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LITTERATURE - Le destin exceptionnel d´Aristides de Sousa Mendes par Salim Bachi

Écrit par Lepetitjournal Lisbonne
Publié le 6 avril 2015, mis à jour le 7 avril 2015

Dans son dernier roman, Salim Bachi retrace le destin exceptionnel d´Aristides de Sousa Mendes, consul du Portugal à Bordeaux au début de la seconde guerre mondiale, qui en contrariant les ordres du gouvernement de Salazar a sauvé des milliers de personnes d´une mort certaine. Cette décision courageuse a mis un terme à sa carrière diplomatique. Aujourd´hui, il est réhabilité.


Salim Bachi
Né en 1971, l´Algérien Salim Bachi s´est affirmé ces dernières années comme un des écrivains de langue française les plus éclectiques et importants de sa génération. Depuis le prodigieux premier livre Le chien d´Ulysse en 2001, roman des espérances déchues des enfants de la révolution jusqu´au magnifique Dernier été d´un jeune homme, une fiction autour d´Albert Camus, en passant par des romans où le narrateur se met dans la peau d´un terroriste comme Tuez-les tous ou Moi, Khaled Kelkal ou encore Le silence de Mahomet, un autre regard sur le prophète, Salim Bachi a construit un univers romanesque singulier.

(éditions-Gallimard@Sipa/DR)

L´honneur d´un juste
Le dernier roman de Salim Bachi, Le Consul, paru en ce début d´année aux éditions Gallimard, marque une nouvelle étape dans sa brillante trajectoire fictionnelle. Le consul évoqué ici n´est autre que le Portugais Aristides de Sousa Mendes. Il a fallu plusieurs décennies pour que le Portugal découvre ce juste. En juin 1940,en pleine débâcle, quand les forces hitlériennes avançaient partout en Europe et le maréchal Pétain signait l´armistice honteux que l´on sait, un homme, né en 1885 dans le village de Cabanas de Viriato, municipalité de Carregal do Sal, au centre du Portugal, diplomate (comme son frère jumeau César), consul à Bordeaux, arrachait à la mort des milliers de réfugiés parmi lesquels nombre de juifs(en tout, entre trente et cinquante mille personnes).

Salim Bachi retrace ici le destin de ce juste sous forme de confession à sa dernière passion Andrée Cibial, une Française vingt ans plus jeune que ce diplomate portugais royaliste et catholique, père de quatorze enfants (dont deux sont morts) et époux d´Angelina.

L´Europe était en train de succomber encore une fois, d´abord devant la pusillanimité et l´ignominie des hommes, et puis victime de la monstruosité de la bête allemande répondant au nom d´Adolf Hitler. Aristides de Sousa Mendes, un aristocrate élevé dans le culte du message de l´Évangile, ne pouvait s´empêcher de réfléchir aux paroles du  rabbin Kruger qui l´interrogeait au sujet des gens qui, désespérées, s´étaient rendues au consulat portugais pour y chercher leur salut : "Des centaines de personnes attendaient devant le consulat avec leurs valises, leurs malles. Certaines étaient venues en camion, transportant le contenu d´une maison, ne parvenant sans doute pas à se séparer des effets de toute une vie, comme si elle se fût résumée à du vieux linge, des ustensiles usés, de la vaisselle ébréchée, des bibelots, de la pacotille, de vieilles photographies, la grand-mère, le grand-père, aïeul arborant moustache et favoris, le fondateur hiératique, la figure tutélaire qui veillait sur la maisonnée avant l´Exode ou l´Hégire".

Entre le 14 et le 17 juin, il s´est enfermé dans sa chambre pour s´adonner à la méditation. Au bout de ces trois jours, il en est sorti revigoré et, dans la foulée, il a pris la décision la plus importante de sa vie : délivrer le plus grand nombre de visas qu´il pût. Avec l´aide de son secrétaire José Seabra et de ses proches, il a travaillé jour et nuit pour accomplir la tâche qu´il s´était assignée : "Je ne laissais pas mourir ces femmes et ces hommes(?), ces enfants qui avaient traversé l´enfer pour me trouver, je ne devais pas les abandonner, et puisqu´il était en mon pouvoir de consul général du Portugal de les aider, je devais le faire en mon âme et conscience de chrétien qui se devait de porter secours à d´autres êtres humains dans l´affliction et la peine, sans distinction de classe sociale, d´origine, de religion ou de couleur de peau".

En agissant de la sorte, en ignorant la circulaire numéro 14 du gouvernement fasciste de Salazar qui interdisait aux diplomates portugais de délivrer des visas, Aristides de Sousa Mendes était en proie aux foudres de Pedro Teotónio Pereira, ambassadeur du Portugal à Madrid et de Salazar lui-même. Rentré à Lisbonne, il a fait l´objet d´un procès disciplinaire qui lui a ôté la possibilité d´officier en tant que consul et plus tard Salazar, passant par-dessus ce verdict, l´a condamné à un an d´inactivité avec un salaire réduit de moitié et une mise à la retraite anticipée à la fin de cette même année. Il est mort dans  la pauvreté et l´anonymat en 1954.

Aristides de Sousa Mendes aujourd´hui est un héros national
Il a fallu près de quarante ans pour qu´Aristides de Sousa Mendes soit finalement réhabilité. Aujourd´hui, il est un héros national, n´en déplaise aux nostalgiques du régime salazariste qui de temps à autre s´acharnent encore à flétrir sa mémoire. Nombre de personnes oeuvrent à la préservation de son legs, une école, des rues, des parcs, des comités, des fondations portent son nom au Portugal et à l´étranger, des biographies lui ont été consacrées, enfin, le mémorial de l´Holocauste Yad Yashem, à Jérusalem lui a rendu hommage dès 1966. Néanmoins, un long travail reste à faire, les travaux de rénovation de sa maison à Cabanas de Viriato, par exemple, ont souvent été reportés avant de s´amorcer finalement l´année dernière.

Quoi qu´il en soit, de plus en plus de gens au monde s´inclinent devant sa mémoire et Salim Bachi- avec cet admirable roman et en styliste impeccable- vient de contribuer à la rendre encore plus éclatante. On ne peut que l´en remercier.

Salim Bachi, Le consul, éditions Gallimard, Paris, 2015

Fernando Couto e Santos (www.lepetitjournal.com/lisbonne.html) mardi 7 avril 2015
http://laplumedissidente.blogspot.pt/

logofblisbonne
Publié le 6 avril 2015, mis à jour le 7 avril 2015

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