Au cœur de l’Irlande, les tourbières constituent un élément central du paysage
Vieux de 10.000 ans, ces puits de carbone naturels ont plusieurs vertus : permettre à un écosystème de perdurer à travers les siècles, et jusqu’en 2022, garantir aux habitants de l’île d’Émeraude de se chauffer à moindre coût. Mais les activités humaines ont provoqué des dégâts liés à l’extraction de la tourbe et à la libération de CO2. Aujourd’hui, leur restauration est l’objectif premier de l’Union Européenne (UE) et de ceux engagés sur le terrain.
À proximité de la ville de Kildare, à une soixantaine de kilomètres de Dublin, se trouve un lieu protégé où la nature a tous ses droits : Lullymore Heritage and Discovery Park. La tourbière d’Allen (bog of Allen) s’étend sur près de 958 km2. « Faire prendre conscience aux gens de la valeur des tourbières et les reconnecter avec ces ressources est primordial », explique Ray Stapleton, manager du parc. « Nous travaillons avec différents groupes » venus des quatre coins de la planète « et des écoles ». En 2023, 55.000 visiteurs se sont rendus sur le site. La préservation est le maître-mot et plusieurs niveaux de lecture entrent en considération afin d’en appréhender les enjeux.
Depuis 2022 et la décision par l’ancien gouvernement (le Taoiseach ou premier ministre Irlandais était alors Micheál Martin, NDLR) d’interdire la vente de la tourbe, seul son usage privé est autorisé pour se chauffer, notamment dans le milieu rural. Il existe des alternatives moins polluantes pour réussir à garder son logement à bonne température. « Le recours à l’électricité ou l’isolation des maisons » font partie de la solution, poursuit Ray Stapleton. Néanmoins, la crise du logement dans le pays complique la tâche : « Il faut apprendre des autres nations », qui abritent une part conséquente de tourbières. En Suède, 15% du territoire en est couvert mais le royaume utilise la biomasse comme moyen de chauffage.
Lors du processus d’extraction, les tourbières sont soumises à des pressions et à un assèchement qui peuvent détériorer son biotope. « L’utilisation des machines est une activité très destructrice », formule Shane McGuinness, fondateur de Peatland Finance Ireland, un fonds visant à financer la restauration des tourbières surélevées (raised bogs).
La faune et la flore sont vitales pour que les tourbières puissent continuer à évoluer. « Plus d’habitats sont nécessaires pour l’ensemble des espèces (insectes, plantes…) », déclare Ray Stapleton.
D’autres indicateurs témoignent des bonnes conditions des bogs : la présence de certains végétaux comme le grand droséra et évidemment différentes sortes de sphaignes (sphaigne pointue, sphaigne de Magellan et sphaigne papilleuse). Quand la sphaigne couvre plus de 40% de la tourbière, elle est considérée comme étant en excellente condition, d’après un document intitulé « Plant Identification for Raised Bogs Condition Assessment.
Au niveau de l’Union Européenne (UE), des programmes ont vu le jour pour apporter des réponses quant au devenir des tourbières, en Irlande et plus globalement en Europe.
Une vision politique des tourbières
« Les recherches scientifiques sont essentielles » pour maintenir les tourbières à flot, affirme Shane McGuinness. En parallèle, l’Irlande est dotée d’une société semi-publique la Bord na Móna, crée en 1946. Son objectif d’ici 2030 est de « renoncer publiquement à l’exploitation des tourbières et de réhabiliter 3.300 hectares ». Une aide de 108 millions d’euros a été allouée dans le cadre de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’après le site du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie français.
Le Carbon Removal and Carbon Farming Certification Regulation (CRCF), initié par la Commission Européenne, est également très important pour la réduction du carbone.
Entre 2016 et 2021, un projet « The Living Bog » a été mené par l’instrument de financement EU LIFE de la Commission Européenne. Sept régions et douze bogs (Galway, Longford, Roscommon, Offaly, Westmeath, Cavan…) étaient concernés alors que le territoire comprend 20% de tourbières, soit une réserve d’un million de tonnes de carbone, dont la capture est « essentielle à la vie sur terre ». Le budget total comprenait 5 408 250 euros dont 4 056 190 euros émanant de l’Union Européenne (75% de la somme).
Cependant, « 2 milliards d’euros pour restaurer les tourbières en Irlande » devraient être investis, précise M. McGuinness. De son côté, Ray Stapleton, manager de Lullymore Heritage and Discovery Park, estime que « nous avons besoin de ces projets qui ne cessent de grandir ». La création d’un réseau de parcs nationaux serait aussi une alternative, pour répondre à plusieurs problématiques : « le climat, le lien entre les personnes et la nature qui les entoure ».
« J’ai grandi ici et les tourbières ont diminué significativement depuis plusieurs décennies », rappelle-t-il. « Le risque est qu’elles deviennent des intérêts commerciaux. Nous attendons plus de régulation ».
Les élections générales de fin novembre et la continuité de la coalition Fine Gael et Fiana Fáil pourraient rebattre les cartes sur ce sujet. Le parti écologiste, « a bien pris en compte la question des tourbières », mais d’autres problèmes sociaux et économiques arrivent en tête, bien avant l’environnement.
Marion Allard-Latour
Crédit photos : Marion Allard-Latour