Yasmine Krid, psychologue plurilingue spécialisée dans l’interculturel, installée à Cork, a accepté de répondre à nos questions concernant son parcours, son arrivée en Irlande, son métier et son approche.
Lepetitjournal.com : Peux-tu nous résumer ton parcours ?
Yasmine Krid : J’ai grandi en Algérie et, à l’âge de 20 ans, j’ai fui la guerre civile et j’ai eu la chance d’aller « continuer de vivre » en France.
L’Histoire m’a définitivement liée à la France, car j’y suis née. La vie a voulu que ma mère me mette au monde lors d’une visite routinière à ses parents en région lyonnaise (il n’y avait pas besoin de visa pour venir en France à l’époque, je prends un bon coup de vieux là !).
J’ai atterri à Lille en 1996… à Lille car il n’y avait pas d’autres vols disponibles depuis Alger (c’était la reprise progressive des vols vers la France après le tragique détournement d’avion).
Le premier hiver en France était exceptionnellement coriace, je me souviens d’une nuit avec un bon -14… Je m’y suis vite faite et puis rien ne vaut de pouvoir marcher dans la rue, d’aller à la fac, d’être une femme indépendante sans avoir peur de se faire couper la tête à chaque tournant.
Pendant 20 ans, j’ai pu étudier, travailler, voyager, aimer, créer… L’exil, même choisi, impose son lot de deuils, de séparations, de désillusions et de choix cornéliens, mais il n’était pas question pour moi de brader la chance que la vie m’offrait d’évoluer en toute liberté et sécurité. Je ne pouvais qu’honorer ce cadeau.
Quand j’étais adolescente en Algérie, je me souviens de mon intérêt pour la musique irlandaise initié par le cinéma, ça ne m’a jamais quittée. En France, j’ai eu accès à plus de culture celte et mon intérêt pour celle-ci grandissait.
En 2005, j’ai enfin pu faire mon premier voyage en Irlande et je me souviens qu’en quittant l’aéroport de Dublin en direction d’Athlone, tout me semblait nouveau et familier en même temps, comme si je reconnaissais un endroit où je n’étais jamais allée. La rencontre des Irlandais a conforté l’idée que I was home. Je suis ensuite revenue en Irlande au moins une fois par an et lors d’un de mes voyages, la rencontre avec mon mari qui est de Cork a bouclé la boucle, je suis maintenant installée à Cork depuis presque 4 ans.
Pourquoi avoir choisi ce métier ?
Depuis toute petite, j’ai un intérêt pour ce que ressentent les personnes et dès que j’ai pu, j’ai commencé à chercher, à lire pour comprendre.
Mon expérience personnelle de vie dans un pays en crise identitaire post-coloniale et de guerre civile a nourri mon intérêt pour tout ce qui pouvait aider à mieux vivre le présent et à « réparer » ce qui est réparable. En France et grâce à mon parcours universitaire, j’ai découvert des approches de la psychologie que je ne soupçonnais pas et surtout que lorsqu’on vit dans un environnement sûr, il y a des questionnements existentiels qui s’invitent quand même. Je veux dire que même sans tragédie apparente, les notions de liberté, responsabilité, meaningfulness, isolement sont toujours là.
Et justement, ce sont des notions essentielles pour moi et grâce à mon métier, je suis au cœur de ce qui fait sens dans ma vie.
Cerise sur le gâteau, c’est très gratifiant de voir les personnes souffrir moins, aimer mieux leur vie, être en accord avec leurs valeurs et leurs choix. C’est un partenariat qui challenge, à chaque étape, on est rarement en zone de confort, mais quelle aventure humaine !
Comment s'est passée ton arrivée en Irlande ?
Grâce à ma connaissance du pays et à mon conjoint qui était de la région, mon arrivée s’est faite naturellement. Ayant déjà eu à quitter un pays en laissant derrière moi amis et possessions, j’étais très enthousiaste et confiante. Nous sommes des êtres résilients et ma liberté et ma sécurité étaient dans mes valises, avec moi.
Comment se déroule une consultation ?
Je propose des consultations en français ou en anglais, selon la première langue de mes patients. J’aime bien travailler dans l’échange et j’aime à dire que je ne suis pas une psy silencieuse qui regarde les gens parler. Parfois, la première séance peut être intimidante, mais je suis là pour aider à trouver des portes d’entrée et, très vite, les personnes réalisent qu’elles sont en sécurité et entre de bonnes mains. La bienveillance est le mot d’ordre. Ça n’empêche pas d’aborder ce qui fâche, au contraire, ça l’autorise. Et puis je dois dire qu’on rigole beaucoup, l’humour est un catalyseur formidable pour ces personnes et pour moi.
Je partage avec les personnes qui me consultent mes connaissances et mon expertise acquises depuis que j’ai mis un pied dans ce domaine. Je m’aide de mon expérience personnelle aussi, on fait toujours avec ce que l’on est. Les émotions et ce qu’on en fait tiennent une place importante dans mon approche. Alors lorsqu’à la fin d’une thérapie de couple fructueuse on m’a dit un jour : « vous avez été notre Krid du cœur », le mien a souri.
Ma pratique a changé en étant ici : il y a comme un « accélérateur à questions » du fait que nous soyons expatriés, le patient et moi. Et puis la décontraction irlandaise a eu raison de certains protocoles à la française et ce n’est pas pour me déplaire. J’offre une infusion à mes patients dès leur arrivée et depuis qu’une patiente irlandaise m’a serrée dans ses bras avant de partir et qu’un autre a enlevé ses chaussures durant la séance, j’aime encore plus le « vrai ». Je peux dire que depuis 2003, année où j’ai ouvert mon cabinet en région toulousaine après y avoir fini mes études, j’ai évolué avec ma discipline qui se veut moins dogmatique et plus pragmatique et les personnes qui me consultent s’en portent bien, tout le monde est content.
Cette pandémie, c’est le « double effet Kiss Kool » pour nous les expatriés
Les expatriés rencontrent-ils des difficultés spécifiques ?
En effet, je constate que les personnes qui sont parties de France pour plus d’un an d’expérience et de capitalisation en centre d’appels sont confrontées à des thématiques spécifiques. Il y a souvent une raison personnelle importante, pas forcément tragique ou traumatique, pour rester longtemps loin de « chez soi ». Souvent, on ne se satisfait pas d’avoir fui ce qu’on n’aimait pas ou vivait mal. Une fois installé, il faut aimer ce qui est à notre portée et la comparaison avec ce qui nous manque de ce que nous avons laissé fait obstacle. Tant que la question se pose comme ça : « ici il me manque des choses mais j’en aime d’autres, là-bas c’est pareil », on est dans une impasse. Pour faire court, il est question de choisir ses renoncements et ses gratifications et d’intégrer le manque comme faisant partie de la vie.
Il va sans dire que les différences interculturelles surprennent, car l’Irlande n’étant pas très éloignée de la France, on s’attend plus à un choc culturel en s’installant en Chine. Pourtant, quand l’interculturalité dépasse l’incompréhension des goûts culinaires locaux, des notions comme le rapport au travail et à la hiérarchie, les normes relationnelles et la législation par exemple sont déstabilisantes. L’expatriation met à l’épreuve nos certitudes sur ce qui est bien ou mal.
Quels sont tes conseils pour vivre au mieux cette période de pandémie ?
Cette pandémie, c’est le « double effet Kiss Kool » pour nous les expatriés. Plus que jamais, on est face à nos choix et ce qu’ils impliquent. Je disais plus haut que l’expatriation accélère le questionnement, j’ajoute que la pandémie en expatriation fait la même chose. On tâche de retrouver un peu de maîtrise de ce qui nous arrive à travers les consignes et précautions qu’on suit, mais notre liberté a pris un sacré coup. Comme nous n’avons pas le choix, il faut accompagner la vague qui nous porte, s’ajuster pour ne pas se faire mal ou faire mal aux autres. Il est essentiel d’adapter sa routine et d’accepter l’imperfection de son exécution.
On ne peut pas trop poser de dates pour nos projets, tout est en suspens, mais ça n’empêche pas de nourrir des rêves et de se souvenir de ce qu’on réalise depuis le confinement.
Après tout, ne plus avoir peur de notre finitude devrait être bénéfique pour l’après. Le sentiment d’impuissance et l’acceptation de ce qui s’impose, quand ils font défaut, sont une grande source de souffrance. Il faut « vivre avec », au sens propre.
On avait tous des plans précis et hop, on apprend à vivre sans et ça passe, on est fort quand même !
Je constate que les personnes que j’accompagnais déjà avant le confinement sont dans un état d’esprit plutôt serein. Il y a bien sûr de la frustration et de la contrariété qui s’expriment, mais globalement, ces personnes se questionnaient déjà et trouvent là une occasion de tester leur résilience, imagination et adaptation.
Pour d’autres personnes, le début a été turbulent et a mis en exergue des problématiques qui couvaient déjà depuis un moment. C’est normal, nous sommes mis à l’épreuve et nos mécanismes de défense habituels sont mis en échec. Notre résistance est amoindrie, mais celle-ci ne faisait que masquer ce qui devait être mis à nu et confronté. C’est une avancée, certes douloureuse, mais bénéfique pour la connaissance et la réalisation de soi. Seulement, il faut faire attention à ne pas s’isoler, ne pas rester seul avec son anxiété et ses peurs pour que l’expérience soit transformée. Plus que jamais, le lien social et l’apprentissage (qu’on oppose à notre zone de confort) sont salvateurs.
Quels sont tes projets ?
Pour le moment, je ne pose aucune date ou échéance, mais j’aimerais pouvoir voyager de nouveau et peut-être vivre plus près de la mer. J’ai profité de ce confinement pour me mettre à la basse, je n’ai plus qu’à progresser, haha !
Au niveau professionnel, j’ai hâte d’organiser mes ateliers d’art thérapie.
Je réfléchis à ce que je pourrais proposer à la communauté française en Irlande et qui m’amènerait à me déplacer à travers le pays.
Et puis j’aimerais proposer des interventions aux entreprises pour leurs salariés français, quelque chose pour amortir le choc culturel au travail et en dehors.
Je suis pour le moment très prise par mes consultations en ligne en raison du confinement, mais j’y reviendrai !
Site web : https://www.yasminekrid.com/
E-mail : psy.yasmine@gmail.com
Tél. : 089 705 68 56
Propos recueillis par Valérie David-McGonnell