Durant l’été 2019, La Galerie accueille la peintre française Nathalie Beras, avec une nouvelle exposition, « L’île monde ».
Peintre de vocation, Nathalie Beras est née en Martinique et a vécu une partie de son enfance à Tahiti. En 2017, son enfance insulaire resurgit à la lecture des œuvres d’Edouard Glissant, écrivain et poète antillais, chantre de la pensée métisse. Sa nouvelle exposition qui s’inspire de la pensée du l’auteur antillais est présentée à La Galerie, à Dubai, ville-monde qui abrite de nouvelles îles.
Comment a débuté votre carrière artistique ?
J’ai commencé à peindre dès l’âge de 12 ans, mais c’est mon expérience professionnelle chez Sotheby’s qui a confirmé mon engagement artistique, grâce à une immersion prolongée dans un univers d’artistes, de collectionneurs et d’experts en art. A force d’expertiser les tableaux des autres, mon identité d’artiste peintre s’est affirmée et j’ai exposé en 2012.
Vous êtes née en Martinique et vous avez vécue à Tahiti. Quel sentiment la vie insulaire vous a-t-elle procuré?
Ma famille a vécu sur ces îles grâce à mes parents et en particulier à mon père, qui avait envie de travailler dans un autre environnement professionnel et culturel qu’en métropole. C’était un commissaire de police, épris de liberté, curieux des autres et toujours en recherche de nouveautés, d’aventures. Le fait d’avoir vécu sur des îles m’a clairement donné une identité insulaire, faite de joie de vivre, de couleurs vives, d’émotions intenses, sincères et nourrie de nombreux voyages. Cette enfance m’a donné une certaine ouverture au monde et depuis l’âge de 18 ans, je voyage beaucoup parce que j’aime découvrir l’art et la culture des autres peuples.
Ces images alimentent ma bibliothèque visuelle personnelle. J’ai collectionné dans mon enfance des images liées à la lumière et au soleil des Caraïbes et au bleu infini et changeant de l’Océan Pacifique. Les éléments naturels tels que le soleil, l’eau et l’air reviennent comme des leitmotivs dans mes toiles ainsi que la roche et les minéraux. Cette omniprésence rejoint la croyance maorie, en une âme, une force vitale, qui anime non seulement les êtres vivants mais aussi les éléments naturels. Ces croyances animistes imprègnent le rapport des Polynésiens à la nature, surtout dans les îles plus isolées. Cela me parle vraiment.
Comment Edouard Glissant a-t-il influencé vos nouvelles oeuvres?
Edouard Glissant, ce grand poète des Antilles, nous invite dans sa démarche philosophique du « Tout-Monde», à constater que "Je est une île" et que nous sommes tous des archipels. Je m’inscris dans cette approche, avec mes îles/montagnes qui sont autant de totems nous invitant à penser notre identité avant tout comme une relation, une identité composée de ceux, celles que nous rencontrons et avec qui nous nous construisons. Je pense que si nous voulons partager la beauté du monde, nous devons aussi apprendre à nous souvenir ensemble.
J’ai créé pour cette exposition à Dubai une nouvelle série de peintures-totem, dans une recherche toujours renouvelée du lien entre imagination et ésotérisme. Comment une image peinte peut-elle représenter l’unité d’un être ? Comment en transcendant la nature pouvons-nous cultiver la créativité des êtres, celle indispensable pour arriver à la connaissance vraie et au dévoilement des mystères ? Mon questionnement s’apparente aussi à l’expérience mystique et au savoir philosophique d’Abu Bakr Ibn al-Arabi, le grand maître du soufisme, dont la pensée définit l’homme comme l’image parfaite de la création accomplie et qui proclame « Je crois en la religion de l'Amour, où que se dirigent ses caravanes. Car l'amour est ma religion et ma foi». A l’image d’Edouard Glissant qui écrivait une œuvre en archipels en utilisant différentes formes d’écriture (poésie, roman, essai dans une seule œuvre), je réalise dans 2 diptyques des îles textes, reprenant le leitmotiv de l’île pour l’unir à la poésie du penseur soufi. C’est cette célébration de l’unité de la nature avec la force du sentiment que je propose dans mes oeuvres.
Connaissez-vous Dubai et les Emirats?
Je ne connais pas Dubai et c’est la première fois que je visite les Emirats. Je voulais exposer en particulier dans ce pays qui a imaginé un archipel d’îles. Alors que dans le monde entier, de nombreuses îles sont menacées de disparition avec l’augmentation du niveau des océans et que la problématique des réfugiés climatiques va devenir chaque jour plus concrète, les Emirats inversent le processus en créant des iles artificielles qui représentent la planète entière. D’où le titre de mon exposition « L’ile monde ».
Les Emirats deviennent un centre artistique majeur au niveau international avec l’inauguration en 2017 du Musée le « Louvre Abu Dhabi » qui célèbre la créativité universelle de l’humanité. Je note que le musée et tout ce nouveau district culturel se situent de nouveau sur une ile, l'île de Saadiyat ! C’est à Dubai que se déroulera la prochaine exposition universelle en 2020, la première dans la région du Moyent-Orient, dont le thème de la durabilité qui fait référence à la protection et à la préservation de notre environnement pour les générations futures, fait écho à mon travail sur les îles. Et puis je tiens à saluer l’initiative d’Abdelmonem Bin Eisa Alserkal, qui a créé un quartier de galeries et des lieux alternatifs sur Alserkal avenue.
Propos recueillis par Anne Cabanel
« L’île monde » par Nathalie Beras du 19 juin au 12 septembre 2019
La Galerie, Alliance Française Dubai
Entrée gratuite
La Galerie est ouverte de 9h à 20h du dimanche au mercredi et jusqu'à 17h le jeudi et le samedi.
Afdubai.org