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Migrer pour étudier: un voyage avec plus de questions que de réponses

Quitter son pays est difficile, mais le véritable défi est de s'intégrer dans cette nouvelle société qui nous reçoit. C'est un saut dans l'inconnu, rempli de réflexions que je souhaite partager avec vous.

ESTUDIANTEESTUDIANTE
@Matese Fields
Écrit par Rodrigo Castillejo
Publié le 15 juillet 2024, mis à jour le 18 juillet 2024

La victoire aux élections européennes, il y a quelques semaines, de la liste présentée par le parti de droite radicale[1], le Rassemblement national, a bouleversé la scène politique française. La principale conséquence de cet événement sans précédent, a été la décision du Président Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée nationale, et de convoquer de nouvelles élections législatives.

Face à la possibilité qui existait à ce moment pour la droite radicale d'accéder à l'hôtel Matignon, je me suis sérieusement interrogé sur mon rôle, ou plus généralement sur le rôle des étudiants étrangers dans la politique des pays qui les accueillent.

Par ailleurs, j'aimerais partager dans cet article quelques réflexions que j'ai eues lors de mon séjour en France, comme par exemple sur les effets que peut avoir sur une personne le fait de s'exposer à un contexte politique si différent de celui de son pays d'origine.

 

 

Le rôle d'un étudiant étranger dans la politique de son pays d'accueil

Bien que nous vivions dans un monde globalisé où nous avons l'impression qu'en quelques clics, nous pouvons connaître tous les coins du monde, on ne connaît vraiment la réalité des autres sociétés que lorsqu'on a une relation physique avec elles.

J'en ai fait l'expérience à mon arrivée en France. Bien que j'ai fréquenté une école française au Pérou, et que je pensais avoir une idée générale de la vie dans ce pays, j'ai été surpris de découvrir que j'ignorais beaucoup de leurs coutumes et de leurs réalités inhérentes.

Il en va de même pour la politique, que je n'ai que commencer à saisir qu'après avoir vécu plusieurs mois ici. Je continue d'observer, de lire et de chercher à comprendre comment la société française est structurée, comment les gens conçoivent le monde ici, et ce qui les motive à agir.

 

Cependant, je pense qu'après deux ans à vivre ici, je peux déjà commencer à me faire une idée générale de quelles seraient mes préférences politiques en France, des causes que je défendrais, et des représentants que je choisirais si je pouvais voter.

 

Cependant, la réalité est que je ne vote pas ici, que je n'ai pas vécu ici toute ma vie, que mes parents ne sont pas français, et que je n'ai pas le sentiment d'être français.

 

La question de mon rôle dans cette société se pose alors : dois-je rester un observateur de la politique, et accepter le sort que les Français me réservent ? Ai-je le droit d'élever la voix pour défendre certaines causes alors que je ne suis pas né et n'ai pas grandi ici ? Dans quelle mesure mon opinion vaut-elle autant que celle d'un Français sur les questions qui concernent son pays ?

 

Initialement, au moment de mon arrivée, j'ai décidé d'adopter un rôle d'observateur. Bien qu'ayant certaines opinions et paradigmes qui guidaient ma pensée, j'ai décidé, à la manière des acousmaticiens de l'école de Pythagore, d'apprendre et d'écouter avant de parler.

Si, au début, cette pratique me paraissait tout à fait correcte, au fil du temps, je me suis de plus en plus intéressée aux questions françaises.

J'ai commencé à parler à mes amis proches des idées qui me venaient à l'esprit et à leur demander ce qu'ils en pensaient, afin de me former une opinion plus solide chaque jour.

Je suis même devenu membre d'une association qui réalise des simulations de sessions parlementaires afin de mieux connaître les points de vue des différentes composantes de l'échiquier politique.

 

Petit à petit, je comprends de mieux en mieux, et j’ai de plus en plus envie de donner mon avis, voire même à adhérer à un parti politique.

 

Malgré cela, les questions soulevées ci-dessus reviennent sans cesse, me laissant dans un vide entre un intérêt croissant pour un sujet, et un doute sur ma capacité à le saisir totalement.

J'aurais pu voter aux élections européennes en France puisque, en plus de la nationalité péruvienne, j'ai aussi la nationalité espagnole, et les citoyens européens ont le droit de voter dans leur pays de résidence.

Cependant, bien que sachant très bien pour qui j’aurais voulu voter, j'ai décidé de ne pas aller aux urnes, soit parce que je ne me sentais pas assez informé, soit parce que je pense vraiment que je ne suis pas légitime pour me mêler d'affaires qui ne me regardent pas dans sa totalité.

 

N'étant pas français, et ne voulant pas vivre ici à l'avenir, j'ai décidé de retourner à ma place d’observateur.Est-ce que je regrette ma décision ? Un peu. Si j'avais la possibilité de voter à nouveau, je le ferais ? Je n'en suis pas certain. Tel est l'état actuel de mon raisonnement personnel, un doute constant entre ce que je devrais, voudrais ou pourrai faire.

 

Se sentir seul dans l'univers politique

Bien que les sociétés sud-américaines aient tendance à se considérer comme influencées par la culture occidentale, cette affirmation doit être analysée plus en profondeur.

D'une part, certaines formes typiques du vieux continent, comme la démocratie libérale ou l'économie de marché, sont perçues par les citoyens sud-américains comme des objectifs à atteindre.

Etudiant
@Tim Gouw

 

Cependant, ce serait une grave erreur de considérer que les deux sociétés sont homogènes, car cela reviendrait à ignorer les différences en termes d'histoire contemporaine et ancienne, ainsi que l'influence des cultures préhispaniques dans la configuration des identités nationales.

 

En effet, lorsque je suis arrivé en France, j'ai pu identifier certaines valeurs et causes qui existaient déjà dans mon pays, mais j'ai également constaté de nombreuses différences dans la manière de percevoir les problématiques économiques et sociales.

En effet, il existe une barrière qui fait qu'il est difficile pour des personnes issues de sociétés très différentes d'appréhender une même question de la même manière.

En termes plus techniques, cela peut être expliqué par le concept d'habitus, théorisé par le sociologue Pierre Bourdieu[1]. En effet, ce dernier est une structure mentale de pensée propre à chaque personne, qui se développe au cours de la vie à travers les expériences, les pratiques et les contextes sociaux.

L'habitus a permis à Bourdieu d'expliquer pourquoi des personnes appartenant à des communautés similaires, ont tendance à se mobiliser politiquement de la même manière, et à avoir des orientations politiques homologues.

Cela est dû au fait qu’elles partagent des expériences communes qui façonnent leur perception et leur action dans la sphère politique. Bien que cet habitus ne cesse d'évoluer, il est difficile, dans des circonstances normales, pour un individu de s'adapter pleinement à la cosmovision de sa nouvelle société.

Cet habitus sui generis développé par l'étudiant étranger peut conduire à un sentiment de solitude. L'être humain est un animal politique[2] et s'intéresse donc naturellement aux événements politiques qui l'entourent.

Cet ensemble de valeurs, d'idées et de convictions qui constituent un mode de pensée, sert de moyen d'intégration dans la société, car il permet à une personne de s'unir à des individus qui partagent des visions similaires. Ainsi, de la même manière que la pression sociale influence la mobilisation politique d'un individu[3], le fait de se sentir membre d'un groupe politique lui donne un sentiment d'appartenance et d'intégration à la société.

Cela nous amène au cœur du deuxième thème de cet article. Le risque que court cet étudiant étranger est de se sentir incapable d'intégrer un groupe partageant sa vision du monde. Cela s'applique non seulement à une volonté de rejoindre un parti ou de participer à la vie politique, mais aussi simplement à une capacité à s'intégrer et à créer un cercle d'amis solide.

J'ai souvent été dans cette situation. Il m'est arrivé à plusieurs reprises d'avoir de fortes divergences d'opinion avec des amis, divergences que j'attribue à cette différence d’expériences qui ont structuré notre habitus. Cela m'oblige parfois à tolérer ou à laisser passer certaines choses avec lesquelles je suis profondément en désaccord, ou à éviter certains sujets à tout prix. Le grand problème est que, étant étudiant en Science Politique et fréquentant des personnes pour la plupart très politisées, il est difficile de se tenir constamment à l'écart des sujets qui sont sensibles pour moi, même s'ils ne le sont pas pour certains français.

 

Ainsi, une fois de plus, des questions se posent sur la manière d'agir dans ces situations : dois-je ignorer les différences inévitables en les attribuant simplement à nos habitus différents ? Ces personnes sont-elles obligées de comprendre et d'accepter ma position différentielle ? Quelles stratégies peuvent m'aider à trouver un équilibre entre le maintien de mon identité culturelle et l'adaptation à une nouvelle société ? Quelles stratégies peuvent m'aider à trouver un équilibre entre le maintien de mon identité culturelle et l'adaptation à une nouvelle société ?

 

Une réflexion ou un tonneau des Danaïdes ?

 

Etudiant
@Helena Lopes

J'arrive à la fin de cet article en ayant soulevé plusieurs questions sans avoir encore la capacité de les répondre. Cependant, il m'a semblé important de partager ces réflexions, exprimées sous la forme d’une petite catharsis.

Pour ceux d'entre vous qui se reconnaissent dans cet article, j'espère qu'il vous a aidé à clarifier un peu plus votre pensée et à réaliser que vous n'êtes pas seuls. Les défis et les expériences décrits sont partagés par de nombreux étudiants étrangers, quel que soit le pays où ils se trouvent ou celui d'où ils viennent.

Pour les futurs étudiants, j'espère que cet article vous préparera à faire face de manière plus agréable à l'intégration dans un nouveau monde qui, bien qu'enrichissant, n'est pas facile.

Enfin, pour ceux d'entre vous qui ne sont pas étudiants étrangers mais qui connaissent quelqu'un qui l'est, j'espère que cet article vous permettra de mieux comprendre la situation que vivent certains d'entre nous et les questions qui, bien qu'elles ne soient pas toujours visibles, peuvent nous affecter et susciter des doutes.

 

 

 

[1] La Distinction: Critique sociale du jugement Portada Pierre Bourdieu, Minuit, 2016

[2] La Politique, Aristote

[3] Gerber, A., et al. "Social Pressure and Voter Turnout: Evidence from a Large-Scale Field Experiment." American Political Science Review, vol. 102, no. 1, 2008.

 

 

[1] Cas Mudde, “The Far Right Today”, Polity, Cambridge, 2019

RODRIGO
Publié le 15 juillet 2024, mis à jour le 18 juillet 2024

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