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PALAIS DE SANTOS - Un palais chargé d’histoire

Jardin de l´Ambassade de FranceJardin de l´Ambassade de France
Écrit par André Laurins
Publié le 22 septembre 2017, mis à jour le 19 septembre 2023

Au Vème siècle, une chapelle va d’abord être édifiée en ce lieu situé au bord du Tage. Elle sera dédiée à trois martyres de l’époque romaine, deux sœurs et leur frère (os Santos), leurs bustes en pierre étant représentés au-dessus du portail ouest de l’actuelle église de Santos.

Cette chapelle sera détruite durant l’occupation maure (720-1147). A la Reconquête chrétienne, en 1147, une église va voir le jour, suivie d’un monastère où, à partir de 1194, des moines de l’Ordre militaire de Saint-Jacques de l’Epée (Santiago da Espada) s’y installent, du temps de D. Sancho I, fils du premier roi du Portugal, D. Afonso Henriques. L’édifice sera destiné plus tard à des dames de l’aristocratie, appelée "commandières", des filles célibataires et des veuves des Chevaliers de l’Ordre de Santiago, lesquels avaient le droit de se marier et d’avoir des enfants. Certainement, et dès le début, un jardin va côtoyer les édifices pour assurer un approvisionnement en fruits et légumes à la communauté religieuse, un "jardin de curé" composé d’arbres, d’un potager et de plantes ornementales.

En 1490, les sœurs déménagent vers un autre couvent (Santos o Novo), situé à l’Est de la ville et en amont du Tage. L’ancien monastère prend alors le nom gardé encore aujourd’hui de Santos o Velho. Il devient alors la résidence du principal financier des Découvertes, le riche banquier Fernão Lourenço, trésorier et gérant de la Casa da Mina et da Índia, qui aménage l’accès aux berges du Tage, avec un lieu de mouillage privé. Il faut rappeler qu’à cette époque, le fleuve battait contre les murailles de la ville, les terres riveraines d’aujourd’hui  ayant été conquises au cours des siècles suivants.

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Pendant la période qui précède le grand tremblement de terre de 1531, le Palais de Santos, situé en dehors des murs de la ville, connaîtra son apogée. Il va d’abord subir des travaux de restauration, à partir de 1497, dirigés par João de Castilho (1470-1552), architecte du roi D.Manuel I. Le mariage du roi, purement stratégique, en septembre de la même année, avec Isabel de Castille, fille ainée et héritière des Rois Catholiques, Isabel et Ferdinand, l’incitera à le transformer en son principal palais de résidence secondaire. Isabel s’y installera, en décembre 1497, avant son entrée officielle à Lisbonne. Devenue ainsi résidence royale, elle bénéficie d’une splendide vue panoramique, d’une situation aérée et de jardins ombragés. Dès cette époque, l’accès principal se fait par le Tage et ceci explique la façade relativement modeste que l’on trouve côté ville.

"Un ancien monastère parrainé par la cour royale, restreint quant aux dimensions et à la forme, pourvu cependant de plus de chambres particulières que le Palais Royal officiel", une impression donnée par les ambassadeurs vénitiens Tron et Lippomano. Une autre observation, donnée par l’écrivain Damião de Gois (1502-1574); "Le début de la ville de Lisbonne, côté méridional, est marqué par le "Palacio Velho", une structure énorme, magnifique et très belle." Pendant la construction du Palacio da Ribeira et l’aménagement de la marge fluviale de Lisbonne, le Palais de Santos sera utilisé comme lieu de cérémonies officielles, fêtes royales et cérémonies de la Cour. C’est, par exemple, à Santos, que Gil Vicente présentera sa pièce de théâtre liée aux Découvertes "Auto da Fama", pièce allégorique qui rendait hommage au siège de Goa par Afonso d’Albuquerque et proclamait D. Manuel "roi des Océans". Désigné comme Paço Real de Santos, à partir de 1501, ce palais devient alors un typique "lieu global" d’où D. Manuel gérait son empire commercial mondial et recevait des citoyens étrangers, ambassadeurs et dignitaires. Des indiens Tupinambas lui firent connaître là le bétum (ou pétum), le divin tabac, fumé au cours de rituels religieux d’Amazonie. On y reçu aussi l’ambassadeur d’Ethiopie, en 1514, envoyé au nom de Dawit II, le gouverneur chrétien, considéré en Europe comme le légendaire Prêtre Jean.

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António de Hollanda, peintre fameux de cette époque, a représenté le Palais de Santos en haut d’une colline, les édifices constituant un groupe compact avec des créneaux autour, plusieurs tours avec des toits pyramidaux, l’ensemble cerné de hautes murailles fortifiées. Une galerie, ou véranda, constituée de huit colonnes avait vue sur le Tage. Des escaliers descendaient vers le fleuve avec un ponton en bois où le roi accostait quand il se déplaçait vers Lisbonne. Un jardin énorme s’édifiait entre le Palais et le rivage. On y cultivait des plantes exotiques, comme le tabac ou des piments d’Amérique. En fait, le tabac fut officiellement introduit au Portugal en 1535 par Luis de Gois (1504?-1567), un des premiers colons du Brésil et qui deviendra plus tard jésuite, en Inde. Maria de Portugal, la fille célibataire de D.Manuel I, connut Luis de Gois et cultivera du tabac dans ses jardins. Rappelons également, que ce fut un représentant de la délégation française à Lisbonne, Jean Nicot (vers1530-1600), qui. donna son nom à la nicotine et qui introduira le tabac en France. Le palais de Santos a pu être le premier scénario de la première ménagerie et cage à oiseaux de l’ère globale; perroquets, Aras, petits félins sauvages du Brésil. Les jardins royaux du Palacio da Ribeira, eux, recevront les éléphants et chevaux asiatiques et même un rhinocéros.

Il n’y a aucun plan de ce palais qui soit arrivé jusqu’à nous. D.Manuel avait fait construire une tour carrée, avec un toit pointu en forme de pyramide, d’où il avait une magnifique vue sur le Tage et l’Atlantique, admirant aussi ses navires qui partaient et arrivaient de destinations lointaines, comme le témoignera Damião de Gois. De cette tour, il ne reste aucun vestige. Cependant, le palais fut endommagé par le terrible tremblement de terre de 1531. D João III, successeur de D Manuel, délaisse le palais qui revient alors à être récupéré par la famille Lancastre, rattachée à l’Ordre militaire d’Avis. Par contre, le jeune roi D. Sébastien, âgé de 14 ans, en 1568, le trouve fort à son gout et s’y installe. A son époque, l’édifice sera fortement endommagé par une explosion, qui se produisit dans les magasins de poudre situé aux abords du palais.

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En 1578, D. Sebastien, avant de partir pour son expédition au Maroc, dont il ne reviendra pas, entendit la messe à l’église de Santos-o-Velho et prit, d’après les chroniques, son dernier repas en terre lusitanienne sur la table en marbre du jardin du palais, qui existe toujours. Il faut rappeler que 17000 combattants (dont 5000 mercenaires étrangers) accompagnèrent le roi dans cette aventure, ainsi qu’une grosse partie de la cour portugaise, dont quatre membres de la famille Lancastre. De cette «dernière croisade», véritable désastre militaire, la moitié des hommes disparue à la bataille de Alcacer Quebir, dont le roi D. Sébastien, et l’autre moitié fut faite prisonnière, devant payer de fortes rançons pour la libérer. Le Portugal se retrouva ainsi sans roi et la couronne espagnole fera mainmise sur son voisin jusqu’en 1640.

Le palais de Santos se trouvera en partie détruit et à l’abandon pendant l’occupation espagnole (1580-1640). En 1629, cependant, un membre de la famille Lancastre décide de l’acheter officiellement et il restera au sein de cette illustre famille jusqu’en 1909.

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Entre 1664 et 1687, le palais va bénéficier de gros travaux de restauration et le salon des porcelaines Ming devient la première collection de porcelaine chinoise en Europe, dont le Portugal a le monopole. Elle est composée de 261 pièces bleu et blanc, de différentes formes et dimensions, qui furent fixées au plafond entre le XVIº et le XVIIº siècle par les propriétaires successifs. Soies de Chine, brocards d’or de l’Inde, pièces d’argenterie, tapisseries et peintures de maîtres vont ornementer cette demeure au fil du temps. L’emblème de la famille Lancastre est un cygne qui alimente ses petits et on le retrouve au-dessus du porche de l’actuelle entrée principale de l’ambassade de France.

Pendant le tremblement de terre de 1755, le palais de Santos sera relativement épargné et il deviendra alors le refuge d’une partie de la famille Lancastre, qui avait perdu leurs foyers lors du désastre. Pedro de Lancastre (1762-1828) devient le 3º Marquis d’Abrantes et le palais va dès lors être connu sous le nom de Palais d’Abrantes.

Le comte Armand, ministre de France installé à Lisbonne, va louer le palais à partir de 1870 jusqu’à ce qu’en 1909 il ne soit acheté par le gouvernement français. L’Institut français du Portugal (IFP) s’y installera entre le palais et l’église, en 1937 et c’est finalement en 1948 que la légation de France devient l’ambassade de France à Lisbonne, bénéficiant ainsi d’un lieu exceptionnel chargé d’histoire de la ville.

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Le jardin
Curieusement, on sait très peu de choses sur l’évolution du jardin ou des espaces verts du palais au cours des siècles. Est-il passé de jardin de curé à jardin de l’aristocratie où l’art de la topiaire aurait pu s’exprimer comme, par exemple, le cas au Palais de Queluz, de celui da Frontaira ou de Caxias? A-t-il été constitué essentiellement par des vergers de citrines, comme on le constate encore avec les orangers situés dans sa partie inférieure? Une grande pelouse occupe aujourd’hui la partie supérieure et elle est protégée des ardeurs du soleil estival par un magnifique figuier d’Asie (Ficus benjamina) dans lequel un philodendron (Monstera deliciosa) s’est développé à loisir et justifie son nom d’aimer les arbres. On trouve également des camélias (Camelia japonica), des néfliers et troènes du Japon (Ligustrum japonica), révélant l’acidité qui doit dominer ce terrain, ceci étant confirmé par les citrines rencontrées plus bas. Selon les gouts des différents ambassadeurs, et de leur épouse, on constate un choix relativement varié d’arbres d’ornement. Tout cet espace de verdure est orienté plein sud et bien abrité des vents dominants, ce qui permet d’y retrouver une diversité de plantes provenant de multiples horizons, ce qui n’est pas vraiment exception dans une ville telle Lisbonne.

Sources historiques:
- "Le Palais de Santos", Editions Chandeigne (2007)
- Notes de Mr.Pascal Teixeira da Silva, ancien Ambassadeur de France (2011)
- Catalogue de l’exposition au MNAA; “A cidade global, Lisboa no Renascimento” (2017)

 

Publié le 22 septembre 2017, mis à jour le 19 septembre 2023

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