Édition internationale

Le long chemin qui mène au 30 avril 1975 - chapitre 8

21 avril 1975. En s’emparant de Xuan Loc, les soldats nord-vietnamiens ont fait sauter le dernier verrou qui protégeait Saïgon. Le chemin de la victoire leur est désormais grand ouvert. Il l’est d’autant plus que la capitale de la République du Vietnam est en proie à la plus grande confusion, en cette fin du mois d’avril, et que cette confusion est en train de tourner au chaos et à la débandade.

Le long chemin qui mène au 30 avril 1975 - chapitre 8Le long chemin qui mène au 30 avril 1975 - chapitre 8

Le Petit Journal vous propose lors de cette série intitulée "Le long chemin qui mène au 30 avril 1975" de revivre la chute de Saïgon, le 30 avril 1975, date qui marque la fin de la guerre du Vietnam. Le premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième septième chapitres reviennent sur ces années charnières dans l’Histoire des guerres d’Indochine.

Sur le plan politique, tout d’abord. En démissionnant, le Président Nguyen Van Thieu a certes satisfait à l’une des exigences des hommes de Hanoï, mais rien ne garantit que ces derniers aient envie de négocier quoi que ce soit. Et d’ailleurs, en ont-ils seulement besoin, maintenant que l’armée de libération est arrivée aux portes de Saïgon ?

Aux Etats-Unis, certains veulent croire qu’une entente est encore possible. En France aussi, où les diplomates s’activent pour pousser à la présidence du Sud-Vietnam Duong Van Minh, le « Grand Minh », en espérant que celui-ci soit considéré comme un interlocuteur valable par Hanoï.

Duong Van Minh est un général qui présente le double avantage, aux yeux des Américains et des Français, de ne pas être un membre de l’entourage de Thieu et d’avoir même été tenu à l’écart au cours de ces dix dernières années. Mais est-ce que cela suffira ?

Dire que la situation militaire du Sud-Vietnam est désespérée est un doux euphémisme. Dans son quartier général de Loc Ninh, le commandant en chef nordiste, le Général Van Tien Dung est bel et bien décidé à sonner l’hallali, et il en a désormais les moyens. 

Le 22 avril, il reçoit un câble de Le Duan, qui lui enjoint de faire vite : « Chaque jour compte. Il faut déclencher à temps l’assaut dans toutes les directions. Tout retard risque d’entraîner des conséquences fâcheuses, tant sur le plan politique que sur le plan militaire », écrit-il. Le premier secrétaire du Parti craint-il une solution politique qui priverait le Nord d’une victoire complète ? Personne, à Hanoï, n’a oublié Genève et cette frontière factice imposée au 17e parallèle.

En attendant, Saïgon est en train de basculer dans l’anarchie. La chute de Xuan Loc a convaincu les plus sceptiques de l’imminence de l’entrée des troupes nord-vietnamiennes dans la capitale. Cette fois, le doute n’est plus permis : le Sud va perdre la guerre.

Pour toute une frange de la population, trop compromise avec le régime moribond, la perspective de la victoire - désormais inéluctable - des communistes est accueillie avec angoisse. Beaucoup de gens cherchent à fuir au plus vite et par n’importe quels moyens, quitte à mettre leurs existences en péril. En ville, beaucoup de maisons sont abandonnées et en proie au pillage. Les trottoirs sont pleins de meubles, d’objets de toutes sortes. De cadavres, parfois. On y trouve aussi des uniformes de l’armée sud-vietnamienne : beaucoup de soldats, qui ont purement et simplement déserté, veulent se faire oublier et se fondre dans l’anonymat de la foule. Un certain nombre d’entre eux ont d’ailleurs été enrôlés du simple fait de la conscription et ils ne sont absolument pas prêts à mourir pour défendre. mais défendre quoi, au juste ?
 

Scènes de pillages
Scènes de pillages


Les Américains aussi, ont fini par admettre que la partie était perdue, mais ils ont mis du temps à l’admettre et désormais ils doivent évacuer en catastrophe. Graham Martin a beaucoup trop tardé : entre la panique et l’attentisme, il a choisi l’attentisme et désormais il doit faire face à un véritable mouvement de panique.

Il y a bien sûr la communauté américaine à évacuer (environ 10.000 personnes), mais il y a aussi la foule des Vietnamiens qui ont choisi de miser sur les Américains et qui se pressent devant les grilles de l’ambassade, qui est brusquement devenue la dernière bouée de sauvetage, celle à laquelle on s’accroche désespérément.

Ce n’est que le 24 que Graham Martin a autorisé officiellement l’évacuation du personnel vietnamien de l’ambassade. L’ordre d’évacuation générale des Américains par avions, lui, a été donné deux jours plus tôt. L’aéroport de Tan Son Nhut est, à ce stade, encore praticable, quoique sous la menace du feu ennemi.

L’heure du Grand Minh

Mais sur le plan politique, les lignes bougent encore une dernière fois. Le 27, Duong Van Minh accède enfin à la présidence : la République du Vietnam s’offre un ultime soubresaut.
 

Duong Van Minh
Duong Van Minh


« ... Sincèrement, nous voulons la réconciliation. Vous le savez. La réconciliation demande que chacun dans ce pays respecte les droits de l’autre. Citoyens, mes frères, dans les derniers jours, vous vous êtes demandés pourquoi tant de gens ont tranquillement quitté le pays. Je veux vous dire, chers concitoyens, que c’est notre pays bien-aimé. Soyez courageux, je vous en conjure. Restez ici et acceptez le destin fixé par le Ciel. Je vous en prie, demeurez ici et restez unis. Reconstruisez un Vietnam du Sud indépendant, démocratique et prospère afin que les Vietnamiens puissent vivre avec les Vietnamiens dans la fraternité », lance le « Grand Minh » au moment de la passation de pouvoirs.

La réponse ne se fait pas attendre et elle est sans équivoque : « Après le départ du traître Nguyen Van Thieu, ceux qui le remplacent, à savoir la clique Duong Van Minh, Nguyen Van Huyen et Vu Van Mau*, s’obstinent à vouloir la guerre pour conserver les territoires existants tout en réclamant des négociations. Il est évident que cette clique continue à prolonger la guerre avec obstination pour maintenir le néocolonialisme américain. Pourtant, elle ne peut tromper personne. Les combats ne cesseront que lorsque les troupes de Saïgon auront déposé les armes. », proclame Radio-Libération, qui est le canal du Gouvernement provisoire de la République du Sud-Vietnam...

Duong Van Minh, lui, ne se fait de toute façon aucune illusion sur son statut de chef d’Etat : comme chef, il ne commande plus personne ou presque, et l’Etat sud-vietnamien, lui, est en train de partir à vau-l’eau. Il lui reste donc à attendre les vainqueurs, lorsque ceux-ci se présenteront au Palais de l’Indépendance, pour leur présenter sa reddition, ce qu’il fait, courageusement... Au moins ne cherche-t-il pas à fuir comme tant d’autres.

Tan Son Nhut en sursis

A Washington, on suit bien sûr l’agonie du Sud-Vietnam avec un mélange de stupeur, de consternation. et de honte. La « sortie honorable » que l’on croyait avoir trouvé en 1973 à Paris se révèle être un cul-de-sac dont on peine à s’extirper, et le ballet des hélicoptères qui tournoient dans le ciel de Saïgon n’a rien d’une retraite glorieuse, bien au contraire.

Pour l’heure, ces hélicoptères sont chargés d’emmener des groupes de candidats à l’évacuation jusqu’à l’aéroport de Tan Son Nhut, où des avions les prennent en charge pour les emmener loin du Vietnam. Sauf que là-aussi, chacun sent bien que l’étau se resserre et que bientôt, ces mêmes hélicoptères vont devoir faire la navette depuis les porte-avions qui ont été rassemblés à la hâte au large des côtes sud-vietnamiennes.

Le 27 avril, Graham Martin reçoit un câble d’Henry Kissinger qui le presse d’accélérer le mouvement : « A la réunion du Groupe d’action spéciale de ce matin, tous les représentants des différentes agences pensaient qu’il nous restait tout au plus de un à trois jours avant un effondrement militaire et avant que Tan Son Nhut ne devienne inutilisable », écrit le secrétaire d’Etat.
 

Les hélicoptères envahissent le ciel de Saïgon
Les hélicoptères envahissent le ciel de Saïgon

 

Deux jours plus tard, le 29, les choses s’accélèrent. Les tirs d’artillerie nord-vietnamiens, de plus en plus précis, se concentrent sur Tan Son Nhut. Des dépôts de munitions et d’essence, des camions, des jeeps et des voitures flambent.

Pour Le Duc Tho comme pour le Général Van Tien Dung, la partie qui est en train de se jouer est délicate. D’une part, il faut laisser les Américains partir et donc ne pas trop gêner l’évacuation. D’autre part, il faut que les Américains, à Saïgon comme à Washington, comprennent qu’il n’est plus question de négocier, s’il n’en a jamais été question.

A Washington, en tout cas, on l’a bien compris. Réuni le 28 à 19 heures, heure locale, le Conseil national de sécurité, présidé par Gérard Ford, recommande néanmoins de poursuivre l’évacuation par avions.

Sauf que. Assez rapidement, les pistes de Tan Son Nhut deviennent inutilisables, en ce matin du 29 avril, et les Américains sont alors obligés de passer à l’option ultime qui est l’évacuation par hélicoptères, avec des rotations continues entre l’ambassade et les porte-avions : c’est l’opération Frequent wind.

Peu après 11 heures, heure de Saïgon, la radio américaine commence à diffuser en boucle l’air de I’m dreaming of a white Christmas. C’est un code que tous les Américains connaissent et qui est synonyme d’évacuation générale et immédiate.
Mais là aussi, rien n’est simple. Les abords de l’ambassade des Etats-Unis sont pleins de candidats au départ et les citoyens américains ont bien de la peine à accéder aux grilles tant la foule est compacte. La tension est palpable et les Marines ont bien du mal à contenir la masse de ceux qui essaient désespérément d’escalader les grilles.
 

L’ambassade américaine, le 29 avril.
L’ambassade américaine, le 29 avril.

A l’intérieur du bâtiment, l’agitation est à son comble. Vers midi, Henry Kissinger appelle Graham Martin : « Vous devez tous évacuer. Tous. Ordre du Président Ford lui-même. Et avant la tombée de la nuit », lui dit-il.  


* Respectivement Vice-président et Premier ministre

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