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DANIÈLE THOMPSON - Réalisatrice de Cézanne et Moi

Écrit par Lepetitjournal Lisbonne
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 13 octobre 2016

Danièle Thompson est la réalisatrice du film Cézanne et Moi qui a ouvert la Festa do Cinema Francês 2016 et qui sort dans les salles de cinéma au Portugal ce jeudi. Elle vient pour la deuxième fois présenter un long-métrage lors de la grand-messe du cinéma français au Portugal. Bien que la critique n'ait pas été tendre avec le film, il trouve aujourd'hui son public en France. Danièle Thompson a accepté de rencontrer Lepetitjournal/lisbonne pour parler de ce défi qui était de faire un film populaire sur un sujet qui ne l'est pas.
 
Lepetitjournal/Lisbonne : Pourquoi avoir choisi ce titre, « Cézanne et Moi », le mot lumière aurait aussi pu refléter ce qu'est le film ?
Danièle Thompson : Bien sûr, lumière d'amitié, de chaleur. J'ai longtemps évoqué ce sujet avec mon chef opérateur. Je voulais justement qu'il y ait trois lumières dans ce film. La lumière du sud, la lumière du nord et la lumière du bureau. Toutes les scènes filmées à Medan ou dans les rues de Paris sont tournées avec une lumière plus grise, quand on est en Provence, c'est explosif, le temps était clément pendant le tournage, on a voulu rendre quelque chose de magnifique. Enfin dans le bureau, il y a cette lumière spéciale, qui dégage une ambiance particulière, intime.

Nous sommes cependant restés sur l'idée de "Cézanne et Moi". Cézanne est un nom plus joli que Zola et il renvoie tout de suite à une image. Zola est plus difficile, on nous le fait lire trop tôt à l'école, si bien qu'aujourd'hui l'évocation de son nom peut renvoyer à des souvenirs scolaires ennuyants. Je trouve que le film est plus un portrait de Cézanne par Zola que l'inverse, même si je triche un peu en disant ça. Je ne voulais pas mettre les deux noms pour éviter de donner un titre qui fasse documentaire. Je voulais que le titre évoque quelque chose d'intime, une histoire privée, une histoire entre deux personnes. Voilà pourquoi nous avons choisi "Cézanne et Moi".

Pourquoi avez-vous choisi de centrer votre film sur l'amitié Cézanne-Zola ? Pouvez-vous nous expliquer ce choix de réalisation de présenter leur histoire presque comme une suite de tableaux ?
Une suite de tableaux ! Je ne partage pas cet avis, ce film ne ressemble pas à un Cézanne. Mais j'ai eu envie d'une lumière impressionniste, j'ai regardé beaucoup de tableaux, pris un chapeau ici, une ombrelle là. J'ai composé mon film avec différentes touches, comme un mélange. J'ai voulu peindre à travers cette amitié, non pas de la littérature ou de la peinture, mais des artistes.

Leur égoïsme, leur manque de scrupules, c'est ce qui m'intéressait tout particulièrement. Quand Cézanne a lu l'?uvre [ouvrage de Zola inspiré en partie par Cézanne], il a sans doute pensé "il a du culot [Zola]". Ils sont tous deux enfermés à leur manière dans ce qu'ils veulent faire : l'un est ouvert sur le monde, imprégné de la vie de l'époque, c'est Zola. L'autre n'en a rien à fiche de tout cela, il est enfermé dans son obsession de trouver quelque chose de neuf, il veut peindre différemment : "pas l'arbre mais le vent, pas le soleil mais la chaleur, pas le rocher mais la violence". Ce sont deux natures totalement opposées mais qui révèlent une intimité, une amitié qui semble indestructible, comme toutes ces amitiés d'enfance dont on se dit qu'elles ne se termineront jamais. C'est pour cela qu'ils s'accrochent tous les deux, pour essayer de garder ce lien unique, mais c'est très difficile, et à la fin, il y a cette rupture ou éloignement, c'est cette fameuse rencontre dans le bureau que j'ai inventée.

Pourquoi avez-vous choisi Guillaume Gallienne et Guillaume Canet pour porter cette amitié à l'écran ?


J'ai d'abord proposé le rôle de Zola à Guillaume Gallienne, il l'a refusé, il voulait jouer Cézanne. Nous avons lu le scénario ensemble et je l'ai vu se transformer, devenir quelqu'un d'autre. Je lui ai dit qu'il pouvait tout faire. J'ai ensuite proposé à Guillaume Canet qui a immédiatement accepté, ensuite tout est allé très vite.

Vous n'avez pas hésité avec d'autres acteurs ?
Non, je trouvais ce couple très intéressant et intriguant, j'ai une confiance totale dans la réaction des comédiens quand ils se portent volontaire pour un rôle. Il n'y a pas eu de difficultés particulières pendant le tournage. Ils travaillent tous les deux de manière différentes. Guillaume Canet s'est beaucoup inspiré de Zola, il a énormément lu, Guillaume Gallienne a commencé à lire L'Oeuvre, mais il était tellement imprégné de son rôle de Cézanne qu'il a détesté.

Avez-vous essayé de rester au plus proche d'une réalité historique ?
Oui et non, comme on dit souvent "la réalité dépasse la fiction". Il y a beaucoup de biographies sur ces deux personnages, le monde entier a écrit à leur sujet. Mais jamais sous cet angle là de l'amitié forte entre les deux. Somme toute, il n'y avait pas beaucoup de documentation sur leur relation, j'avais peur que les experts soient furieux, mais je touche du bois, ça a l'air de leur plaire.

Pour faire le film, j'ai beaucoup lu, pris énormément de notes. Dans toutes les informations dont je disposais, je sortais les éléments qui pouvaient donner une suite romanesque. J'ai aussi lu leur correspondance, ils se sont écrit tous les jours pendant 35 ans. Ce fut un long travail mais après avoir lu tout ça, ma tâche a été beaucoup plus simple. De plus, ce ne sont pas des événements anciens, à peine 100 ans derrière nous, c'est quelque chose qui est encore très vivant, quand on arrive en Provence, les paysages sont intacts.

Avez-vous eu à gérer des difficultés, des contraintes, dans le cadre de la préparation et du tournage du film ?
Oui, j'ai eu besoin de trois ans pour réaliser ce film. J'ai dû affronter des contraintes temporelles : je devais tourner quand il faisait beau, mais pas en été car Aix-en-Provence l'été c'est infernal. Nous avons commencé à tourner à la fin du mois d´août. Dans le cadre de la préparation, 7 mois de lecture et de notes ont été nécessaires pour savoir qui étaient vraiment ces deux personnes. Puis 6 mois d'écriture, enfin la préparation qui fut très longue, la recherche de financement a été difficile pour un sujet comme celui-là : je réalise d'habitude des comédies, ce n'en est pas une, et en plus de cela la dernière n'a pas marché.
 
Qu'est-ce que cela représente pour vous d'être à l'honneur pour cette Festa do Cinema Francês avec ce film ?
J'en suis très fière. C'est un film un peu particulier par rapport à ce que j'ai pu faire auparavant. Ce n'est pas une comédie, ce n'est pas non plus un film sur le monde d'aujourd'hui : beaucoup de films en France sont aujourd'hui plongés dans une réalité très dure : celle du chômage, des attentats, du climat, de la guerre, de la violence. Comme metteur en scène, c'est la première fois que je me lance dans un tel projet : pendant les trois ans de travail autour du film, j'ai eu l'impression de vivre au XIXème siècle, ce qui n'était pas désagréable ! (rires).

J'ai voulu faire un film populaire avec un sujet qui ne l'est pas : c'est une caractéristique qui doit être dans mes gènes, je veux que les gens viennent voir mon film, qu'il soit pour tout le monde. C'était un pari d'essayer d'intéresser le public à Cézanne et Zola et je suis très contente que le film trouve son public en France. Ce n'était vraiment pas évident. Je me place dans une tradition de film français que l'on ne fait plus ou presque, cela me plaît beaucoup et je suis très heureuse de venir le présenter au Portugal. J'étais déjà venu ici pour tourner La Reine Margot (1994), j'aime beaucoup ce pays et j'y viens souvent, beaucoup de mes amis vivent ici.
 
Comment réagissez-vous à la critique qui n'a pas été très tendre avec vous ?
Les Inrocks, Télérama et Libération nous traînent dans la boue depuis 50 ans, je n'espérais pas une seconde qu'ils écrivent quelque chose de positif sur ce film. Là où j'ai été surprise c'est par le Figaro et le Parisien, quand j'ai lu leurs critiques je me suis dit « ça alors ». Cela m'a quand même étonné.

Est-ce que cela influence votre manière de faire du cinéma ?


Il m'est arrivé une seule fois de lire une critique vraiment constructive, qui expliquait clairement ce qu'il manquait ou ce qu'il aurait fallu changer. Là ce n'est pas le cas, il n'y a pas la moindre analyse que j'ai pu lire où l'on ne parlait pas de l'accent de Guillaume Gallienne, de sa féminité ou de son maquillage. Tout est écrit en vitesse sans véritable réflexion sur le film. Quand on me dit que c'est un film classique, d'accord, mais quand on jette tout aux ordures en me disant que "ça ne vaut rien", il n'y a rien de constructif là-dedans. Il y a des critiques qui ont du talent, d'autres qui n'en ont pas.

A un certain moment, on arrête de les lire. Cela peut être très dur de se remettre debout après de violentes critiques : à la présentation de La Fille de Ryan (1970), David Lean, le réalisateur, est sorti dévasté, il dira plus tard "je n'ai pas pu faire un film pendant 15 ans". Il faut savoir remettre les choses en perspective et prendre du recul, je ne suis pas imperméable non plus, mais comme disait Coluche "Si on n'aime pas le feu, il ne faut pas devenir pompier".       

Avez-vous déjà en tête de nouveaux projets pour le cinéma ?
Pour l'instant non, je respire un peu. "Cézanne et Moi" a représenté un long travail pour moi. Je dois réfléchir avant de recommencer autre chose.
 
Custódia Domingues et Guillaume Bermond (www.lepetitjournal.com/lisbonne.html) jeudi 13 octobre 2016

En savoir plus : http://festadocinemafrances.com

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logofblisbonne
Publié le 12 octobre 2016, mis à jour le 13 octobre 2016
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