

Pantun Sayang, l'Association Française du Pantoun vient de créer un site entièrement dédié au pantoun. Rencontre avec Georges Voisset, auteur-traducteur de livres sur la Malaisie et président de l'Association.
Lepetitjournal.com : La création du site montre un véritable intérêt pour cette forme poétique. Si vous deviez résumer cela en quelques chiffres, lesquels seraient-ils? D'autre part, combien de personnes ont participé aux différents concours organisés par La Revue Pantouns avant la création du site?
Georges Voisset : Je suis ravi que vous parliez immédiatement chiffres ! La poésie n'est pas spécialement fameuse pour cela, mais en l'occurrence, ils sont éloquents. Le nombre de poètes Français s'étant essayés au pantoun avant 2012 , c'est-à-dire avant le début de notre aventure et le lancement de la revue Pantouns, était de?quatre. Il en existe certainement quelques autres, que l'Histoire n'a pas spécialement retenus, mais peu importe : espacés sur plus de deux siècles, ces noms, aussi important que soit le principal, René Ghil, sont des ?météorites?. Il y eut aussi Henri Fauconnier, le célèbre auteur de Malaisie, qui a promu le pantoun dans son roman mais qui à ma connaissance n'a pas pantouné lui-même. Deux ans et 12 numéros de notre revue plus tard, c'est désormais fort d'une cinquantaine de poètes et poétesses que sont inaugurés, en ce mois de septembre 2014, Pantun Sayang, l'Association française du Pantoun, et son site dédié. Le vrai pantoun n'est plus, désormais, celui que l'on croyait, en Francophonie et ailleurs?
45 de ces poètes et poétesses sont présents dans l'anthologie papier que nous publions en association avec les Éditions Jentayu. Ils viennent de tous les horizons de l'écriture : animateurs de blogs de poésie ou de littérature, membres de la Société des Poètes Français, de la Société des Écrivains du Québec, de la Société des Poètes Roumains, du Congrès Mondial des Poètes, simples amis de la plume que la découverte du pantoun a attirés, parfois enthousiasmés. C'est dire si nous sommes heureux que notre aventure connaisse aujourd'hui un tel succès. Notre ambition est d'abord francophone, et nous avons des contributeurs de toutes les provinces de France, en Belgique, au Luxembourg, en Espagne, en Roumanie, au Bénin, au Togo, au Canada. Mais au-delà, si notre Association est française, son objectif, lui, le pantun malais et la création poétique, n'a pas de frontières pour nous : États-Unis, Australie, Danemark ont ainsi déjà trouvé place chez nous, en attendant d'autres langues et pays. Et en Malaisie, bien entendu, où nous espérons bien susciter des espaces de création et, plus généralement, obtenir des supports de nos projets qui sont divers et nombreux. Je mentionnais le nom d'Henri Fauconnier, comment ne pas penser à une pépinière comme le lycée français de Kuala Lumpur, par exemple?
À cet égard, et pour en venir à votre interrogation sur les concours que nous avons lancés, celui qu'a proposé Aurore Pérez au Malaysia-France Institute (MFI)et dont les meilleures productions se trouvent dans le numéro 11 de Pantouns est un excellent exemple des échanges que nous souhaitons encourager avec la Malaisie, Singapour, l'Indonésie... Un autre concours lancé l'a été sur le thème du batik, qui a produit de très beaux textes. Il y a tant à faire autour de ce genre si riche et méconnu ! Nous essayons aussi de satisfaire nos contributeurs, en proposant des thèmes qu'ils nous suggèrent. Enfin, à travers concours et thèmes, nous avons pour objectif de mettre en valeur toutes les potentialités du pantoun. Nous avons ainsi initié des échanges poétiques (pantouns échangés, à 2, 3 voix,?), le pantoun étant, par essence, un genre de dialogue, de joute poétique. C'est pourquoi ceux qui nous rejoignent ne risqueront pas de se retrouver seuls face à leur écran !
Pourquoi selon vous cet engouement pour le pantoun ?
La découverte du vrai pantoun, c'est-à-dire un simple petit quatrain, a conduit nos contributeurs, peu à peu, à des révélations sur les beautés du genre. On aime le nouveau, être surpris, entrer dans des mondes enchantés mystérieux, ceux d'Alice, de Narnia ou du Pantoun. Par ailleurs, il faut tenir compte de ce que j'ai dit plus haut : avant Pantouns, tout le monde ou presque en France et en-dehors du monde malais croyait ? croit encore trop ! ? que le pantoun est le? pantouM. Or, justement, la grande révélation de nos lecteurs a été celle-ci : le pantoun n'est donc pas ce fameux pantouM, et l'on cite ensuite Victor Hugo, Baudelaire? Notre premier obstacle a été un obstacle formidable : le pantouM selon Victor Hugo, qui fait aujourd'hui le tour du monde du Net. Fallait-il la foi pour aller contre cela !
Pour ceux qui franchirent notre petite Porte des étoiles du vrai pantoun quatrain, la surprise que le pantoun n'est pas le pantouM a donc été très vite suivie de celle qu'il est une chose vibrante, multiple, amusante, stimulante, résistante, et donc d'autant plus féconde. Et ce n'était pas non plus le très célèbre haïku, ou le tanka, ces genres japonais qui nous ont amenés beaucoup de contributeurs curieux, justement, de découvrir d'autres mondes. Au hasard de la découverte de notre revue, suivit, comme vous le dites, un certain ?engouement?.
La raison de notre succès est donc pour nous une source de très grande joie et de grand optimisme, parce que nous savons qu'une fois l'existence du vrai pantoun malais suffisamment connue du grand public, sur les réseaux, sur le Net, grâce à nos activités, projets, publications, les ressources de ce genre de poésie nous assureront un avenir bien rempli ! Car, en réalité, ce que nous recherchons c'est un élargissement de la créativité et des connaissances autour de ce genre malais, tremplin magnifique et méconnu de la Poésie universelle.

Il s'agit d'une anthologie. Collection de pantouns francophones, publiée aux Éditions Jentayu en collaboration avec Pantun Sayang. Le titre est un hommage à ce grand homme qui aura donc fait tant de tort, en France, puis en Francophonie, puis dans le monde, au pantoun (à moins que ce ne soit exactement le contraire ?) : Victor Hugo en personne, pour qui la découverte du pantoun était comme celle ?d'une poignée de pierres précieuses arrachées à la grande mine de l'Orient?. Ce recueil marque, avec la création de notre site, une première étape de notre succès, avec quelque 45 contributeurs francophones issus de quatre continents différents. Il regroupe environ trois cents pantouns, de tous les pays cités plus haut, certains traduits en malais et en anglais, mais aussi en chinois et en tamoul, le tout saupoudrés de strophes de grands poètes Malaisiens, Indonésiens et Français (Victor Hugo, Henri Fauconnier, René Ghil, F.R. Daillie, etc.) et de superbes illustrations de peintres Malaisiens.
Permettez-moi d'insister encore sur un point : ce recueil n'est pas une anthologie de plus, parmi des milliers d'anthologies de poèmes alignées sur des rayonnages et devant lesquelles on circule. C'est une première mondiale ! Enfin, je n'en mettrai pas ma main au feu, mais je suis convaincu qu'avant ces Pierreries, aucun recueil de pantouns non malais n'avait été publié ! La France devait bien ça au pantoun malais.
Dans votre appel à textes, vous incitez les poètes francophones à ?participer activement à l'aventure du développement du pantoun sous d'autres latitudes, bien loin de ses origines malaises et indonésiennes?. Quelles sont les différences notables ?
Personnellement, je ne pense pas qu'il faille imiter le monde des rizières et des buffles du Kedah, ou les subtilités de la culture nyonya de Malacca, pour rendre à ce genre merveilleux, depuis chez nous, dans nos langues, tout ce qu'il nous a apporté depuis chez lui, et que nous avions déjà si peu su prendre en considération depuis deux siècles et demi.
Je ne pense pas non plus qu'un genre poétique soit figé dans des normes intangibles, confiées à des gardiens du temple. Sans doute que les sages et évolutions actuels du pantoun malais, ses usages officiels (et politiques notamment) ne nous stimuleraient pas particulièrement en Occident. Mais le genre pantoun est au-delà de tous les usages que l'on en peut faire. Il est ?en soi?. La poésie, en vérité, est bien souvent ailleurs que là où on la voudrait, et avant le pantoun même, c'est le potentiel de poéticité du pantoun qui nous anime, et qui attire de plus en plus nos contributeurs. Ce qui importe pour moi n'est pas une supposée vérité malaise et éternelle du pantoun, mais que le genre vive en développant le maximum de ses richesses. Mais ne l'oublions pas, notre aventure est bel et bien une? aventure, et votre question est précisément celle qui anime les débats les plus passionnés au sein de notre petite équipe, où il n'y a pas unanimité sur la chose. c'est fort heureux pour s'assurer que l'aventure vive longtemps !
Mais pour finir, il y a un point toutefois sur lequel on n'insistera jamais assez. Ce qui fait que le pantoun est unique, ce qu'aucun autre genre n'a et que lui possède, c'est la séparation en deux moitiés, l'une annonçant une image, l'autre lui donnant son sens. C'est là que l'art malais de l'élégance, de l'allusion subtile, sait triompher, et c'est là que pèchent la plupart des pantouneurs occidentaux, qu'ils soient débutants ou, parfois, négligents. C'est là le c?ur battant du pantoun, cette façon de penser par analogie qui imprégnait toute la parole dans les rizières du Kedah d'autrefois, les joutes traditionnelles entre pantouneurs de l'Archipel aujourd'hui, mais à laquelle nous ne sommes plus du tout formés, ce qui nous la rend insensible. C'est le n?ud de l'affaire. Cette différence-là n'est pas entre le monde malais et notre éloignement de l'Archipel, mais entre les mondes de la pensée rurale et collective, et celle du monde moderne et global. C'est cet effort pour penser autrement, pour poétiser autrement, qui rend très vite l'art du pantoun si prenant et passionnant. L'essayer, c'est l'adopter !
Quelques mots sur votre équipe, justement. Tous ont-ils, de près ou de loin, un intérêt commun pour la poésie malaise ou indonésienne ?
Nous sommes une petite équipe de ?mousquetaires? que rien a priori ne rapprochait, ni les âges, ni les lieux de vie, ni les professions. C'est vrai que le noyau constitutif de l'aventure se trouve entre Jérôme Bouchaud, qui s'intéresse de près à la Malaisie en tant que pays, et moi-même, qui ai publié sur les littératures traditionnelles et la poésie de l'Archipel. Lettres de Malaisie a donc été naturellement le premier lieu où se sont croisés nos intérêts et nos échanges. Mais c'est le pantoun en tant que forme poétique exceptionnelle qui a permis d'agréger à notre initiative la présence de personnalités de grande qualité, mais sans lien particulier avec la Malaisie ou le monde malais : Jean-Claude Trutt, dont on pourra découvrir la puissance intellectuelle et la curiosité d'amateur cultivé dans ses blogs, et Marie-Dominique Crabières, venue à nous via sa passion pour la poésie japonaise, la poésie en général, et solide talent poétique.
Ainsi, quand un pantoun nous arrive, nous sommes certains que nos regards seront par nature et formation assez différents pour nous guider vers l'avenir, retenir le meilleur de ce que nous recevons, et accepter, orienter au mieux cette diversité. Mais il y a beaucoup à faire, d'autant que le pantoun aime l'esprit d'équipe le plus ouvert possible. Notre Forum, sur le site de Pantun Sayang, complément de notre revue, en sera la vitrine.
A voyage lointain, monture ménagée :
Telle est la devise du baroudeur.
Le pantoun m'a pris un beau jour d'été ;
Deux hivers passés, toujours pantouneur.
Eliot Carmin
Alexandra Le Vaillant (www.lepetitjournal.com/kuala-lumpur.html) jeudi 23 octobre 2014
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