Trivisa, Mad World, Weeds on Fire : une nouvelle vague dans le cinéma hongkongais a été consacrée lors des Hong Kong Film Awards de 2017. Entre contraintes financières, accès au marché chinois et vigilance du parti communiste chinois, ces nouveaux réalisateurs ont moins de marge de man?uvre que leurs ainés des années 70?
Dimanche 9 avril, l'académie des Hong Kong Film Awards a largement récompensé Trivisa (5 prix). Ce film policer, production Johnnie To, s'inspire de la vie de trois des criminels les plus célèbres ayant sévi dans la ville durant les années 90 (l'un, Yip Kai Foon, étant décédé très récemment, le 19 avril). C'est surtout le premier film des réalisateurs (à l'exception de Jevons Au). Ce succès et celui de deux autres premiers films présents dans la compétition, Mad World (deux récompenses) et Weeds on Fire (une récompense), ont amené certains commentateurs à faire un parallèle entre ce nouvel influx de jeunes talents dans l'industrie et la nouvelle vague de la fin des années 70, responsable en son temps de l'éclosion de talents comme Tsui Hark et Ann Hui.
La comparaison est-elle légitime ? Quelles problématiques rencontrent ces jeunes metteurs en scène ?
Nouvelle vague dans le cinéma hongkongais
Les jeunes réalisateurs hongkongais ont été à l'honneur ces deux dernières années au Hong Kong Film Awards. En 2016 également, la récompense suprême était attribuée à Ten Years, lui aussi premier film. Ces succès confirment l'émergence d'une nouvelle génération de réalisateurs hongkongais. Et elle n'est pas limitée aux festivals. Dans la facette la plus ouvertement commerciale de l'industrie, la relève a lieu avec Juno Mak (Rigor Mortis), Chiu Sin Hang et Yan Pak Wing (Vampire Cleanup Department), Nick Leung (Get Outta Here). Alors que leurs glorieux aînés peinent à retrouver la magic touch qui était la leur, ces jeunes réalisateurs, sans grande expérience, réussissent à faire le buzz et attirer le public local dans les salles obscures.
Ce renouvellement générationnel est similaire à ce que l'industrie connut à la fin des années 70 / début 80 avec l'arrivée de la nouvelle vague. Mais contrairement à leurs prédécesseurs, la très grande majorité de ces nouveaux réalisateurs n'a pas fait d'études à l'étranger. Ils ont vécu toute leur vie à Hong Kong et ont étudié le cinéma dans des institutions locales comme l'Academy of Performing Arts ou City University. Ils n'ont pas fait leurs premières armes professionnelles à la télévision mais en intégrant directement l'industrie au plus bas de l'échelle, en tant que script ou scénaristes junior. Et, bien sûr, ils évoluent dans une industrie bien différente de celle d'il y a 40 ans. Une industrie où les opportunités de faire des films sont bien moins nombreuses.
Dans ce contexte, leurs films sont emblématiques des questionnements qui agitent la société hongkongaise. De manière ouverte, Ten Years, ou détournée, Get Outta Here s'interrogent sur l'identité hongkongaise et comment les habitants de la ville peuvent vivre ensemble de manière harmonieuse. Elevés au cinéma populaire local et aux blockbusters Hollywoodiens, ils cherchent à renouveler les genres qui ont fondé l'âge d'or de l'industrie des années 1980/1990. Leurs tentatives, même partielles, produisent des essais fascinants qui nourrissent l'espoir d'un renouveau artistique et commercial de l'industrie cinématographique hongkongaise dans son ensemble.
Poids financier de la Chine et censure
Beaucoup dans l'industrie se réjouissent de l'apparition de cette nouvelle génération. Ce n'est pas le cas des autorités en place à Pékin ! En 2016, le titre de meilleur film attribué à Ten Years avait été vivement critiqué dans certaines publications liées au Parti Communiste. La retransmission de la cérémonie en Chine continentale avait d'ailleurs été tout simplement annulée en dépit d'un contrat passé avec une chaîne chinoise. Cette année encore, alors que les nominations sont plus consensuelles, la censure étatique s'est émue de la présence de Trivisa. Si bien que chaque mention du film lors de la cérémonie a été expurgée de la diffusion télévisuelle chinoise et des publications postérieures. Cette réaction est-elle due au fait que Jevons Au était un des réalisateurs de Ten Years ? Ou bien parce que la description de la Chine continentale était loin d'être flatteuse (officiels corrompus?) ? Mystère.
Or, si la censure chinoise s'est assouplie depuis la rétrocession en 1997, celle-ci est restée intraitable sur certaines questions politiques et identitaires. La Chine contemporaine est une nation unie, avec un gouvernement efficace et un taux de criminalité quasi-inexistant. Les longs-métrages qui s'éloignent de cette ligne directrice officielle ne peuvent espérer être distribués dans le pays. Avec Xi Jinping déterminé à renforcer l'emprise idéologique du Parti Communiste sur le pays, un assouplissement de ces règles dans les prochaines années est plutôt incertain. Or, aujourd'hui, les capacités financières pour produire des films ambitieux, potentiellement à même de tenir tête au rouleau compresseur Hollywoodien, se trouvent à Pékin.
La nouvelle génération hongkongaise se voit donc confrontée à deux choix :
- soit continuer à traiter des sujets propres à Hong Kong, dans une posture souvent critique envers la Chine continentale, avec des budgets réduits et un public limité.
- soit abandonner toute velléité critique (au moins apparente) envers le pouvoir en place et bénéficier d'opportunités de travail multiples et accéder à des budgets conséquents.
A ce stade, il est impossible de savoir quelle option sera privilégiée, mais beaucoup de réalisateurs tenteront une position intermédiaire: réduire leurs prises de positions politiques et identitaires pour avoir la possibilité de tourner en Chine de temps à autres, et rester basés à Hong Kong pour continuer à signer des films aux problématiques plus locales. Une posture adoptée par certains de leurs aînés comme Soi Cheang, Gordon Chan ou Herman Yau.
Indépendamment du choix, le bridage artistique dû à l'influence de la Chine aura nécessairement une incidence sur une partie de cette nouvelle génération de cinéastes et risque d'empêcher celle-ci d'avoir un impact aussi important que leurs alter ego.
Lire également nos précédents articles sur les films récompensés :
MAD WORLD - Interview du réalisateur Wong Chun
HAPPINESS ? HK bonheur, mode d'emploi
SEE YOU TOMORROW ? Une comédie romantique à la sauce Wong Kar-wai
WEEDS ON FIRE - Hong Kong 1984 ? 2016, même combat ?
OPERATION MEKONG ? Une fantaisie militaire made in China
COLD WAR 2 ? Un polar hongkongais avec Aaron Kwok et Chow Yun Fat
Palmarès de la 36e édition des Hong Kong Film Awards : |
Meilleur film : Trivisa |
Meilleur réalisateur : Frank Hui, Jevons Au et Vicky Wong (Trivisa) |
Meilleur scénario : Loong Man Hong, Thomas Ng et Mak Tin Chu (Trivisa) |
Meilleur acteur : Gordon Lam (Trivisa) |
Meilleur actrice : Kara Hui (Happiness) |
Meilleur second rôle : Eric Tsang (Mad World) |
Meilleur photographie : Peter Pau et Cao Yu (See You Tomorrow) |
Meilleur montage : Allen Leung et David Richardson (Trivisa) |
Meilleure direction artistique : Alfred Yau (See You Tomorrow) |
Meilleur costumes et maquillages : Kenneth Yee et Dora Ng (The Monkey King 2) |
Meilleure chorégraphies d'action : Stephen Tung (Operation Mekong) |
Meilleure musique : Peter Kam et Yusuke Hatano (Soul Mate) |
Meilleur chanson originale : Anthem of Shatin Martins (Weeds on Fire) |
Meilleur montage sonore : Kinson Tsang et George Lee (Cold War 2) |
Meilleur effets visuels : Luke Jung, Kim Sung-hoon, Kim Chan-soo et Kim Chul-min (Monkey King 2) |
Meilleur nouveau réalisateur : Wong Chun (Mad World) |
Meilleur film de Chine Continentale et Taiwan : Godspeed |
Et le dossier sur la nouvelle vague "originelle" et les projections en ce moment de la Hong Kong Film Archive (sur leur site)
Arnaud Lanuque (www.lepetitjournal.com/hong-kong) mercredi 19 avril 2017
Credit Photo : Hong Kong Film Awards