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ABDELLATIF KECHICHE – La Vie d’Adèle : "J’ai filmé deux êtres qui s’aiment."

Écrit par Lepetitjournal Hong Kong
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 13 décembre 2013

 

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Abdellatif Kéchiche était à Hong Kong la semaine dernière pour présenter dans le cadre du French Cinepanorama son dernier film La Vie d’Adèle –Chapitres 1 et 2 – qu’on ne présente pourtant plus, tant cette libre adaptation du roman graphique de Julie Maroh, Le Bleu est une couleur chaude, a fait couler d’encre depuis sa Palme d’Or au dernier festival de Cannes et la polémique qui s’en est suivi.

La polémique

La polémique a eu un tel retentissement après Cannes qu’elle suit encore le metteur en scène et son film dans les festivals où il est montré. C’est même d’ailleurs sur elle que porte la première question d’une journaliste dans cette salle de l’hôtel Excelsior de Causeway Bay, où la presse hongkongaise est réunie. Sur les conditions de tournage, la fameuse "méthode Kéchiche" mise en cause par Léa Seydoux, les prétendus abus de pouvoir du réalisateur et les scènes de sexe "interminables" imposées aux deux actrices principales. Sans dissimuler sa gêne ni chercher à se soustraire à l’interrogation, Abdellatif Kéchiche s’explique rapidement sur cette controverse développée selon lui par le journaliste du Monde Aureliano Tonet et l’actrice, Léa Seydoux, qui "manipulée par plusieurs personnes de son entourage a rapporté des faits qui ne se sont jamais passés et exprimé après coup des impressions qu’elle n’avait jamais dites avant" dans le seul but selon lui de nuire à sa personne et au film, renvoyant plusieurs fois à la tribune qu’il a écrite pour le site d’information Rue89.

"Banaliser l'homosexualité"

Quant aux déclarations tardives de Julie Maroh, qui avait pourtant aimé et cautionné le film avant Cannes, sur l’invraisemblance des scènes d’amour entre deux femmes, le réalisateur n’hésite pas à les qualifier de "grotesques", d’ "insensées" et à parler de "publicité un peu gratuite pour sa BD qui n’en avait d’ailleurs pas besoin". Et d’ajouter "J’ai filmé deux êtres qui s’aiment. On peut trouver ces scènes moches ou vulgaires, ne pas être touché mais on ne peut pas dire que c’est irréaliste. Je trouve même ça très dangereux, cette classification. Mon film veut au contraire banaliser l’homosexualité."

Et c’est bien là l’une des plus belles réussites du film, sans doute bien plus utile à la cause homosexuelle que tous les films militants. "Dans mes films, j’essaye de ne jamais mettre en avant de message politique, de ne jamais aborder frontalement un discours que j’aurais, que j’aborde la banlieue, la communauté immigrée ou l’homosexualité. Pour moi, c’est la meilleure façon de nuire à un message que d’en faire un discours. Je préfère m’attacher aux rires, aux larmes, aux émotions de mes personnages : c’est la meilleure façon de faire passer un message politique ou social. (…) Si j’avais appuyé ici sur le militantisme, le film serait devenu communautaire et uniquement visible par la communauté. Or, j’ai même essayé de faire oublier ce thème pour que les spectateurs puissent s’identifier aux personnages."

Une histoire d'amour universelle

Et ça marche, car finalement peu importe que les amants soient ici deux amantes, La Vie d’Adèle est un film sur la passion amoureuse, la découverte de la sexualité et de la jouissance, sur la difficulté d’aimer ou de continuer à s’aimer quand le couple se socialise, s’ancre dans un tissu relationnel et que les origines sociales divergent. Les différences sociales, voilà un thème cher à Kéchiche qu’il avait déjà traité dans son deuxième film L’Esquive "de manière plus frontale". On devine d’ailleurs assez vite ce qui séparera inéluctablement les deux amoureuses : l’ambition d’Emma, son art qui vampirise Adèle autant qu’il la sublime, l’aisance de l’artiste en société, sa culture, tous ces codes qu’Adèle ignore et qu’Emma partage avec ses amis qui débattent en soirée des mérites comparés de Schiele et Klimt et de l’hermaphrodisme de Tirésias.

Un roman d'apprentissage

Bien qu’Emma en bon Pygmalion fasse l’éducation d’Adèle, lui apprenne à aimer, à faire l’amour, à manger des huitres, la jeune fille reste largement rétive à son enseignement – elle n’obtient d’ailleurs que 14/20 à l’examen sexuel - car Adèle est bien trop sensuelle, trop pragmatique et instinctive pour se laisser dresser. A la connaissance qui nie et exclut l’autre, elle préfère celle qui se partage et la révèle à elle-même, celle de l’école qui chez Kéchiche est un lieu de générosité, d’inclusion et de salut. Le film multiplie d’ailleurs les scènes de classe et s’ouvre sur un cours de français et  une lecture de la "Vie de Marianne" de Marivaux.

"Je suis femme", tout le film tient dans ces premiers mots lus par une camarade de classe d’Adèle : ils prédisent la métamorphose à venir et sont la clé de La Vie d’Adèle qui est avant tout un roman d’apprentissage classique. Organisé en chapitres, celui de la formation et de la mise à l’épreuve, il en épouse d’ailleurs la construction.

Depuis son premier film La Faute à Voltaire, la littérature tient une place prépondérante dans l’œuvre de Kéchiche et tout particulièrement ici dans la vie de son personnage adolescent : "elle participe de la création de son être". Chaque leçon de français, chaque texte lu en classe illustre l’état d’esprit de l’héroïne, préfigure ce qui va suivre comme si tout était déjà là, écrit. C’est d’ailleurs sans doute pourquoi Adèle, devenue adulte, choisit de devenir institutrice, pour retrouver ce cocon de savoir tangible, transmissible car comme toujours chez Kéchiche, en dehors de ce lieu matriciel, tout demeure incertain, chaotique et l’art et la vie chahutent et démunissent tous ceux qui s’y risquent là où l’école donne et console.

Florence Morin (www.lepetitjournal.com/hong-kong/) mercredi 4 décembre 2013

Crédits photos Emmanuelle Delattre - http://www.pixel-eyes.net/

Infos pratiques:

"Blue is the warmest colour" (La Vie d'Adèle) sortira sur les écrans hongkongais le 2 janvier 2014

 

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Publié le 3 décembre 2013, mis à jour le 13 décembre 2013

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