milieu des nouvelles technologies s’est vraiment développé. L’emplacement géographique de Miami et ses problématiques climatiques ont notamment favorisé la création de startups à impact qui ont saisi ces missions environnementales.

 

Un changement de carrière qui n’a pas dû être si simple ?

C’était une période de transition dans ma vie. De changement de carrière mais pas seulement. C’était la fin de mes études, le début d’une vie à deux, le changement de pays… Tout cela compte et ce n’est pas simple. J’étais curieuse de la “tech”, où l’on  entend beaucoup parler des entreprises comme Google, Facebook, etc. avec des millenials et Gen Z qui y travaillent dans une ambiance décontractée, avec des tables de ping pong dans les bureaux… Il y avait quelque chose d'amusant que je voulais tester. J’avais aussi l’occasion de renforcer mes capacités en économie et en technique de création d’entreprise, de stratégie. J’y suis allée avec cette perspective de curiosité, d'ouverture d’esprit. Après deux années, j’ai beaucoup appris mais le rythme de vie de l'entreprenariat, extrêmement intense, ne correspondait plus avec mes priorités. Personnellement, j’ai presque fait un burn-out, j’ai décidé de faire une pause et de me réorienter vers les relations internationales.

 

Workshop de discussion autour de la gestion durable des déchets à Lomé
Workshop de discussion autour de la gestion durable des déchets à Lomé, en 2024

Où en êtes-vous désormais ?

En janvier 2023, je sors du monde de la tech. Quatre mois plus tard, je rejoins le Center for Clean Air Policy (Centre pour la politique de l’air pur), un think tank basé à Washington lancé dans les années 80. Jusqu’au début des années 2000, il s’est focalisé sur la politique environnementale américaine et le grand problème des pluies acides. Dans les années 2000, la politique environnementale est devenue davantage d’actualité dans les pays en développement. Les pays développés étaient aussi prêts à soutenir financièrement les pays dans ce besoin. Le CCAP s’est ainsi recentré sur les pays émergents, se concentrant sur les pays du continent. Cela fait environ cinq ans que le CCAP commence à aller dans de nouveaux continents, l’Asie et l’Afrique notamment. J’ai rejoint l’organisation pour travailler avec les pays de l’Afrique francophone. Nous sommes chargés d’installer des projets concrets de transition climatique au sein de ces pays. Cela passe par la mise en relation d’acteurs des secteurs concernés, des politiques publiques. Par exemple, j’étais il y a quelques semaines au Togo et nous les avons aidés à créer une feuille de route nationale pour réduire leurs émissions de gaz et de méthane dans une gestion de déchets durable.

 

Avec votre recul et votre expérience du pays, est-ce que le Brésil peut concilier son développement économique et son développement durable ?

Je pense surtout que cela est nécessaire. Et le Brésil prend en considération le changement climatique au sein de sa croissance économique depuis seulement quelques années. Au niveau de l’agenda mondial, cela devient de plus en plus une priorité. Je dirais même que la croissance économique ne peut s’imaginer qu’avec des solutions plus durables car nos ressources sont limitées. Les pays développés et en développement voient cela comme une opportunité plutôt qu’un défi, et s’entraident davantage. Nous étions longtemps dans une vision Nord-Sud, d’opposition. Désormais, nous nous rendons compte qu’il n’y a qu’un seul monde.

Pendant longtemps, le Brésil était vu comme un exemple de pays capable de concilier les développements social et économique avec le développement durable. Durant quelques années, il y a eu une pause radicale avec la présidence Jair Bolsonaro. Depuis le retour de Lula, nous retrouvons cette position de soft power écologique grâce à nos ressources écologiques, notamment en Amazonie. Notre matrice énergétique n’est ni le nucléaire ou le charbon, mais l’hydraulique, une énergie renouvelable.

 

Visite d'un site de recyclage de plastique, à Lomé
Visite d'un site de recyclage de plastique, à Lomé (2024)

 

Et la France dans tout cela ?

(rires) Je suis très connectée à la France, elle fait partie de moi. Je ne suis pas officiellement française mais je me sens comme telle. À Miami, j’ai beaucoup d’amis français. Dès que je peux me reconnecter à elle, en allant dans une boulangerie française ou autre, je le fais… Je me vois aux Etats-Unis pendant encore quelque temps pour croître professionnellement. Cependant, je reste très française dans quelques aspects de ma personnalité, et surtout très européenne dans ma mentalité. Je compte y rentrer un jour et j’y retourne même dès cet été en vacances.

 

Le mois de mars est celui de la francophonie. Au Brésil, quelle place a-t-elle ?
Il existe une admiration de la culture française, cette impression que la France est un pays très élégant et de la gastronomie. Le soft power à la française attire les Brésiliens. Le français est plutôt appris comme deuxième langue, ou parfois l’espagnol et est davantage enseigné dans la volonté de s’exporter en Europe. Géographiquement, il y a aussi la Guyane qui est frontalier.

Dans les écoles, ce sont toujours l’anglais et l’espagnol qui sont enseignés de manière très basique. Malheureusement, les jeunes n’arrivent pas à dominer les langues lorsqu’ils sortent de l’école. Le français est ainsi une option choisie par les personnes qui sont motivées d’une part ou par les classes moyennes et plus élevées. Elles ont cet attrait pour la France.

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