Installé depuis 15 ans au Mexique, Fréderic Boulay a eu le temps de monter deux entreprises. Le Français est aussi à la tête de la Fondation « Vivir con Salud », un organisme qui s’est donné comme objectif de fournir des lunettes à tous les Mexicains dans le besoin.
Au Mexique, 38 millions d’habitants (sur environ 127 millions au total) souffrent d’un problème de vision. La plupart d'entre eux n’ont pas les moyens d’aller chez un opticien. Pour d’autres, le problème est l’isolement et le manque de spécialistes et de boutiques, notamment dans les régions les plus reculées. Et pour rappel, au Mexique, il n’existe pour le moment aucune assurance pour les lunettes. ‘’Il faut compter environ 1.200 pesos [NDLR : un peu plus de 50 euros] pour une paire de lunettes classique, et jusqu’à 5.000 pour un modèle plus avancé’’, explique Frédéric Boulay, à la tête de la fondation Vivir con Salud, un organisme chargé de venir en aide aux personnes souffrant de problèmes de vue.
Mexicain de cœur et naturalisé, Frédéric Boulay voulait faire quelque chose pour aider « à son petit niveau » son pays d’adoption, dans lequel il est installé depuis maintenant 15 ans. L’idée de Vivir con Salud lui est venue après une rencontre avec le directeur général d’Essilor, une société française chargée de concevoir et de commercialiser des verres correcteurs et des équipements d'optique ophtalmique. « J’ai découvert les lunettes « ready-to-clip » proposées par Essilor. Ce sont en fait des verres pré-taillés et interchangeables, adaptables aux patients. Ce système permet de faciliter le diagnostic, et d’être ainsi capable de réaliser une monture entre 10 et 15 minutes. Pour nous, c’est aussi la préférence française, donc c’est tant mieux ! »
Une fondation mobilisée dans tout le Mexique
Vivir Con Salud intervient lors de journées de santé visuelle, dans les villes mais aussi dans les recoins les plus isolés -et parfois dangereux- du Mexique. Accompagnés d’optométristes professionnels, les membres de la fondation proposent lors de ces opérations des diagnostics et des ventes de lunettes à tarifs réduits pour tous.
« Une fois le matériel installé, plusieurs tables sont à dispositions des patients. À la première, c’est le diagnostic, toujours gratuit. Ensuite, si la personne a besoin de lunettes, elle se dirige vers la deuxième table et choisit ses verres, ainsi que sa monture », détaille Frédéric.
Il précise : « Pour les astigmates, personne n’est en mesure de les traiter sur le moment, ils doivent forcément aller en laboratoire. Cela me fend le cœur, mais on ne peut pas faire grand-chose pour eux. Même problème, 7% des personnes que nous traitons souffrent d’un début ou d’une cataracte déjà développée. Nous pouvons les diagnostiquer, mais l’opération doit avoir lieu dans un hôpital ».
La Fondation Vivir Con Salud vient en aide à toutes les classes sociales, même si les plus modestes sont évidemment les plus touchées par le problème. « Nous voyons de tout : des artisans, des familles, des conducteurs de taxis ou de camions, des jeunes scolarisés ayant des difficultés à lire. Pour que le système soit autosuffisant et durable, les lunettes que nous achetons à Essilor sont vendues à un prix moyen de 140 pesos [NDLR : environ 5 euros]. Les patients ne sont jamais forcés d’acheter. »
Plus de 50.000 lunettes délivrées
En 3 ans d’existence, Vivir Con Salud, c’est plus de 60.000 personnes diagnostiquées et plus de 50.000 lunettes délivrées, pour environ 350 jours d’opérations. C’est aussi la seule fondation de ce type capable de se déplacer dans le Mexique et de proposer, en si peu de temps, une paire de lunettes adaptée au patient. « Nos bureaux sont remplis de caisses de verres, de lunettes, et de kits de diagnostic ! Quand on part en opération, c’est tout une expédition. Notre objectif, c’est d’atteindre un million de lunettes délivrées dans les trois prochaines années.»
Accompagné de sa femme, avec qui il a co-fondé l’association, Frédéric profite de ses contacts et du réseau qu’il s’est construit depuis son arrivée en 1993. « Il faut agiter beaucoup de cloches avant d’en avoir quelques-unes qui tintent », ironise-t-il.
Frédéric espère rencontrer prochainement le président de la république fraîchement élu, Andrés Manuel López Obrador, pour lequel il ne cache pas ses doutes. « Je pense que la situation est dangereuse car il n’a pas les moyens de faire ce qu’il propose. Je ne vois pas le meilleur pour la santé et la pauvreté au Mexique dans les prochaines années. Avec ce qu’on voit sur le terrain, difficile d’entrevoir une amélioration. »
Comment tenir la cadence ?
En plus de la fondation, Frédéric est à la tête d’une agence de conseils en santé et d’une entreprise d’événements sportifs. Autant vous dire que les journées du franco-mexicain sont bien remplies ! « Avec ma femme, nous ne dormons pas beaucoup. Il y a des semaines où nous mangeons des pâtes et des patates, mais nous sommes heureux d’avoir de beaux projets et de pouvoir rendre au Mexique ce qu’il nous a donné. »
Ultra-marathonien, Frédéric participe aux « Ironman », des épreuves d’endurances extrêmes mêlant natation, cyclisme et marathon. « Je cours plusieurs heures tous les jours. Au mois d’août de l’année dernière, j’ai terminé 38e d’un marathon au Costa Rica. J’ai déjà fait celui de Paris cinq fois. À l’Ironman, je fais en moyenne 11 heures. C’est un peu de la folie parfois, mais le sport, c’est ma vie. »
Se vider la tête, pour tenir le rythme infernal que l’athlète s’impose. « Lors d’opérations, nous allons dans des endroits dangereux et reculés, où les personnes ne parlent pas espagnol, n’osent parfois pas nous parler. Nous avons vécu des moments assez traumatisants ». Pourtant, rien ne semble dévier Frédéric Boulay de son objectif : « C’est aussi simple que cela : les Mexicains qui ont besoin d’avoir des lunettes doivent pouvoir avoir des lunettes ! »