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Ricardo Ramos : Déchets plastiques transformés en œuvre d´art

Ricardo RamosRicardo Ramos
Ricardo Ramos ©S. Ferreira
Écrit par Sylvie Ferreira
Publié le 13 septembre 2019, mis à jour le 20 septembre 2023

Natif de Lisbonne, Ricardo Ramos parcourt les plages portugaises, muni de plusieurs sacs où il récolte tous les déchets en plastique se trouvant sur son chemin. Ensuite, son âme d'artiste prend le relais. Il emboîte une à une, toutes les pièces ramassées et transforme le tout en une œuvre d'art en forme de poisson. Original! Une manière, pour lui, d'alerter les citoyens sur l'omniprésence du plastique sur terre et le mauvais usage qui en est fait. A travers son exposition Rethink by Xicogaivota1, il partage ses trouvailles et souhaite éveiller une prise de conscience chez les consommateurs. Ses oeuvres sont exposées au Reservatório da Mãe d'Água à coté du jardin des Amoreiras jusqu'au 6 octobre. Ricardo Ramos s'est confié au Lepetitjournal/Lisbonne, sur cette nouvelle activité à laquelle il se consacre aujourd'hui à temps plein.

 

Lepetitjournal.com : Quelle relation entretenez-vous avec le milieu marin ?
Ricardo Ramos : Je suis très proche de la mer. Depuis mon plus jeune âge, je vais régulièrement à la plage. Avant de me consacrer à cette nouvelle activité, j'étais pêcheur. J'ai toujours été en contact permanent avec le milieu marin de par mon ancien métier.
 

D'où est venue cette idée de récolter des déchets et de les transformer en "poissons" ?
L'idée est assez récente. J'ai commencé  cette activité il y a deux ans, c'était  en décembre 2017. Les fêtes de Noël approchaient et la fin de l'année était un peu difficile, la pêche n'avait pas été bonne et il y avait beaucoup de plastiques dans l'eau. Donc, j'ai décidé de me rendre sur les plages avec mes enfants, afin de ramasser les déchets pour en faire des cadeaux. C'est de cette manière que cette vocation est née puis cette exposition a pris forme.  Depuis, je suis « accro » et je récolte constamment de nouveaux objets sur les plages. Le fait de découvrir de nouvelles pièces, de ne pas savoir sur quoi nous allons tomber, me rend assez dépendant.

Poisson - Ricardo Ramos

Selon quels critères choisissez-vous les plages dans lesquelles vous vous rendez ?
Je privilégie les plages peu prisées par les touristes et assez éloignées telles que a Praia Grande, Praia das Maçãs ou encore à Praia da Ursa. J'évite les plages privées. Parfois, j'y passe devant en voiture, et si je vois un déchet qui m'intéresse, je m'arrête et je le récupère. Je ne m'y attarde pas.
 

Depuis vos débuts, combien de tonnes de déchets avez-vous ramassé ?
Je repars toujours avec des sacs de course et des cabas remplis mais je ne les pèse pas, cependant j'en ai une idée approximative, par exemple, pour mon exposition au Reservatório da Mãe d'Agua das Amoreiras, je sais qu'il y a environ 1,5 tonnes de déchets. Par contre, je pèse chacune de mes oeuvres une fois finie. Le poids varie en fonction de la taille de l'oeuvre, il y a des poissons qui pèsent jusqu'à 20 kilos.

 
Quels sont les objets les plus étonnants que vous ayez trouvé ?
À vrai dire, chaque fois que je me rends sur une plage pour récolter des détritus de plastique, je trouve des choses étonnantes et inattendues. J'ai récupéré un seau géant avec du ciment encore à l'intérieur, des fils d'électricité, des tubes d'irrigation, des briquets, des centaines de brosses à dent, des sièges de chaise, etc. Il y a également des pièces très anciennes, je retrouve beaucoup de bracelets de pêche et l'un d'entre eux datait de 1990. Mais une fois, je suis tombé sur un objet m'appartenant, et j'ai véritablement été surpris. Lorsque j'étais pécheur, il m'est arrivé de chavirer plusieurs fois avec les vagues et à cause du mauvais temps. Trois ans plus tard, j'ai retrouvé une de mes pièces dont je me servais pour pêcher. C'était une petite ceinture que j'avais confectionné pour tenir la canne à pêche sur le bateau. J'ai été vraiment très surpris.
 

Reservatório Mãe d´Agua

Y-a-t-il des objets que vous retrouvez régulièrement ?
Je retrouve très régulièrement, voire toujours, des tongs de plage.  Au Cap Vert, j'en ai ramassé plus de 1000 ainsi que des coton-tige. Sur moins de 100 mètres de plage, il m'est arrivé d'en récolter plus de 600. C'est effarant. Plusieurs sondages publiés sur Internet révèlent que les mégots sont les principaux déchets que l'on retrouve sur les plages. Mon bilan est tout autre. J'en trouve quelques-uns mais ce n'est pas qu'il y a en plus grande abondance.
 

Comment se passe l'assemblage d'une oeuvre ?
Je commence premièrement par concevoir le poisson dans ma tête. En une semaine, approximativement, j'arrive à m'imaginer le résultat final. Je sais à quoi il va ressembler et j'ai conscience des problèmes auxquels je vais être confronté. Ensuite, je passe à l'assemblage. Je commence par la queue et je finis par la tête. A savoir que je garde et j'utilise les pièces telles que je les récupère. Je ne les découpe pas, je ne les lave pas. Certaines personnes n'approuvent pas cette idée, mais si je nettoie chaque pièce ça n'a pas de sens, d'après moi. C'est comme si j'effaçais l'identité, l'histoire et le vécu de cette pièce. Je n'utilise pas de colle, seulement des vis en inox.
En fonction de la taille du poisson, la durée peut varier. Je peux en faire un en 5 ou 7 heures, ou alors en 1 semaine. Il m'arrive également de faire un seul poisson par mois. Les pièces me guident, et tout s'emboîtent parfaitement. Je sais que cette place est pour telle pièce et il faut donc que je trouve la bonne pièce.


Comptez-vous toujours garder la même forme de poisson ?
J'ai commencé par faire des poissons car c'est ce qui me semblait logique. Pour moi, étant pécheur et récupérant les déchets sur les plages, c'était normal de garder et représenter cet univers marin au travers de mes oeuvres. Maintenant, je m'éloigne, progressivement, des espèces marines.
 

Etes-vous toujours accompagné de vos enfants ?
Non. Ils m'accompagnent quelquefois mais généralement je pars ramasser les déchets seuls. J'ai pour habitude de partir assez loin, les plages sont difficiles d'accès, il faut beaucoup marcher. J'y reste environ cinq heures et je suis tellement concentré qu'il peut m'arriver de ne pas manger, ni boire. Pour des enfants, ce n'est pas approprié. Puis, c'est assez intimiste, solitaire. La plupart du temps, je suis seul et c'est un moment où je réfléchis et je m'évade. Je suis dans mon monde et je le vois un peu comme une méditation ou un cours de yoga.
Même lors de mes voyages, je vis les choses intensément. Lorsque je suis partie 15 jours au Cap-Vert, je ne me suis pas baigné une seule fois, je ramassais uniquement des déchets. Je voulais et je veux impérativement trouver de nouveaux détritus et du matériel pour mes œuvres.
 

Poisson - Ricardo Ramos

Vous nous avez confié avoir déjà pleurer sur une plage en ramassant des fragments de plastique...
Oui. J'étais au Mozambique et j'ai vu que les plages étaient inondées de détritus de plastique et toute la pauvreté du pays, c'est triste et à la fois inquiétant. Face à une telle nécessité, je me dis qu'il faut que je continue à agir et sensibiliser un maximum de personnes pour les aider. La situation devient critique pour toutes les populations.

 
Qui sont les principaux responsables ?
Nous, les consommateurs. Nous sommes les principaux fautifs. La société adapte sa production et se base sur les besoins et les habitudes des consommateurs. Plus nous achetons du plastique, plus les entreprises en fabriquent. Nous sommes responsables des produits que nous achetons. Nos choix quotidiens peuvent avoir des conséquences incroyables. Tous les déchets se retrouvent, un jour ou l'autre, sur les plages. Un problème se transforme en milliards de problèmes. Seuls les individus peuvent inverser la situation afin qu'elle s'améliore et vu l'urgence, le recyclage et le ramassage de déchets ne sont plus suffisants. Tant qu'il y aura du plastique, la situation continuera telle quelle. Chacun se doit d'agir rapidement et nous seuls disposons du pouvoir de faire changer les choses.
 

Quelles seraient alors les solutions ?
Il faut revoir et repenser toutes nos habitudes, d'où le nom que j'ai donné à cette exposition : Rethink. Il faut repenser ses choix, son mode de vie et ses habitudes de consommation. Il faut définitivement arrêter le plastique.
Désormais, il y a de plus en plus de bouteilles conçues avec 50 % de plastique mais il n'y a aucune logique à cela. Le problème subsiste et il faut trouver de véritables solutions. Il faut repenser aux différents enjeux qui se posent avec des actions concrètes. Nous devons changer et vivre d'une manière complètement différente. La mer est ce qui nous unit dans le monde, il faut la protéger un maximum.

 
Comment se traduit cet engagement dans votre vie quotidienne ?

Premièrement, je fais le tri sélectif. Puis, j'évite complètement le plastique. L'autre jour, je suis allé acheter une plante et la vendeuse m'a proposé un pot en plastique. C'était inconcevable. J'ai demandé un pot en céramique et il était moins cher que celui en plastique. Je suis resté stupéfait et je me suis dit qu'acheter du plastique n'avait pas de sens. Sur les plages, je ramasse énormément de bonnets de bain. Sa fonction est peut-être utile, mais j'ai interdit cela à mes enfants, car c'est très polluant. Enfin, je privilégie également les produits locaux. L'autre jour, ma mère m'a acheté un t-shirt blanc simple à 2 €. Je regarde l'étiquette et je vois : "Made In Bangladesh". Je me suis dit : "comment un t-shirt provenant d'aussi loin, peut être vendu à 2 € ?". Avec le transport et toute la consommation de carbone, c'est incompréhensible. Nous devons privilégier les produits locaux, aussi bien dans le secteur de l'alimentaire que du textile, même si c'est plus cher.

 
Vous êtes régulièrement conviés au sein des écoles primaires pour parler de votre engagement. En quoi est-ce important de sensibiliser les plus jeunes ?

Ces échanges me tiennent très à coeur. Je me rends régulièrement dans des écoles, tout ça, à mes frais mais c'est très important. La situation est critique. Il faut véhiculer un message afin de les sensibiliser. Je crois fortement que les enfants, principalement, peuvent faire changer l'attitude, parfois irresponsable, de leurs parents envers la planète. Il faut agir dès maintenant et trouver des solutions, et ils doivent prendre conscience de la réalité de la situation dès leur plus jeune âge.
 

Pensez-vous, un jour, reprendre votre ancien métier de pêcheur ?
Pour le moment, ce n'est pas prévu. Aujourd'hui je me consacre entièrement à cette nouvelle passion qui me rend heureux. Mais, il ne faut jamais dire non, nous ne savons pas de quoi demain est fait. J'y retournerai, si nécessaire. Cette activité m'occupe tous les jours. Je vends quelques unes de mes pièces et j'aimerais réussir à vivre entièrement de ça. Je cherche également des sponsors qui puissent me soutenir dans ce projet.
 
Avez-vous d'autres projets en cours ?

Oui. Mes oeuvres vont être exposées dans plusieurs villes d'Europe. Actuellement, j'ai quelques oeuvres également qui été exposées au Casino de Lisbonne jusqu´au 12 septembre. Ensuite, je souhaite me rendre dans tous les pays d'Afrique, notamment ceux se situant sur le littoral pour échanger avec les enfants. L'Afrique est un continent que j'affectionne particulièrement. Il y a un vrai et profond déséquilibre entre l'Europe et ce continent, et même si les priorités ne sont pas les mêmes, nous devons aider les populations. Ainsi, je souhaite les sensibiliser et faire passer un message à travers l'art. Après mon séjour au Mozambique où j'ai pu échanger avec la population, plusieurs mozambicains m'envoient, aujourd'hui, leurs oeuvres de détritus de plastique en photo. C'est valorisant et très encourageant !
 
En savoir plus ici

1L'exposition de Ricardo Ramos, Rethink by Xicogaivota est à découvrir au Réservatorio da Mãe d'Água das Amoreiras (Praça das Amoreiras 10) à Lisbonne, jusqu'au 6 octobre 2019.
 
Horaires :
Ouvert du mardi au dimanche, de 10 à 12h30 et de 13h30 à 17h30. Fermé le lundi.

 

Publié le 13 septembre 2019, mis à jour le 20 septembre 2023

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