

Le métier d'illustrateur reste encore mystérieux aux yeux du public. Un homme à l'allure dégingandée, un crayon derrière l'oreille ? Rares sont ceux qui sont capables de bien définir la profession. Pourtant, l'illustrateur se faufile partout : entre les pages des quotidiens, sur les couvertures des livres pour enfants et dans les vignettes des bandes dessinées? A l'occasion de sa tournée en Asie, Lepetitjournal.com a rencontré Olivier Tallec, un illustrateur aux multiples talents qui a accepté de lever le voile sur son activité
Une illustration de Grand Loup et Petit Loup, Olivier Tallec a imaginé un décor de ville autour du jardin
Si beaucoup d'illustrateurs choisissent de se spécialiser, la grande force d'Olivier Tallec est son éclectisme. Il jongle aussi bien avec l'imaginaire enfantin qu'avec les concepts tordus des journalistes. Il nous observe de son regard sage, à l'affut des expressions, des couleurs, des formes? L'univers qui l'entoure est une source d'inspiration infinie.
La littérature jeunesse
Contrairement à certains illustrateurs, Olivier Tallec n'écrit pas ses textes. Il ne travaille pas non plus avec les auteurs mais avec les éditeurs qui lui proposent différents projets. Etonnant ? Non. Ce qu'il aime dans son métier, c'est de se plonger dans l'univers d'autrui. En lisant un texte, chacun se forge une vision et il ne veut pas être enfermé dans celle de l'auteur. Il souhaite offrir à son imagination la liberté de s'aventurer dans un monde transcendant, au delà des mots. L'illustration contient des éléments qui ne sont pas dans l'histoire et vice versa. Ce sont deux routes qui vont au même endroit mais qui restent parallèles. Elles ne se croiseront jamais. C'est en cela qu'Olivier Tallec effectue également un travail d'auteur ; il écrit avec des images?

Olivier Tallec, illustrateur jeunesse, bande dessinée et de presse
Lorsqu'il évoque un ouvrage sur lequel il a travaillé avec Nadine-Brun Cosme, Grand loup et Petit loup, il explique qu'il s'agit d'une histoire excessivement simple : celle de l'amitié entre deux loups. Il privilégie les textes épurés ; les descriptions très précises entravent sa créativité. Le seul décor que l'auteur plante est un arbre, sous lequel les deux loups s'ébattent. L'illustrateur s'est amusé à créer tout un décor de ville autour de cet arbre, étoffant considérablement l'univers initial. Cette ville est une véritable histoire dans l'histoire.
La difficulté réside ensuite dans les divergences de vision entre l'auteur et de l'illustrateur. Olivier Tallec doit s'imposer des limites pour ne pas violer l'imaginaire de l'écrivain, qui découvre parfois même les illustrations seulement après la publication de l'ouvrage. L'éditeur jour un rôle crucial d'intermédiaire qui tente de concilier des interprétations qui doivent s'enrichir sans devenir conflictuelles.
Olivier Tallec a également réillustré des textes anciens. Un projet qui lui a particulièrement tenu à c?ur est celui de Michka, écrit par Marie Colmont. Etant petit, il avait été bercé par ce conte, écrit dans les années 40 et jamais réillustré depuis. Son esprit d'enfant s'était imprégné de la poésie des images de l'époque, l'histoire d'un petit ours en peluche qui fuit dans la forêt le soir de Noel. Quand un éditeur lui a demandé de travailler sur une nouvelle version de l'ouvrage, il a dû déployer des trésors d'imagination pour se détacher des dessins d'antan et réinventer l'univers qui était profondément ancré dans sa mémoire.

L'album jeunesse Michka, que Olivier Tallec a réillustré
L'extraordinaire aventure de « Rita et Machin »
Toutes ces réalisations se font sur commande. Une autre manière de travailler est de concevoir des projets en amont avec les auteurs et de les amener à un éditeur. C'est ainsi qu'est né Rita et machin écrit par Jean-Philippe Arroud-Vignod : les aventures d'une petite fille et de son chien. Olivier Tallec désirait pour une fois travailler sur une série et pas sur un album unique. Il a lui-même commencé à imaginer les personnages, à la fois leur aspect physique et l'univers dans lequel ils interagissent. Il a ensuite contacté un de ses amis écrivain et il lui a présenté ses croquis. Séduit, celui-ci a immédiatement accepté d'écrire une histoire. La création de Rita et machin a été un véritable match de ping-pong. Jean-Philippe écrivait des bouts d'intrigues et pendant ce temps des nouvelles scènes naissaient au bout du crayon d'Olivier Tallec. Cette série commencée il y a quatre ans est aujourd'hui constituée de quinze albums !
L'année dernière, le studio japonais Nippon animation a racheté les droits pour en faire une série de 26 épisodes pour la chaine NHK. Animer les personnages a constitué un véritable défi pour Olivier Tallec. L'illustrateur avait conçu des êtres figés. Pour les faire bouger, il faut imaginer des démarches, par exemple la manière dont le chien trottine. Il existe également des contraintes particulières liées au dessin animé. La chaine lui a demandé d'ajouter des couleurs pour que l'émission ressorte mieux sur l'écran. Il a choisi de faire une mise en couleur très légère pour ne pas dénaturer l'esprit de Rita et machin. Sans couleurs, le lecteur se concentre uniquement sur le trait pur et donc sur la richesse des expressions. Moins il y a d'éléments sur une image plus les détails sont décisifs. Par exemple, quand les yeux des personnages sont représentés par deux points, les déplacer de quelques millimètres modifie complètement l'expression.

Rita et Machin, une illustration épurée et expressive
A la télévision, il y a également des contraintes légales particulièrement strictes. Pour ne pas inciter les enfants à se mettre dans des situations dangereuses, il ne faut pas dessiner un personnage debout sur une chaise à côté de la fenêtre, ni sautant au dessus d'un cours d'eau.
La bande dessinée
L'essentiel du travail d'Olivier Tallec est constitué par l'illustration jeunesse, le secteur ayant explosé depuis une quinzaine d'années. 600 nouveautés sont publiées chaque année. Cependant, la nouvelle bande dessinée s'est considérablement développée. Contrairement aux grands classiques comme Tintin ou Astérix, ce mouvement traite de sujets très intimistes, mêlant fiction et réalisme et se destinant essentiellement aux adultes.
La grande différence avec l'illustration jeunesse est que la priorité est donnée à l'écriture ; le dessin vient seulement a posteriori. Quand Olivier Tallec dessine une vignette, elle n'a d'intérêt qu'en étant comprise comme faisant partie d'un tout, en fonction de la case précédente et suivante. Le dessin n'est pas autosuffisant et n'existe pas sans la narration. Pour créer une bande dessinée, il est contraint de travailler main dans la main avec les scénaristes. Son illustration prend entre six mois et un an, contrairement aux albums jeunesses, beaucoup plus rapides à réaliser.

L'illustration d'un article de René Girard, face aux concepts complexes, Olivier Tallec doit utiliser la symbolique
Le dessin de presse
Olivier Tallec a réalisé des illustrations pour de nombreux journaux français comme le Cahier livre du Monde ou Libération. Souvent, le public assimile le dessin de presse au dessin politique ou à la caricature. En réalité, il s'agit d'une infime partie de ses travaux ; Olivier Tallec se consacre essentiellement aux dessins de société. L'illustration de presse fait appel à la dimension immédiate du dessin. En regardant la vignette, il faut tout de suite comprendre toute la complexité d'un article, sans avoir à déchiffrer le texte.
Olivier Tallec travaille souvent pour des quotidiens qui lui demandent d'être extrêmement réactif. Les journaux l'appellent le matin et il doit rendre le dessin le soir même. Parfois, il n'a même pas le texte du journaliste. Le directeur artistique lui donne le numéro de téléphone de celui-ci et il doit enquêter sur le contenu de l'article. Olivier Tallec nous raconte un souvenir marquant? Celui de l'illustration d'un texte particulièrement complexe du philosophe René Girard. Il décrit son angoisse, quand, ayant raccroché son combiné, il a réalisé qu'il ne maîtrisait pas du tout les concepts évoqués. Il fit alors appel à ses amis professeurs de philosophie qui l'ont rapidement éclairé sur les théories de René Girard. Il lui a ensuite envoyé une première esquisse qu'ils ont retravaillé ensemble jusqu'à obtenir le résultat final : deux hommes échangeant autour d'une table ronde sur laquelle est posée une vanité. Pour de tels textes, il faut souvent faire appel à la symbolique, plus expressive qu'un dessin réaliste.
Dans la salle effervescente, des auditeurs ont demandé à Olivier Tallec de mettre des mots sur ses images. Mais qu'a t'il bien voulu représenter ? Il esquissé un sourire et est resté silencieux. « C'est à vous de me le dire !» a-t-il fini par nous répondre. Ses dessins sont un mode d'expression à part entière, qui se passe de longs discours. Il dessine, et tout est dit !
Propos recueillis par Clara Leonard (www.lepetitjournal.com/hongkong.html) lundi 12 mars 2012















