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Pierre Debourdeau - "Le Portugal est une Californie européenne"

Pierre DebourdeauPierre Debourdeau
© Eurogroup Consulting Portugal
Écrit par Custódia Domingues
Publié le 24 juillet 2019, mis à jour le 25 juillet 2019

Lepetitjournal.com a rencontré Pierre Debourdeau, président des Conseillers du Commerce Extérieur de la France au Portugal et dirigeant du cabinet de conseil Eurogroup Consulting Portugal. L’occasion de poser un regard sur la situation de l’économie portugaise et d’évoquer le futur des investissements français dans le pays.
 

Lepetitjournal.com : Pour ceux qui vous connaîtraient moins bien, comment vous présenteriez-vous ainsi que votre activité professionnelle ?

Pierre Debourdeau : Je dirige un cabinet de conseil en management qui travaille, notamment, dans la stratégie d’organisation, les ressources humaines et le digital. J’appartiens à un groupe qui a 3500 collaborateurs dans le monde. Au Portugal, où je dirige l’activité depuis 2001, nous sommes devenus un cabinet de référence et nous travaillons également beaucoup à l’export, notamment pour Nestlé.

 

Vous êtes aussi Conseiller du Commerce Extérieur. Quel est votre rôle comme président du groupe Portugal ?

Nous travaillons essentiellement à la promotion de la France et des investissements français au Portugal. Il y a aussi des investissements portugais en France : Rénova et d’autres qui sont en cours et nous y sommes également attentifs. Nous aimerions bien que les Portugais investissent encore plus ! Des entreprises comme Fidelidade ont des projets en France et s´intéresse à notre marché. On observe que la France, depuis l’élection de Emmanuel Macron, est devenu plus attractive malgré les Gilets Jaunes.

 

Vous organisez depuis 2012 un forum économique qui est devenu un grand rendez-vous annuel. Quand aura lieu le prochain ?

Le prochain forum économique aura lieu en mars 2020 et, je peux vous dire d´ores et déjà, qu´il aura pour thème l’économie durable. C´est un sujet pertinent, ce sont des transformations considérables qui vont avoir lieu dans les entreprises. Il y aura une forte transformation au niveau de la durabilité des entreprises dans les années à venir. De la même façon qu’avec le digital, notre dernier thème, il y avait eu un grand intérêt, je pense qu´il en sera de même pour celui-ci.
Les consommateurs ont de plus en plus conscience qu’en achetant un produit, ils votent en quelque sorte pour une entreprise, une stratégie, des valeurs. L’économie durable est un thème qu’on ne peut pas ne pas aborder. La France est en très bonne position dans ce domaine. Ce sera l’occasion de voir comment engendrer de nouvelles pratiques au Portugal.
 

Pouvez-vous dresser un panorama synthétique de l’activité économique portugaise ?

Au Portugal, quel que soit le secteur, l’activité est bonne à l´heure actuelle. Ce n’est pas forcément grâce aux décisions des dirigeants politiques. Il y a une sorte d’alignement des planètes entre des taux qui sont extrêmement bas, une économie très ouverte et un boom touristique. L’activité est excellente quasiment partout. L’Etat a un excédent de recette fiscale par rapport à ce qu’il provisionne. Les seuls secteurs en souffrance sont peut-être la distribution et le secteur automobile, notamment du fait de la fiscalité.
C’est un bon moment, une bonne séquence pour l’économie portugaise. La seule alerte est que le Portugal n’aura pas profité de ce moment pour se mettre à l’abri. Il n’y a pas eu d’amélioration de la compétitivité. Le Portugal ne peut pas rester un pays de bas salaires. Le SMIC est très bas et les augmentations devraient, selon moi, se faire en échange de plus de flexibilité, d´un processus qui permettrait au pays d’améliorer sa compétitivité qui reste faible par rapport à celle des plus grandes économies.
 

Depuis quand la situation s’est-elle améliorée ?

Au niveau B2B (Business to business, d’entreprise à entreprise), cela va mieux depuis longtemps déjà. Les deux premières années du mandat de Pedro Passos Coelho, le précédent Premier ministre, avaient été difficiles. Nous étions au plus fort de la crise, le Portugal était dans le moment dur de l’assistance financière. Le mérite de ce gouvernement a été de réorienter la création de richesse vers les exportations, d’améliorer la compétitivité et de réduire le déficit budgétaire, passé de 11% à 3% en seulement quatre ans. Le gouvernement actuel vit beaucoup des acquis de cette époque-là et reste sur les grands fondamentaux de la mandature précédente. Mais il a manqué certaines opportunités d’améliorer cette compétitivité.

Lesquelles ?
Il n’est pas normal que les augmentations du SMIC aient été réalisées de manière unilatérale, sans passer par la négociation sociale. Il n’y a pas eu de contrepartie relativement à la compétitivité. La fonction publique, pléthorique au Portugal, ne travaille que 35h. Le pays n’a pas vraiment les moyens de se payer la fonction publique qu’il a. On sait également la bombe budgétaire que représente la simple reposition -même en partie seulement-  des revenus des professeurs, par exemple.
Il y a également d’autres erreurs : baisser la TVA dans la restauration, par exemple. Cela n’a jamais créé un seul emploi, c’est une erreur stratégique. Cela représente un coût d’investissement de 5 à 6 milliards. Quand le Portugal investit 6 milliards dans l’économie, il ne peut pas le faire dans la restauration à moins de vouloir un pays de restaurateurs et de petits restaurateurs… Cela ne doit pas être l’ambition d’un pays de la zone euro.
 

Peut-on parler d´une bulle pour ce qui concerne le marché immobilier portugais en 2019 ?

Il peut y avoir de petites bulles mais je ne pense pas qu’il y ait une vraie bulle immobilière. Lisbonne vit en réalité un phénomène de rattrape. C’était une capitale incroyablement bon marché et qui n’était pas dans le radar. Même si certains prix peuvent être considérés comme exorbitants, structurellement il n’y a pas de bulle.
Le Portugal bénéficie de l’effet que Levi-Strauss nommait « héliotropisme », la particularité qu’ont les populations de se déplacer vers le coucher du soleil. Le Portugal est, sans doute un peu, cette Californie d’Europe. Il restera un pays qui malgré tout continuera à attirer des populations, donc le boom immobilier va se maintenir à des prix élevés.
Je ne dis pas que c’est facile. Cela va créer des dysfonctionnements, des aberrations et des injustices. Mais je ne crois pas qu’on reviendra en arrière et qu’il y aura de grands ajustements du marché.


Un certain nombre d´économistes y compris le FMI lancent des alertes sur la possibilité d’une crise financière grave à venir. Qu’en pensez-vous, en particulier dans le cadre de vos fonctions de consultant international ?

"Avec les économistes tout marche sauf les prévisions", la phrase n’est pas de moi. La crise ne peut que revenir car elle est cyclique. Le monde n’a jamais été autant endetté qu’aujourd’hui et ce n’est pas être un grand prophète que de dire que nous allons avoir des périodes d’ajustement. Quant à savoir quand elles auront lieu… Je ne le sais pas. Le Portugal sera touché comme d´autres économies.

 

Quelle est la situation des investissements français au Portugal ?

Ils continuent à se faire d´une manière soutenue. La France est le second investisseur après l’Espagne. L’arrivée de Vinci et le poids de BNP Paribas et d’acteurs traditionnels comme Cetelem ou Cofidis, Auchan, Decathlon, PSA, Renault est très important. La France est un acteur clef de l’investissement au Portugal. Nous sommes la plus ancienne communauté d’affaires dans le pays et nous sommes celle qui créé le plus de valeur. Les Français sont un acteur de poids et nous arrivons à démontrer l’importance que nous avons au sein de l’économie portugaise.

 

Quelles sont les tendances pour l´année en cours ?

Il y a de très gros investissements dans l’immobilier. Je peux citer un groupe français qui a gagné Comporta -AB groupe, Claude Berda- et qui investit de façon massive à Lisbonne dans l’habitation, le tourisme et le secteur des bureaux. Les français sont les premiers investisseurs et de loin dans le domaine de l’immobilier. Cela se chiffre en centaine de millions d’euros.
Certains particuliers ou des petites entreprises investissent. Tout cela concourt à cette présence française au Portugal.

(Avec la collaboration de Guillaume Bermond)

Publié le 24 juillet 2019, mis à jour le 25 juillet 2019

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