lepetitjournal.com Ho Chi Minh Ville a rencontré Khánh Nguyên et Thibault, jeune couple binational à l’origine du Nón Lá Project : parcourir 16 000 kilomètres à vélo, de la France au Vietnam, afin de lever des fonds pour l’association Poussières de vie. Retour sur une aventure incroyable.
Pour mener à son terme le Nón Lá Project, il n’a pas fallu beaucoup d’ingrédients : de la solidarité un mental d’acier et beaucoup d’amour. Thibault et Khánh Nguyên (Léa de son nom français) est un duo solaire qui semble avoir été frappé par les flèches de Cupidon, lorsqu’ils nous racontent leur histoire. Une rencontre en 2015 dans un café de Saigon, un mariage quelques années plus tard en 2018, et une idée folle pour leur lune de miel : traverser une partie du globe à vélo, et ainsi récolter des dons pour l’association Poussières de vie.
Thibault n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà eu l’occasion de faire 4000 kilomètres à vélo, en Europe avec son frère. Cette passion, il la cultive depuis l’enfance. « Quand j’étais petit, je passais tous mes étés dans la Creuse, et il n’y avait pas grand chose à faire, hormis le vélo, se rappelle-t-il, amusé. Aller chercher ses bonbons à la boulangerie, voir les amis sans dépendre de la voiture… C’est devenu synonyme de liberté. J’avais ce rêve de parcourir de longues distances, pendant un an ou plus. »
Comme une évidence, le Nón Lá Project se met en branle. Léa pour sa part, n’a pas autant d’expérience de la bicyclette, plutôt portée sur l’emblématique scooter vietnamien. Mais qu’à cela ne tienne, elle suivra son amoureux, quitte à commencer leur préparation dans les rues de Sài Gòn, encombrées par le trafic, montés sur de vieux VTT pas du tout adaptés.
Une aventure humaine
Mai 2019. Après une préparation d’environ un an, et à Sài Gòn, et en France sur des routes plus praticables, le couple débute son périple de Vendée. Et ils sont chargés ! Elle porte 36 kilos, lui en a 42, sans compter l’eau et la nourriture. « Nous avions tout pour survivre dans la nature : une tente, des ustensiles de cuisine, un filtre à eau manuel, du matériel de réparation, une trousse de soins - que nous n’avons pas eu à utiliser heureusement. L’idée était d’être autonomes et de pouvoir s’arrêter où on voulait, dans la forêt, la montagne, près d’un lac. » Et solidement accrochés à l'arrière du vélo, les fameux chapeaux coniques traditionnels du Vietnam, « nón lá », symboles du projet associatif éponyme.
« Physiquement, je n’avais aucune idée de ce que représentait la pratique du vélo sur une longue distance, mais jour après jour cela devenait de plus en plus facile », raconte Léa. « Elle a été impressionnante, renchérit Thibault, car même si nous étions bien entraînés, il fallait pouvoir passer les montagnes avec le poids des vélos. »
Sur du plat, ils arpentent entre 70 et 80 kilomètres par jour, et se retrouvent parfois dans des situations difficiles : routes dangereuses voire plus de route du tout comme en Azerbaïdjan, obligation de faire demi-tour, sans compter les conditions climatiques capricieuses et l’énergie passée à monter la tente, laver leurs vêtements dans la rivière, cuisiner etc.
La gentillesse et l’hospitalité des locaux qu’ils croisent au quotidien leur permettent de recharger les batteries et de sans cesse alimenter leur moteur. Leur coup de coeur va particulièrement aux Iraniens. « Les gens nous arrêtaient sur la route, nous invitaient chez eux, nous donnaient du pain, des fruits, du café, du thé, des pastèques, se remémore Léa en souriant, nous n’avions pas besoin d’acheter à manger, ils nous donnaient tout, même si on refusait. » « En Iran, l’hospitalité est au sommet. Dans la culture perse, ils considèrent le visiteur étranger comme un ami de Dieu », complète Thibault.
L’application Warm Showers qui met en lien des cyclistes du monde entier leur a aussi permis de rencontrer des personnes qui partagent la même passion, excitées à l’idée de les accueillir, ou tout simplement de pouvoir les saluer à leur passage.
Les aléas du voyage
De mauvaises expériences, ils n’en ont pas eu beaucoup, et arrivent à en rire lors de notre entrevue. Pourtant, l’une d’entre elles aurait pu tout faire capoter, lorsque Thibault s’est retrouvé mis en joue par un militaire près de Quazvin en Iran, sans vraiment savoir pourquoi. Ou encore lorsque Léa a manqué de se faire agresser par un grand type lubrique et baraqué. « J’avais une appréhension initiale concernant la sécurité, je ne savais pas à quoi nous devions nous attendre, explique-t-elle. Mais je me disais : ne pense pas trop, et fais ton chemin ! »
Malgré ces évènements qui auraient pu tourner au fiasco, tous deux dédramatisent : « Nous avons dû assimiler et accepter ce qu’il nous est arrivé. Mais finalement, le sentiment d’insécurité, on l’a rarement ressenti, il ne reflète pas du tout notre voyage. » Leur seule arme de défense, une bombe lacrymogène, est restée au fond du sac pendant toute la durée de l’aventure.
D’autres anecdotes, moins graves celles-ci, mais un peu embêtantes, racontent comment Léa s’est foulé la cheville et qu’elle n’a pas pu pédaler pendant une dizaine de jours ; ou quand, décidément très malchanceuse, elle a dû composer avec une intoxication alimentaire en Inde.
Comme une ombre au-dessus de leurs épaules, le COVID-19 a quelque peu assombri leurs perspectives de voyage. « Au départ, nous avions prévu de passer par le Kirghizistan pour atteindre la Chine, et arriver par le nord du Vietnam, mais nous avons changé d’itinéraire pour éviter un hiver trop précoce au Kirghizistan », précise la jeune femme. Le couple, ayant donc traversé l’Inde, le Myanmar, la Thaïlande et le Laos est passé à travers les mailles du filet avant que la pandémie n’explose et a franchi la frontière vietnamienne de Ðiện Biên Phủ à la mi-février.
Ils se posent enfin à Hà Nội et voient la fin du voyage se rapprocher : à presque 1500 kilomètres de la capitale, Sài Gòn est le point d’arrivée du Nón Lá Project. « Le jour où nous avons quitté Hà Nội, une personnalité qui revenait du Royaume-Uni après la fashion week a été testée positive. A partir de là, les gens ont commencé à avoir peur, témoigne Thibault. Léa devait aller acheter de la nourriture seule et je devais attendre à dix mètres. » « En campagne, ils ne sont pas habitués aux étrangers, poursuit Léa. Nous ne voulions pas camper au Vietnam parce que nous avions entendu beaucoup d’histoires de cyclistes qui se sont fait voler, mais nous y avons été contraints puisque tous les hôtels se disaient complets dès qu’ils voyaient Thibault. »
Thibault et Léa ont passé du temps chez la famille de cette dernière à Vũng Tàu, en attendant la fin du confinement à Sài Gòn. Ils ont finalement atteint la métropole du Sud le 25 mai dernier.
16 000 kilomètres à vélo, pour une levée de fonds d’au moins 16 000$ soit un dollar par kilomètre, c’est désormais chose faite pour le Nón Lá Project, une aventure inédite qui réunit la France et le Vietnam, les deux pays respectifs de ce tandem amoureux, le tout sous la bannière de l’éducation vietnamienne. « Voir les gens croire en ton projet, recevoir des dons du monde entier, des USA, du Canada, de l’Australie en passant par l’Iran, ça a rendu ce roadtrip d’autant plus significatif, et nous a permis de toujours garder notre motivation », conclut Thibault, reconnaissant.