Valérie Villers est enseignante et exerce depuis plus de 20 ans, dont 15 dans les lycées français à l’étranger. Elle est aujourd’hui la Directrice de l’Ecole Française Internationale Bombay. Sa vocation est née lorsqu’elle était monitrice de voile à Tahiti, durant son année de Terminale. Depuis, elle a mené sa vie professionnelle et sa vie de famille en choisissant ses postes en fonction des besoins d’attention de ses enfants tout en se dévouant à ses élèves, comme à Abidjan lorsqu’elle a refusé de quitter le pays en pleine crise post-électorale tant que l’école était ouverte.
lepetitjournal.com Bombay : Vous êtes depuis septembre 2018 la directrice de l’Ecole Française Internationale de Bombay (EFIB). Pourriez vous nous décrire votre parcours avant ce poste ?
Valérie Villers : J’ai grandi à Tahiti jusqu’à mon baccalauréat. Lorsque j’étais au lycée, j’étais monitrice de voile durant les vacances scolaires et je m’occupais d’ enfants de 7-8 ans qui apprenaient à naviguer sur des optimists. Ce premier contact avec les enfants a décidé du choix de mon métier. A la fin du lycée, je suis partie en France pour étudier et obtenir une maîtrise d’économie internationale et mon diplôme de professeur des écoles.
En 1999, mon mari a obtenu un poste à l’Ambassade de France à Delhi. Nous nous sommes donc installés en Inde avec nos enfants en bas âge. Pendant deux ans, j’ai découvert ce magnifique pays tout en effectuant des remplacements à l’Ecole Française de Delhi, puis j’ai décroché un poste de professeure à temps complet en CM, poste que j’ai occupé durant 3 ans.
En 2004, nous avons déménagé à Islamabad au Pakistan et j’ai travaillé à l’Ecole Française Alfred Foucher d’Islamabad jusqu’à notre départ en 2007. A l’époque, les effectifs étaient relativement faibles si bien que j’enseignais en CE2-CM1-CM2. Cela m’a permis de mettre en pratique une véritable pédagogie différenciée dont j’ai, par la suite, appliqué les principes tout au long de ma carrière, que les classes soient à double niveau ou pas. La dernière année, j’étais la directrice de l’école, cela a été l’une des périodes les plus intéressantes mais aussi les plus éprouvantes de ma vie à l’étranger, non pas en raison de ma nouvelle responsabilité mais à cause de la situation politique particulièrement tendue au Pakistan.
Nous avons alors décidé de rentrer en France pour que nos enfants découvrent ce magnifique pays qui est le nôtre. De 2007 à 2010, j’ai été successivement la directrice de deux petites écoles de village et nous avons sillonné la France en voiture, les enfants, mon mari et moi, pendant les vacances scolaires. Nous avons particulièrement apprécié ces voyages qui ont permis à nos enfants de connaître l’un de leurs deux pays d’origine et d’en apprécier la beauté.
En juillet 2010, mon mari s’est vu proposer un poste à l’Ambassade de France à Abidjan, en Côte d’Ivoire. L’Ecole Jacques Prévert venait juste de rouvrir, après la longue période d’instabilité que le pays avait connue, si bien que j’ai obtenu un poste en CM2 et la position de coordinatrice de cycle 3. Je gérais donc 14 classes. En 2011, nous avons vécu la guerre civile durant une dizaine de jours lorsque Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara se sont tous deux déclarés vainqueurs du scrutin présidentiel. Les jours qui ont précédé la crise postélectorale ont été particulièrement difficiles. Des barrages étaient érigés un peu partout dans la ville et des citoyens lambdas se prenaient pour des policiers et fouillaient nos voitures. L’école est néanmoins restée ouverte jusqu’au déclenchement des hostilités le mercredi 30 mars 2011.
Toute ma famille est demeurée sur place. Le 30 mars, mon mari est parti travailler dans un véhicule blindé avec un gilet par-balles, je ne l’ai pas revu durant trois semaines car il est resté à l’Ambassade par mesure de sécurité et pour répondre aux besoins des français toujours présents à Abidjan. Les enfants et moi avons passé plus d’une semaine enfermés dans la résidence dans laquelle nous étions logés, et ce avec soixante autres habitants. Nous étions réfugiés dans une maison derrière notre immeuble qui nous protégeait des obus et des balles des belligérants. Il fallait être silencieux. Ce fut une période particulièrement éprouvante surtout lorsque les troupes de Laurent Gbagbo sont arrivées dans le quartier avec pour objectif de nous enlever. Je suis d’ailleurs particulièrement reconnaissante envers les gendarmes mobiles qui nous ont protégés tout ce temps au péril de leur vie.
La promiscuité dans notre refuge a commencé au fil du temps à échauffer les esprits. J’ai décidé, unilatéralement je dois l’admettre, de rationner la nourriture, afin que les six enfants présents mangent trois repas par jour. Bizarrement, nous avons fini par trouver un certain équilibre et nous nous sommes habitués aux bruits de la guerre. Nous avons finalement pu quitter la résidence dans un moment d’accalmie relative. Mon mari nous a mis, c’est le cas de le dire, dans le premier avion Air France pour Paris. Mais lui, est resté sur place. Finalement, avec l’accord de mes enfants, nous sommes revenus après deux semaines, la crise étant achevée. La vie a repris son cours doucement. Au début, les effectifs de l’école étaient minimes, les deux CM2 ont donc été fusionnés, ma collègue n’étant pas rentrée. Petit à petit, les élèves sont revenus.
En septembre 2014, nous avons quitté la Côte d’Ivoire et toute la famille s’est installée à New York où j’ai obtenu un poste d’enseignante de CP pour la première fois de ma carrière. Ce fut une nouvelle expérience pour moi, le CP étant une classe très différente des classes de cycle 3 ; j’ai donc beaucoup appris aux Etats-Unis et ai remis en question mes pratiques pour progresser et, par conséquent pour faire progresser mes élèves. Le lycée Franco-Américain est un établissement bilingue comme son nom l’indique, les enseignants sont littéralement poussés par les directeurs pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Il est clair que cette expérience m’a influencée dans le bon sens du terme.
En août 2018, mon mari et moi avons atterri en Inde pour la deuxième fois, mais sans nos enfants qui sont restés en Amérique du Nord, l’un à New York, l’autre à Montréal, pour y faire leurs études.
Quels sont selon vous les points positifs de la vie en Inde ?
Je vais plutôt évoquer ma vie à l’école car j’y passe beaucoup de temps.
J’apprécie particulièrement la bonne ambiance au sein de l’EFIB et les relations positives avec les parents. L’établissement ayant de petits effectifs, cela permet aux enseignants de suivre les enfants de près et de leur transmettre tout leur savoir.
J’entretiens de très bonnes relations avec mes collègues, qu’ils soient professeurs ou membres de l’administration. L’atmosphère est positive et le personnel et les parents travaillent dans le même but: pousser au maximum les enfants pour qu’ils soient heureux et s’épanouissent dans leurs apprentissages.
De plus, nous oeuvrons tous à notre projet de relocalisation dans un bâtiment flambant neuf à Lower Parel. Pour ce projet, mené tambour battant par les trois parents du Comité de Gestion, nous sommes soutenus par le Consulat Général de Bombay. Cette synergie où tous les acteurs contribuent à un projet aussi ambitieux que le nôtre pour le bien des enfants force le respect et l’admiration.
Vous avez vécu et exercé dans plusieurs pays et en France. En quoi votre poste à Bombay diffère-t-il des autres ?
Depuis le début de ma carrière, j’ai dirigé à 4 reprises des petites écoles. Mais l’Ecole Française Internationale de Bombay (EFIB) est le premier établissement dont l’enseignement couvre le premier et le second degrés, de la Toute Petite Section de la Maternelle à la Terminale. C’est donc un poste particulièrement intéressant car j’aime les tout petits, mais j’aime être avec les grands aussi.
Contrairement à mes expériences à Islamabad et à Abidjan pendant lesquelles j’ai été confrontée à des périodes d’insécurité, je ne pense pas que la vie à Bombay aujourd’hui comporte de tels risques. Grâce aux réunions de service hebdomadaires du Consulat, je suis informée en temps réel des soucis potentiels.
Un poste à l’étranger comporte une facette supplémentaire par rapport à un poste en France, en effet, nous enseignons mais nous représentons aussi notre pays dans le pays d’accueil. L’ouverture sur la culture locale est primordiale pour le succès de ma mission, or il se trouve que j’ai un attachement particulier avec l’Inde qui m’a accueillie quand j’étais une jeune maman. Delhi est une ville d’une grande richesse culturelle, mes enfants ont été bercés tout jeunes aux histoires du Ramayana, ont salué les statues d’Hanumam et de Ganesh tous les jours. Encore maintenant, après toutes ces années, ils gardent un excellent souvenir de leur vie ici, moi aussi.
En France, les parents d’élèves sont peu impliqués dans la vie de l’école, ce n’est pas du tout le cas à l’étranger où nous formons une équipe au service des progrès des enfants.
Il faut aussi prendre en compte le fait que les établissements français à l’étranger sont des écoles privées qui sont pour la plupart gérées par les parents. A l’étranger, nous sommes plus que jamais complémentaires.
Depuis septembre 2018, le Mallakhamb, art sportif ancestral, est pratiqué à l’EFIB en activité extra-scolaire, c’est un bel exemple d’immersion dans la culture locale. Le déménagement de l’école est prévu pour l’année prochaine, pouvez vous nous indiquer les axes de développement de l’EFIB ?
Les projets pour le futur de l’EFIB sont en priorité :
- Le déplacement prévu de l’école dans un bâtiment plus moderne qui permettra, par exemple, de bénéficier d’un système de filtration de l’air à la pointe de la technologie, ce qui est important quand on connaît les taux de pollution importants de Bombay. De plus, nous disposerons de nombreuses installations sportives, terrain de basket/volley, piscine et d’une scène de théâtre.
- Le développement de la spécificité de l’EFIB, le bilinguisme, qui est aujourd’hui en place jusqu’au CM2, à parité horaire égale, et devrait se poursuivre, dans les années à venir, dans les niveaux supérieurs. Cela demande un énorme travail de coordination entre les enseignants d’une classe puisque ce ne sont pas seulement certaines matières qui sont enseignées en anglais ou en français. Les enseignants couvrent la totalité des programmes de l’Education Nationale en se répartissant les compétences, les cours seront donc en français pour certains thèmes et en anglais pour d’autres. L’EFIB est la seule école de Bombay à proposer un tel schéma.
- Le développement de l’anglais dans le secondaire et l’ajout de l'apprentissage du Hindi, voire du Marathi comme activité extra scolaire.
- L’homologation de l’EFIB jusqu'à la 3ème (aujourd’hui nous sommes homologués jusqu'à la 6ème)
- La poursuite des campagnes pour attirer plus d’élèves dans le Primaire, notamment des élèves indiens. L’accord signé par le Premier Ministre Narendra Modi et le Président Emmanuel Macron sur la reconnaissance mutuelle des diplômes entre l’Inde et la France est un atout que nous souhaitons mettre en avant pour inciter les familles indiennes à scolariser leurs enfants à l’EFIB.
Vous avez aussi une famille, comment avez vous concilié carrière professionnelle et vie de famille ?
J’ai eu la chance que mes enfants soient scolarisés dans les établissements dans lesquels j’ai travaillé pendant toute ma carrière. Aux Etats-Unis, j’avais le choix entre deux lycées, j’ai clairement opté pour celui qui allait les scolariser.
D’autre part, j’ai géré ma carrière en fonction des besoins de mes enfants et je n’ai accepté des postes de direction que lorsque j’étais sûre que cela n’aurait pas d’impact négatif sur ma vie de famille. Ce sont, en effet, des postes fort consommateurs de temps et d’énergie, surtout si on les cumule avec un poste d’enseignant.
En résumé, mes choix de carrière ont été faits de manière à concilier le mieux possible ma vie professionnelle et ma vie privée.