Etabli au Mexique depuis 14 ans, ce Français est le dirigeant fondateur d’une entreprise de produits bio et de trois boulangeries. Très investi dans l’entreprenariat social, Mathieu rêve d’un Mexique plus juste, où les campagnes retrouveraient une place de choix.
Chez les Dornier, l’agronomie se transmet de génération en génération. D’un naturel curieux et hyperactif, Mathieu passe les premières années de sa vie professionnelle à toucher à tout dans la filière agricole. « De la production jusqu’à la grande distribution, je voulais voir ce qui me plaisait le plus ». En 2014, alors qu’il avait postulé pour le Chili, il débarque à Mexico, comme VIE chez Carrefour. Responsable du développement de la filière qualité de l’entreprise, Mathieu confirme son besoin d’indépendance. « Je ne voulais pas dépendre d’une équipe dirigeante, je n’étais pas toujours en accord avec ma hiérarchie ». Ni une, ni deux, Campo Vivo voit le jour.
« Il y avait un énorme potentiel dans l’agriculture bio au Mexique »
« Au Mexique, il y a de gros problèmes de santé publique, associés au développement d’une classe moyenne. Le pays importe 50% de son alimentation. J’ai réalisé le potentiel énorme qu’il y avait pour l’agriculture bio », raconte-t-il. Associé à quelques compères agronomes et entrepreneurs, Mathieu « fait le ménage » dans un marché alors réservé à une élite. « Cela a été un peu poussif au départ, avec des prix réduits pour démocratiser l’accès aux fruits et légumes bio ». La marque Campo Vivo développe ses produits et sa couverture géographique. Aujourd’hui, l’entreprise propose 150 produits commercialisés dans 1.500 points de vente, sur l’ensemble du territoire mexicain. Pour l’approvisionnement, Campo Vivo privilégie petit et local. « On essaie tant que possible de choisir des producteurs dans les Etats frontaliers à Mexico d’où part la distribution. On travaille avec quelques coopératives mais ce sont surtout des petits producteurs qui ont moins d’un hectare de terres et produisaient jusque là pour l’autoconsommation ou la vente à des prix dérisoires », explique Mathieu.
En payant les producteurs trois fois le prix du marché, l’entreprise arrive pour autant à être seulement 15% plus chère que ses concurrents, tout en maintenant une croissance à deux chiffres - de 50% l’an dernier. « On travaille main dans la main avec nos producteurs, sur toute la filière : on développe les variétés, on aide à la production et à la commercialisation », expose Mathieu. En étant distribués en grandes surfaces, les produits Campo Vivo ont conquis une large palette de consommateurs, des « millenials » engagés aux quadragénaires plus sceptiques.
10 vies en une
Tandis que Mathieu est sélectionné par le programme international Endeavor, qui soutient et accompagne les entrepreneurs à fort impact économique et social, il regrette de consacrer trop de temps à la gestion, s’éloignant de la terre et des métiers manuels. « J’aimais moins ce que je faisais. Mon grand père était meunier et l’idée me trottait dans la tête de faire de la boulangerie ». Aussitôt dit, aussitôt fait. Le Français plonge son nez dans les bouquins, passe des nuits dans des boulangeries françaises, avant d’ouvrir l'enseigne La Bohème dans la capitale mexicaine. Une nouvelle réussite avec, aujourd’hui, trois boutiques qui ne désemplissent pas.
Un entrepreneur engagé, plus « chilango » que français
Ayant perdu, petit, ses deux sœurs ainées de leucémie, Mathieu a baigné dans le milieu associatif. C’est donc tout naturellement qu’il entre au comité d’administration de la fondation « Renacimiento », qui œuvre auprès des enfants des rues de la capitale. « On accueille les jeunes et on essaie de les réintégrer dans leur milieu familial et scolaire. On les aide à se construire un avenir », résume Mathieu. Une fois encore, il ne s’investit pas à moitié : il trouve des entreprises partenaires parmi ses contacts pour financer les projets, monte un centre de formation à la boulangerie et accueille chez lui un jeune garçon handicapé issu de la fondation.
L’accent ne trompe pas, ni la nationalité de ses enfants. Mathieu est, dans son pays d’adoption, comme un poisson dans l’eau. Il n’est pas tendre pour autant avec la situation politique et sociale au Mexique. « On a touché le fond en politique, alors que le potentiel de ressources est incroyable », regrette-t-il. « L’agriculture survit, les consommateurs meurent. Une croissance qui marginalise les campagnes ne sera jamais saine », analyse-t-il. « Il y a beaucoup de copinage entre les politiques et les entrepreneurs. A coups de « je finance ta campagne, tu m’aides pour les impôts », on a des affaires de corruption qui relèvent de la science fiction ».
Selon Mathieu, les entrepreneurs sociaux ont un rôle clé pour renverser ce panorama. Un rôle qu’il entend bien continuer d’endosser, dans la capitale ou en province, au Mexique ou dans son Hexagone natale.