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Dégel des carrières : le Parlement a voté "non"

Manifestation professeursManifestation professeurs
Écrit par Lucie Etchebers-Sola
Publié le 13 mai 2019, mis à jour le 14 mai 2019

Après de longues négociations, la reconnaissance des temps de service dont les enseignants ont été destitués pendant les années de crise au Portugal leur a finalement été refusée par le Parlement.
 
 
La genèse d’une crise annoncée

Entre 2011 et 2017, en répercussion à la crise de la dette dans la zone euro qui plonge le Portugal en 2010 dans une impasse financière, l’Etat portugais vote une série de lois budgétaires qui gèlent les progressions des carrières des enseignants et des autres carrières spéciales du service public (pompier, personnel soignant, policier etc.). A l’époque, l’Etat fait savoir qu'il ne reconnaîtrait pas le temps de service fourni pendant ces années difficiles, et n’accorderait pas de compensations financières. Mais le vent tourne en 2018, lors les négociations préalables à l'approbation du budget de l'État. La part du budget accordé à la fonction publique est dégelée et les fonctionnaires du corps professoral s’engouffrent dans la brèche, voyant finalement une opportunité de se faire entendre. Sous leur pression, quelques jours avant l’approbation finale de la loi de finances pour 2018, le gouvernement signe une déclaration d’engagement pour négocier le moment, le mode et le calendrier de rétablissement partiel de ce temps de service. Dans la loi de finances pour 2018 et 2019, il a été notifié que ce "rétablissement" serait examiné en fonction "des ressources disponibles".
 

Des négociations difficiles et un calendrier incertain

Ces deux dernières années, les négociations entre le gouvernement et les syndicats du corps professoral ont échoué à plusieurs reprises. Le pouvoir exécutif a fait plusieurs propositions qui se sont avérées insuffisantes pour les enseignants, notamment une reconnaissance de 2 ans, 9 mois et 18 jours, alors que les syndicats réclamaient une reconnaissance de 9 ans, 4 mois et 2 jours pour la période de 2011 à 2017 mais également pour une période de gel plus précoce entre 2005 et 2007. Le 2 mai les partis BE, PCP, PSD et CDS se sont réunis pour élaborer un amendement au décret-loi du gouvernement, qui stipulait une récupération complète du temps de service lésé entre 2011 et 2017. Le Premier ministre António Costa avait averti que si le Parlement approuvait ce texte, il présenterait sa démission -une telle loi selon lui compromettrait la gouvernance actuelle-.
 

La guerre des chiffres

La grande question qu’a soulevée cette crise était de savoir si la situation financière actuelle du pays permet oui ou non de répondre favorablement aux exigences des enseignants. Sans prendre en compte l'effet positif sur les recettes fiscales que l'augmentation des salaires des fonctionnaires pouvait générer à terme, la direction générale des Finances publiques portugaises avait évalué que la récupération totale du temps de service représentait une augmentation annuelle des dépenses de 800 millions d’euros pour l’Etat -uniquement pour le corps professoral- et un coût supplémentaire de 340 millions d'euros, si la reconnaissance du temps de service était étendue à toutes les carrières spéciales de la fonction publique. Un chiffre démenti par l’UTAO (Unidade de Apoio Técnico Orçamental – "Unité d’aide au budget technique") qui avait estimé un coût net de ce recouvrement à 567 millions d’euros pour les enseignants. Un montant que le Ministre des Finances Mário Centeno avait lui aussi estimé complètement arbitraire.
 

La défiance des enseignants

Beaucoup d’enseignants, bien qu’en colère, étaient sceptiques quant à la reconnaissance de ce temps de service. Gilda, 63 ans, a été professeure de portugais et d’anglais pendant presque quarante ans avant de partir à la retraite en 2014. Elle raconte : "Les problèmes ont commencé pour moi à partir de 2005. J'étais au 10ème échelon, mais j’ai dû régresser au 9ème et signer un nouveau contrat unilatéral avec l'Etat qui m’a privé de nombreux droits. Je n’ai pas eu d’autre choix que de partir en retraite puisque toutes les promesses de salaire et d’évolution se sont envolées. J’ai quitté la fonction publique à contre cœur, les larmes aux yeux, et avec une retraite amputée de moitié. J’étais très en colère après 39 ans de travail, d’autant que j’aurais dû m’arrêter trois ans plus tôt comme le prévoyait le contrat que j’ai signé quand  je suis entrée dans la fonction publique. J’ai commencé à travailler à 20 ans, et j’ai été trahie à cause d´une situation politique défavorable. Je pense malgré tout qu’à ce stade des négociations, il serait trop risqué de donner aux enseignants ce qu’ils réclament dans la totalité, car cela mettrait en péril la gouvernabilité de la nation... Même si leurs revendications sont justes, et que toutes les autres carrières spéciales du secteur public peuvent prétendre aux mêmes droits, cela me semble impensable en pratique que chacun puisse récupérer ce qui nous a été injustement enlevé."
 
Après une semaine de menace de démission du Premier ministre António Costa, la proposition de la commission de l’éducation et de la science formée par les partis BE, PCP, PSD et CDS, qui voulait reconnaître la totalité du temps de service des enseignants gelé entre 2011 et 2017, a finalement été rejetée par le Parlement vendredi 10 mai. António Costa craignait qu’une telle proposition n’ait un impact budgétaire néfaste sur l’économie et la durabilité des finances du pays. Reste maintenant à savoir si les enseignants vont se contenter d’un "non".

 

Publié le 13 mai 2019, mis à jour le 14 mai 2019

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