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Stéphen Delattre ou quand la danse réunit

Stéphen Delattre danse MainzStéphen Delattre danse Mainz
Stéphen Delattre, Photo Klaus Wegele, © Delattre Dance Company
Écrit par Emie Irion
Publié le 9 septembre 2020, mis à jour le 18 février 2021

Chorégraphe et directeur artistique français né à Marseille, Stéphen Delattre vit à Mayence en Allemagne depuis plusieurs années. Avant de progresser sur la scène allemande, il a reçu une formation classique à l’Ecole Nationale de Danse de Marseille avec le célèbre danseur et chorégraphe Roland Petit. En 2012, il fonde la Delattre Dance Company qui lui permet de mettre en avant le style néo-classique et contemporain à l’étranger.

Stéphen Delattre a accordé à Lepetitjournal.com/francfort une interview afin d’évoquer les difficultés rencontrées pendant la période de crise sanitaire ainsi que la reprise des programmations de la Delattre Dance Company. Il évoque également le spectacle d’ouverture « disTANZ » que nous avions déjà présenté dans notre agenda. Entretien.

 

Lepetitjournal.com/francfort : la « Delattre Dance Company » fera sa rentrée le 1er octobre 2020 avec « disTANZ ». Pouvez-vous nous en dire plus sur cette soirée particulière dont le nom a vraisemblablement été inspiré par la crise sanitaire ?

Stéphen Delattre : en effet « disTANZ » est un jeu de mot avec la distance et la danse en allemand qui fait référence à la distance par rapport public et par rapport aux danseurs entre eux. Il y a dans « disTANZ » cette idée de garder la distance tout en voulant être en contact avec les autres. Mais ce n’est pas une soirée négative, triste et dépressive, les gens en ont ras-le-bol du coronavirus et je ne crois pas qu’ils aient envie d’aller au théâtre ou à un spectacle de ballet pour voir de la Covid-19. Dans « disTANZ », on en parle indirectement sous certaines formes mais le spectacle ne porte pas essentiellement sur ce thème. C’est une soirée de 45 minutes composée de 7 parties qui va condenser l’essentiel de cette situation de manière abstraite et nature. Le point fort de la soirée, c’est que, malgré le temps et la distance qui nous ont séparés dernièrement, on est toujours ensemble grâce à la (dis)TANZ, c’est-à-dire grâce à la danse.

 

Stephen Delattre danse
Stéphen Delattre, Photo Klaus Wegele, © Delattre Dance Company

 


Comment vous y êtes-vous pris pour préparer cette soirée ?

Cette soirée a été compliquée à organiser parce qu’il faut penser à la distanciation sociale, aux transitions, au fait que les danseurs entrent en scène à droite et qu’ils sortent de scène à gauche, qu’ils ne se croisent pas dans les vestiaires… Bref, toute cette régulation nous limite sur la possibilité de s’exprimer librement. Le spectacle comprend 5 danseurs et danseuses qui ne se trouvent pas au même moment ni au même endroit sur scène. Les danseurs ne peuvent qu’être seuls sur scène, ou bien danser en duo ou trio et se toucher uniquement s’ils habitent déjà ensemble. Il y a des danseurs qui peuvent danser ensemble pendant le spectacle et d’autres qui sont toute la soirée seuls sur scène à faire des solos. Pour eux, c’est comme être un acteur qui n’a le droit de dire que deux phrases dans le film.

Mais du point de vue créativité c’est un challenge parce qu’il nous faut créer cette nouvelle production et adapter les chorégraphies en fonction des restrictions sanitaires. Être chorégraphe, c’est comme être un écrivain qui n’a qu’une page pour écrire une histoire. C’est une nouvelle expérience pour moi mais également pour les danseurs.

Après les deux représentations de « disTANZ » le 1er et 2 octobre 2020, les représentations d’« Alice aux pays des merveilles » reprendront. Si les restrictions subsistent jusque-là, il faudra réadapter les chorégraphies en fonction de celles-ci : c’est-à-dire avoir 6 danseurs sur scène à la place de 12, nous n’aurons pas non plus le même budget pour payer les danseurs etc., parce que nous sommes limités à accueillir 50% du public que nous recevons en temps normal.

 

Comment ont travaillé vos danseurs pendant cette période contraignante de restrictions liées au coronavirus ? Qu’est-ce que cela a changé dans votre façon de fonctionner au sein de la « Delattre Dance Company » ?

En mars dernier, les représentations d’« Alice au pays des merveilles » ont eu lieu. La salle était pleine, on avait des « standing ovation », des fleurs nous étaient lancées sur scène, c’était vraiment un énorme succès. Le lendemain, le théâtre nous a appelés pour annuler tous les spectacles, ça a été un choc. On a perdu une vingtaine de performances entre mars et juin, donc bien sûr, pas de spectacle, pas d’argent, on a dû renvoyer les danseurs chez eux. Nous n’étions pas autorisés à travailler donc la saison était finie et pendant environ 6 mois les danseurs n’ont pas vraiment eu de cours ni de répertoire. A partir de mars, on a mis un bon mois pour réaliser ce qu’il se passait et au bout d’un mois on s’est dit qu’il fallait garder les danseurs en forme car 6 mois sans rien faire, ce n’était pas possible !

Nous avons tous gardé le contact entre nous, fait des « class online » sur Zoom, j’envoyais des vidéos aux danseurs pour les garder en forme et leur permettre d’apprendre les chorégraphies pour se préparer à cette nouvelle saison. Cependant, l’activité, l’entrainement régulier dont un danseur a besoin, le rythme ainsi que la discipline physique et psychologique ont été complètement mis à mal.

Faire notre travail sans pouvoir se toucher, c’est très bizarre. On se sent comme un chanteur sans micro.

Ça a été un gros choc émotionnellement, financièrement, physiquement et psychologiquement, c’était vraiment très dur pour tout le monde.

Les choses se sont calmées et il y a environ un mois, nous avons pu reprendre les cours et les répétitions, mais nous sommes toujours limités en ce qui concerne le nombre de danseurs dans le studio puisqu’il faut toujours garder une certaine distance.

Le travail des chorégraphes et des danseurs, c’est de partager, de donner, de prendre, et de toucher. Toucher l’esprit, toucher le cœur, toucher l’âme, toucher le corps… Il faut toucher émotionnellement, artistiquement et physiquement. Faire notre travail sans pouvoir se toucher c’est très bizarre. On se sent comme un chanteur sans micro. Depuis que nous avons repris, le groupe est très motivé et positif, prêt à donner le maximum et nous espérons pouvoir reprendre les spectacles à un rythme normal le plus tôt possible.

 

Stephen Delattre danse
Stéphen Delattre, Photo Klaus Wegele, © Delattre Dance Company

 


Dans les mois à venir vous présenterez « Alice au pays des merveilles », « Shakespeare in Motion », « Shelter », « Gifted », qu’est-ce qui vous a inspiré pour la création de ces spectacles ?

J’aime « challenger » mes danseurs et surprendre mon public et notre presse. A chaque production, il y a une ligne artistique, mais chaque production a son propre challenge, sa propre histoire et sa propre couleur. L’idée c’est de donner une diversité aux danseurs pour apprendre et travailler différentes choses pour pouvoir se compléter et grandir en tant que danseur artiste interprète.

Pour le public aussi, c’est toujours quelque chose d’autre : même si la compagnie, le chorégraphe et souvent aussi les danseurs sont les mêmes, à chaque fois c’est un nouveau livre, une nouvelle histoire. Le même écrivain avec les mêmes mots, la même plume et les mêmes pages, écrit chaque livre différemment des autres.

Le chorégraphe est comme un écrivain, mais il n’écrit pas avec une plume et du papier, il écrit avec des mouvements dans le temps et dans l’espace. Je vois les danseurs comme des lecteurs qui lisent ma chorégraphie avec leur propre corps. Aussi, on donne une direction au public mais on lui laisse une marge d’interprétation, on le retrouve d’ailleurs beaucoup dans « disTANZ ».

 

Le secteur culturel et le secteur de l’événementiel en Allemagne ont été particulièrement touchés par la crise : comment voyez-vous l’après coronavirus en ce qui concerne la « Delattre Dance Company » ?

Pour être honnête, ça va déprendre combien de temps tout cela va durer. Si cette situation terrible continue pendant des semaines, voire des mois, nous sommes tous en danger. Il y a déjà des compagnies qui ont dû arrêter leurs activités et si ça continue comme ça, d’autres théâtres devront fermer.

Certains pensent que l’art est superflu en cette période de coronavirus, je pense au contraire que c’est complètement faux. Selon moi, l’art aide énormément la société à évoluer, c’est une forme d’éducation et d’ouverture d’esprit. C’est à travers l’art, la culture, la peinture, l’écriture, la littérature, la danse, l’opéra, le chant, la musique, le cinéma… qu’on a la possibilité de se faire nos propres opinions.

Il est temps qu’on retourne à une certaine normalité et qu’on puisse reprendre l’activité en prenant bien sûr toujours certaines précautions. Le secteur artistique a pris une claque et il est temps que ça cesse.

C’est très dangereux pour nous qui survivons grâce à la vente de tickets. Nous avons fait des appels aux dons, nous avons été soutenus financièrement certes, mais les montants étaient très faibles. On a par ailleurs très peu de soutien de la ville et du Land, pas du tout de l’Institut français de Mayence par exemple, il est donc essentiel pour nous de vendre des tickets. J’espère que les gens ne vont pas avoir peur de revenir nous voir sur scène.


Les prochains spectacles de la Delattre Dance Company en Allemagne auront lieu dans les Länder de Rhénanie-Palatinat, Hesse, Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Bade-Wurtemberg et Saxe.

 

Stephen Delattre danse
Les dates de la tournée. Photo : Klaus Wegele, © Delattre Dance Company

 

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