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Ismail Selim – un Egyptien à Paris

Ismail SelimIsmail Selim
Écrit par Raphaëlle Choël
Publié le 25 novembre 2020, mis à jour le 30 mars 2021

Voici l'histoire d'Ismail Selim, un Egyptien vivant à Paris qui s'est battu pour obtenir la nationalité française.  Sans papier et sans notion de français, il a réussi à se faire une place en France.

J’ai rencontré Ismail alors que je me lançais dans des travaux de rénovation à mon domicile. Grande amoureuse du béton ciré, je me suis rendue au temple dudit matériau où j’ai demandé des contacts d’artisans. Quelques échanges et pauses café plus tard, me voici devant l’évidence que cette histoire mérite d’être contée… 

Rencontre avec un homme courageux arrivé à Paris il y a vingt ans, avec sa valise, un grand sourire, mais sans papier ni aucune notion de français. A force de travail et de patience, il a aujourd’hui la nationalité française et une vraie reconnaissance dans le métier. Itinéraire d’un enfant tout sauf gâté…


Ismail est né à Port Saïd en septembre 1974 d’un père manutentionnaire au canal de Suez et d’une mère au foyer soucieuse de veiller sur ses cinq enfants. Ismail a en effet un frère qui travaille aux douanes et trois sœurs, elles-mêmes femmes au foyer. A Port Saïd, Ismail suit une scolarité normale jusqu’à ses 18 ans avant d’entrer à l’armée où il s’engage pour deux ans. De retour du front, il se lance dans des études d’anglais et d’informatique pendant deux années supplémentaires. Curieux et travailleur, il aime mettre à profit ses vacances d’été pour assister les peintres en bâtiment de son entourage et acquérir ainsi les bases du métier. Une fois ses études achevées, il y passera tout son temps pendant cinq ans. 

Alors fiancé à une jeune femme à qui il s’est promis, il réalise rapidement qu’il ne pourra pas honorer l’engagement d’offrir à sa dulcinée une belle maison et de quoi subvenir aux besoins d’une famille. Le mariage, dont la date a pourtant été fixée, est annulé et Ismail décide de tout quitter dans l’espoir d’une vie meilleure, ailleurs. Il prépare sa valise et fait ses adieux à ses parents. Pour sa mère, le départ est déchirant ; Ismail la rassure en lui disant de ne pas s’inquiéter : « n’aie pas de peine Maman, je pars pour gagner plus d’argent et je te promets que mon premier salaire vous sera envoyé pour vous aider. Je vais régler tous les crédits de Papa, c’est promis ». Sa promesse est honorée, et depuis 18 ans, Ismail envoie chaque mois une partie de son salaire à ses proches restés au pays. Pendant ce temps-là, ses parents prient pour lui et veillent ainsi à distance sur sa sécurité et sa réussite.

Le grand départ


Le jeune homme alors âgé de 27 ans s’envole le 1 er juin 2002 pour la France où il obtient un visa de 45 jours qui ne permet en réalité que de rester 30 jours effectifs. Il part avec une valise si lourde qu’il préfère troquer l’escalator pour le long escalier, de crainte de trébucher. Il s’installe à bord, épuisé. Sa valise est pleine à craquer : vêtements et journal intime font bien entendu partie du voyage, mais également des pâtisseries égyptiennes et … un canard
entier cuit par sa mère à partager avec les Egyptiens qu’il retrouvera à Paris. « Dans l’avion, je pense à ma nouvelle vie, ma nouvelle quête, je pense aussi à la fiancée que j’ai quittée dans l’espoir d’une vie meilleure. Je me fais la promesse secrète de ne pas rentrer en Egypte avant d’être fier de moi ».


Ismail arrive à Orly où il est accueilli par une vague connaissance qui l’aide à trouver un logement, une petite chambre de bonne près du pont de l’Alma. Pendant sept ans, le jeune homme vivra de petits boulots de peinture grâce à la précieuse expertise acquise au pays, et ne sortira que très peu ; et les rares fois où il le fera, ce sera la peur au ventre, dans la crainte de se faire arrêter par la police et de voir alors son plan anéanti.


L’escapade italienne


Un jour de septembre 2006, ayant entendu que l’Italie offrait des facilités pour obtenir les papiers, Ismail tente sa chance et passe la frontière. Il reste quatre semaines à Vintimille mais au moment de rentrer en France par le train, il se fait arrêter et est aussitôt renvoyé en Italie qui lui donne deux semaines pour quitter le territoire. Le compte à rebours a commencé ; il est hors de question de rentrer en Egypte. Ismail tente le tout pour le tout, cette fois-ci en voiture avec des amis Italiens et Egyptiens qui passent avec lui la frontière. Pari gagné, ses acolytes le déposent à Nice et Ismail monte dans le premier train pour Paris, l’estomac noué.


La vie continue et Ismail poursuit ses démarches administratives de prolongation de carte de séjour et de demande de nationalité. Il est aidé pendant de nombreuses années par ceux qu’il appelle ses anges français, Laurence et Patrick rencontrés dans la rue pour l’une, et alors qu’il suit des cours de français pour l’autre. Deux belles âmes qui n’ont pas compté leur temps pour l’aider et l’accompagner dans les méandres de l’administration française. Au terme de toute la paperasse effectuée, on lui dit qu’il recevra une réponse sous … 18 mois ! Mais au bout de six, un jour de Printemps, Ismail tourne la clé de sa boîte aux lettres et ouvre une lettre sur laquelle il peut lire : « Cher Monsieur, vous êtes devenu Français le 14 avril 2014 ! ». Ismail referme le courrier, le froisse nerveusement et l’ouvre à nouveau, ayant du mal à en croire ses yeux. « Cette annonce est publiée dans le Journal l’Officiel de ce
jour 
», précise la missive.

égyptien Paris nationalité


Il est 19h et la nuit va bientôt tomber. Les yeux encore humides de tant d’émotion, rien n’arrête le jeune Egyptien qui passera la nuit à arpenter toutes les rues de la capitale pour trouver une copie du journal, dont il achètera cinq exemplaires en souvenir. Il en ouvre un et, depuis, conserve précieusement les autres sous cellophane.

En France, Ismail continue à se former, une première fois en 2013 avec l’obtention du Certificat de Formation Générale (CFG) ; il obtiendra ensuite un diplôme de décoration et de peinture en bâtiment en 2015. Il se forme également à la pose de béton ciré, une technique précise et méticuleuse qui nécessite une grande minutie. Et comme il sait que son intégration passe avant tout par l’apprentissage de la langue, il prend des cours du soir après
des journées de travail pourtant denses. Avec son walkman il apprend aussi par cœur des mots qui lui sont répétés tour à tour en arabe et en français. Ismail met toutes les chances de son côté et cela finit par porter ses fruits.


Le retour au pays


L’été 2014, juste après l’obtention de la nationalité française, Ismail rentre à Port Saïd où il achète un appartement, un symbole fort qui scelle le pacte secret qu’il s’était fait à lui-même dans l’avion qui le menait à Paris en 2002. Cette année-là coïncide également avec la rencontre de Mayada, une jeune Egyptienne de dix ans sa cadette qu’il épousera en août 2015 et qu’il emmènera avec lui à Paris. Ils ont aujourd’hui deux enfants : Adam, quatre ans
et Maya, trois ans. « Quand je vois le chemin parcouru, je suis fier de moi, même si c’était dangereux de vivre ainsi sans papier. J’ai été courageux, c’était vraiment difficile d’être ainsi seul loin de ma famille pendant sept ans. » Il se souvient avec amertume de l’escroquerie dont il a été victime, et des dix mille euros versés à une personne qui ne l’aura finalement jamais aidé à avoir ses papiers. Il évoque aussi le jour où son ami algérien Amar s’est fait arrêter par la police et emmener à Roissy. Ce jour-là Amar appelle Ismail, des sanglots dans la voix « Ismail, je n’ai que 24 heures pour trouver une solution, aide-moi je t’en prie ! ». Ismail raccroche et trouve un avocat qui accepte de les aider moyennant une avance de … mille euros. Le cœur serré et inquiet, Ismail frappe à toutes les portes ; il emprunte cent euros par ci, deux cents par là…en quelques heures le compte est bon et l’avocat accepte enfin de se déplacer. Un bref exercice de rhétorique du maître, et la magie prend. Ismail se souvient encore ému : « Amar m’a téléphoné immédiatement : « Ismail, je suis libre ! » J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, j’étais tellement heureux. Et ce n’est qu’ensuite que j’ai réalisé que si Amar n’avait pas été libéré, c’est moi qui aurais dû tout rembourser. Quand il m’a demandé de l’aide je l’ai secouru comme un frère, je n’ai pas du tout pensé à ça »,
raconte-t-il.


Aujourd’hui, Amar et Ismail ont non seulement eu un parcours sans accroche en France, ce qui leur a permis de compter parmi ses citoyens et de décrocher un emploi en CDI ; mais surtout, et enfin, ils ont acquis la sérénité et la paix de l’âme de pouvoir vivre tranquillement dans leur pays d’adoption, sans être hantés par la crainte de voir leur rêve d’intégration et de réussite s’arrêter net. Ils ont fondé une famille désormais française, c’est là qu’ils veulent offrir un avenir à leurs enfants, en leur montrant le chemin du travail, de l’honnêteté et de la persévérance. « Nos enfants ont un avenir en France, mais pas là-bas… ».

Les défis continuent pour Ismail qui met un point d’honneur à améliorer toujours plus son français. « Je voudrais parler la langue comme les vrais Français et obtenir un diplôme plus élevé que le CFG ». Et quand il songe à l’avenir, il envisage une retraite égyptienne en nourrissant le doux rêve de s’offrir un appartement devant le canal de Suez, d’où il regarderait matin et soir les allées et venues quotidiennes du soleil…

Informations

Ismail est toujours heureux de parler de son expérience. Vous pouvez le joindre par téléphone au +33 6 79 50 53 92.

Ou par mail, à l'adresse suivante : ismail1074@gmail.com

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