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L’INTERVIEW A DEGUSTER – Jérémy Biasiol et sa bonne étoile

Écrit par Lepetitjournal Hong Kong
Publié le 22 juin 2012, mis à jour le 20 novembre 2012

Fervent collectionneur de Guides Michelin, ce garçon plein d'étoiles dans les yeux rencontrait, jeune adolescent, Paul Bocuse et Pierre Orsi. Sa bonne étoile l'a d'ailleurs toujours suivi, à tel point que son restaurant, The Mirror, à Hong Kong, l'a obtenue dès sa première année. Attaché à la qualité des produits, à la simplicité des plats et au respect des ressources locales - Hong Kong et la Chine en regorgent - il offre une cuisine qui privilégie le bon sur le beau

Jérémy Biasiol dans son restaurant, The Mirror, à Wanchai

Ce Lyonnais n'avait pas le gène de la cuisine dans sa famille. La curiosité est venue de lui-même. Bébé très difficile, pour se calmer, il lui fallait manger. D'ailleurs son premier mot, avant papa ou maman, ce fut Gâteau, le destin a donc commencé tôt. Pas particulièrement passionné par l'école, il étudie jusqu'en troisième. Pour son stage de 3 jours au collège, sa mère ressort un vieux Guide Michelin car il veut découvrir cet univers, mais tout de suite avec l'idée d'aller dans ce qui se fait de meilleur. Ils appellent chez La Mère Brazier dans le vieux Lyon : "Jacotte Brasier me dit de passer dans les dix minutes qui suivent ! Je fais donc ma première vraie rencontre avec la gastronomie dans ce 1 étoile au guide Michelin. J'ai adoré l'atmosphère, j'étais un garçon très réservé, un peu enveloppé et pas super bien dans sa peau et ici, personne pour me juger, bien au contraire de la bienveillance que j'ai  tout de suite ressentie. "

Un apprentissage difficile dans les meilleures maisons

Il veut donc faire l'Ecole Hotelière. Il passe un entretien chez Jeanne de France, un petit établissement privé avec un proviseur très sévère qui lui crie dessus pendant l'entretien. Finalement, il est pris mais l'équipement coûte très cher et ses parents exigent de lui d'aller au bout car c'est un investissement important pour eux. La première année est très difficile car il est maladroit à ses débuts et se décourage un peu mais c'est aussi l'année où le G7 passe à Lyon et où tous ces étudiants vont être amenés à faire une photo avec tous les grands chefs de Lyon de l'époque présents pour l'occasion. " Je me retrouve sur la photo, 20 mètres derrière Paul Bocuse, j'y serre la main de Pierre Orsy également et ce monde de la haute gastronomie m'attire de plus en plus. Je me renseigne, lis le livre « Trois étoiles au guide Michelin ». Je commence également à cette époque à faire les brocantes pour débuter une collection de Guides Michelin. Il ne m'en manque plus que 8 aujourd'hui, les plus rares et les plus chers !". Il fait un premier stage chez Pierre Orsi pendant les vacances de Noël, 10 jours sans gagner un centime, à travailler de 7h à 1h du matin mais malgré la sévérité du Chef, c'est une confirmation, il adore ce milieu. Et, récompense ultime à la fin du stage, Pierre Orsi lui dédicace un grand livre de cuisine.  

L'été suivant, il écrit des courriers aux 24 restaurants trois étoiles de l'époque et même lorsqu'il essuie des refus, il est heureux d'avoir des lettres signées de ces prestigieux établissements ! Trois Chefs lui répondent : Paul Bocuse, George Blanc et Alain Ducasse. "Alors que j'ai déjà accepté de faire un stage pour George Blanc, Alain Ducasse me contacte pour travailler au Louis XV à Monaco, je me vois donc obliger de refuser mais Monsieur Ducasse me laisse son numéro de portable au cas où je serais toujours intéressé. Un moment clé pour mon avenir ". Après son stage chez George Blanc, en troisième année d'Ecole Hôtelière, il se lasse des enseignements, forcément moins excitants que de travailler dans des grandes maisons. Il annonce à ses parents qu'il va arrêter. " Ma mère me dit d'accord à une seule condition, tu travailleras pour les plus grands. " Il appelle alors Alain Ducasse et celui-ci est justement en train de reprendre le restaurant de Joël Robuchon à Paris. Dans 15 jours, il lui propose de travailler pour Le Relais du Parc. Lorsqu'il annonce cela à sa directrice, elle lui annonce d'un ton prémonitoire que Alain Ducasse échouera rapidement et qu'il a tort de faire ce choix ? on connaît la suite.

Un destin lié à Alain Ducasse
Il se retrouve donc pour la première fois à Paris, loin de la famille, dans un foyer pour jeunes, avec des cafards partout ? mais il travaille pour Alain Ducasse, chef très exigeant qui au bout de quelques semaine, devant le stress et la maladresse de Jérémy lui donne 15 jours pour se ressaisir. Finalement, il s'accroche et au bout de 6 mois, il devient un des plus anciens dans les cuisines et commence à bien s'entendre avec Jean-François Piège, le chef du restaurant gastronomique, autre collectionneur de Guides Michelin. A 17 ans seulement, Il le prend un peu sous son aile, lui donne des conseils, lui montre des photos du Grand Livre de cuisine. Quelques mois après, Alain Ducasse le convoque dans son bureau pour lui demander ses objectifs de carrière : "Je lui dis que je veux sa place ? cela fait sourire Alain Ducasse qui aime les jeunes ambitieux et il me propose de l'envoyer au Louis XV à Monte Carlo ".
Deux années d'expérience extraordinaire dans la ferrari des hôtels, à travailler pour Frank Cerruti, un Chef très calme et très serein. Il crée des jalousies car il est jeune et qu'il est envoyé par le grand Chef. Il commence le même jour que Frédéric Chabert, aujourd'hui le chef de chez Pétrus et il va toucher à tout et apprendre beaucoup en tant que commis de base.
Nous sommes en 1998, On lui propose après deux ans de travailler pour le Spoon à Londres avec Laurent André, son ancien chef au relais du Parc où, de commis, il deviendra chef de partie après 24 heures ! Mauvais souvenir toutefois car les conditions y sont difficiles : de Monaco à Londres, le climat change, la langue anglaise qu'il maitrisait mal, plusieurs jours où il dort dans le storage du restaurant, des horaires particulièrement difficiles ?mais il se trouve une bande compères avec qui partager ses malheurs. Après 10 mois, il annonce à Ducasse qu'il souhaite partir, qui lui propose alors de faire l'ouverture d'un nouveau restaurant, Homard et B?uf, à Paris. Après un an, Jean-François Piège lui propose de travailler au Plaza Athénée en tant que chef de partie. Il y fera quatre ans jusqu'en 2003.


Avec son équipe qu'il a recrutée dans l'Ecole où il donnait des cours à Hong Kong

Le rêve new yorkais et l'attraction de Hong Kong
Il part alors à New York, à l'Essex House, en tant que sous-Chef où il travaillera pour Christian Delouvrier alors qu'il avait failli travailler dès 2001 pour un restaurant dans le World Trade Center ?
Il travaille deux ans où le restaurant obtient sa troisième étoile puis part pour une nouvelle aventure : un client régulier, Andrew Borrok, l'embauche en tant que chef privé dans sa magnifique résidence de Long Island dans les Hamptons. Il y fait construire une cuisine de 2 millions de dollars et travaille pour lui pendant deux ans dans un luxe incroyable. Cependant, chef privé, c'est un travail très solitaire, avec du confort, certes mais une certaine lassitude.

Il le fait voyager à Tokyo, Kyoto, Beijing, Shanghai puis Hong Kong pour lui faire découvrir les cuisines asiatiques. Il tombe alors amoureux de Hong Kong et sait que s'il doit partir, il ira là un jour. Son employeur, de plus en plus obsédé par son poids, mange de moins en moins et le boulot devient donc de moins en moins intéressant. "Via un ami, je postule alors pour un job de professeur dans une Ecole de Cuisine à Hong Kong et obtient la place tout de suite. J'y rencontre mes deux futurs associés hongkongais, Clifford Chan et David Tsung  qui viennent y prendre des cours pour le plaisir. L'un est propriétaire immobilier à Hong Kong, l'autre est designer, et après deux ans, ils se lancent à trois dans l'aventure lorsqu'un immeuble se vide sur Wanchai Road. " Pour ouvrir le Mirror, il décide d'embaucher des anciens élèves de son école : " C'était un sacré coup de poker car ceux-ci n'ont qu'une expérience très limitée de la cuisine et qu'à Hong Kong, il faut réussir dans les six premiers mois pour survivre ".

L'aventure étoilée du Mirror
Le restaurant ouvre le 17 septembre 2010 : "Il a fallu faire des plats très simples au début car mon équipe n'était pas encore assez expérimentée. Mais le succès a tout de suite été au rendez-vous. Le 19 septembre, nous étions pleins pour trois mois ! ". Deux semaines après l'ouverture, CNNGO les désigne comme meilleur "nouveau restaurant", ce qui entraîne un cercle médiatique vertueux. Puis, un an plus tard, c'est la consécration avec la première étoile obtenue dès la première année en décembre 2011.

" Pour moi, collectionneur de Guides Michelin, faire partie de cette grande famille, c'est un rêve devenu réalité. J'ai fondu en larmes lorsque le guide m'a appelé quelques minutes avant la conférence de presse. J'y pensais depuis tout petit. Récompense inespérée mais que je souhaitais ardemment. J'avais d'ailleurs conditionné toute mon équipe en leur expliquant ce que cela signifiait. Mais eux étaient presque déçus de ne pas en avoir deux car ils n'avaient pas notion de l'ampleur d'avoir directement une étoile. Cela dit, maintenant qu'ils ont bien compris, ils sont d'autant plus motivés pour la suite". Cependant, il sait qu'il faut garder une distance par rapport à cela. L'histoire du suicide de Bernard Loiseau l'a traumatisé et il ne veut pas non plus faire une obsession de cette course aux étoiles. Cela ne doit pas être une fin en soi car, sinon, après avoir obtenu trois étoiles, la pression ne serait plus que négative. Il se rappelle d'ailleurs du jour où l'Essex House a obtenu ses trois étoiles à New York. "Au bout de quelques minutes, après nous avoir félicités, Alain Ducasse nous a dit, maintenant on oublie tout ça et on repart au travail. "

La cuisine de Jéremy Biasiol est une cuisine contemporaine française basée sur des produits locaux. "Je vais au marché tous les jours et je tiens à utiliser les produits locaux pour montrer que nous pouvons utiliser ce qui existe ici, il n'y a qu'à voir la pléthore d'excellents restaurants chinois et la qualité des produits dans les wet market. Je vais à celui de Causeway Bay et Wanchai".  Sa philosophie, faire simple et identifiable. "Il faut faire bon avant de faire beau ! Le ouah doit plutôt venir après avoir dégusté qu'après avoir vu l'assiette ".
Pour citer des plats signature : une gelée de crevette avec une sauce crémée aux têtes de crevettes. Des cuisses de grenouille avec un ?uf cuit sous vide, une crème à l'ail et une sauce au cresson. Un pigeon rôti rosé avec des légumes et une sauce au pigeon.

Jérémy semble toujours avoir cru en sa bonne étoile : Jolie boucle accomplie par cet homme qui rêvait jeune en lisant les lignes du Guide Michelin ou qui en riait en regardant l'Aile ou la Cuisse et qui reçoit justement cette étoile le jour de l'anniversaire de sa mère qui l'a toujours soutenu avec son père. Mais boucle inachevée encore : La suite, Jérémy l'imagine peut-être comme entrepreneur, ses modèles, Joël Robuchon et Alain Ducasse, mais il sait qu'il ne faut pas griller les étapes et confirmer dans un premier temps le succès du Mirror.

Propos recueillis par Eric Ollivier (www.lepetitjournal.com/hongkong.html), vendredi 22 juin 2012

THE MIRROR
6th Floor, Tiffan Tower,
199 Wanchai Road, Wanchai, Hong Kong.
T: 852-25737288
http://themirror.hk/

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Publié le 22 juin 2012, mis à jour le 20 novembre 2012

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