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Le théâtre francophone aux Émirats : rencontre avec ceux qui font vivre la scène

À Dubaï, la culture francophone s’affirme bien au-delà des mots, elle se joue, se vit et se partage sur scène. Du rire à l’émotion, des ateliers aux grandes productions, le théâtre en français s’impose peu à peu comme un pilier de la vie culturelle locale. Le Petit Journal Dubai est allé à la rencontre de trois figures passionnées, metteurs en scène, comédiens et professeurs, qui œuvrent chaque jour pour faire rayonner l’art dramatique aux Émirats.

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Écrit par Laura Vessier-Bréau
Publié le 12 octobre 2025, mis à jour le 1 novembre 2025

Vous l’aurez remarqué, depuis de nombreuses années, la culture est de plus en plus présente aux Emirats Arabes Unis à travers des expositions, des festivals, de nouveaux musées et divers événements et manifestations. Qu’en est-il de la culture  francophone? Où la placer? Elle est belle et bien là, et n’est pas prête de s’arrêter. En tant que français, le théâtre fait partie de notre culture et pour notre plus grand bonheur n’a pas de frontières !

Le Petit Journal Dubai est allé à la rencontre des trois acteurs importants qui font partie intégrante du paysage théâtrale francophone des Emirats. Rencontre avec ceux qui sont sur le devant de la scène mais aussi derrière…

 

Justin de Casterle, 33 Theatre Productions

Justin

Pourquoi la mise en scène? Qu’est-ce qui vous a séduit dans l’idée de travailler ici ?

Pour être honnête le théâtre m’ennuie (rires!). C’est un comble pour un metteur en scène je sais. C’est plutôt le théâtre qui est venu à moi, un véritable fruit du hasard. Je suis arrivé à Dubai en 2005, ma femme travaillait à l’époque à l’Alliance Française où une personne venait de monter une troupe indépendante et cherchait des comédiens. J’y suis allé à reculons, mais il se trouve que j’ai adoré!

J’ai par la suite intégré la troupe de Culture Emulsion avec Stéphane Brismontier, où j’ai donné des cours, pour ensuite voler de mes propres ailes et monter mes propres pièces. Lorsque j’ai découvert la mise en scène, j’ai eu un coup de coeur : c’est ce que je préfère faire! Aujourd’hui, je produis, je mets en scène et je joue également dans certaines pièces.

Comment adaptez-vous votre travail à un public aussi multiculturel que celui de Dubai ?

Je ne m’adapte pas vraiment, je monte des projets et des pièces qui m’impactent. Ce qui me plait le plus : produire des pièces sur des sujets qui dérangent et font refléchir. Notre dernière pièce L’Homme de sa Vie a pas mal bousculé notre public, ce qui nous a valu une soirée sans aucun rires sur l’une des représentations (rires!). Je vous rassure, le public a adoré la pièce mais s’est senti “gêné” à certains moments de la pièce : c’est ça que je recherche!

Quels sont, selon vous, les points forts et les fragilités de la scène théâtrale francophone dans la région ?

Ce qui nous freine, c’est avant tout le manque de salle. L’absence de lieux de représentation nous freine au niveau de nos programmations.

Pour ce qui est des points forts, je continue de rencontrer des gens qui ne savent pas que le théâtre francophone existe à Dubai et qui aiment le théâtre.

Le théâtre francophone est encore dans sa phase naissante malgré le fait que Culture Emulsion soit present depuis plus de 10ans maintenant. De plus en plus de gens font du théâtre, en refont chaque année ce qui permet d’avoir des oeuvres de grande qualité.

Avez-vous le sentiment que le théâtre francophone peut aussi séduire un public non francophone, par les émotions et la mise en scène ?

Il arrive que nous ayons un public non francophone. Un ami Indien est venu voir notre dernière pièce et a plus ou moins compris le sujet malgré la barrière de la langue. Culturellement parlant, Dubai est tellement cosmopolite que le théâtre en français n’est pas un frein. Le théâtre est ouvert à tout le monde!

Quels projets vous tiennent le plus à cœur actuellement ou à venir ?

Nous serons sur scène au mois de Novembre à l’Alliance Française pendant 2 weekends consécutifs adaptée de Le Dieu du Carnage de Yasmina Reza.

Nous sommes également en train de travailler sur une pièce pour le mois d’Avril dans laquelle je vais également jouer. La pièce s’appelle Les Voisins du Dessus. Je pense que ça va être la pièce dans laquelle je vais prendre le plus de plaisir à produire, à diriger et à jouer dedans. C’est l’adaptation du film Et Plus Si Affinités, adaptation française d’un film espagnol, qui lui-même est l’adaptation d’une pièce du théâtre. Le titre en espagnol  Los Vecinos de Arriba, en français : Les Voisins du Dessus, je n’en dis pas plus…

Un lieu culturel que vous affectionnez particulièrement aux Emirats?

Dubai Opera est un lieu que j’adore! Visuellement c’est magnifique, mais la diversité des spectacles qu’ils proposent et la manière dont ça a été construit leur permet de présenter des décors complètement différents.

Les actualités 33 Theatre Productions : 

Carnage : les 14, 15, 16 et 21, 22, 23 Novembre à l’Alliance Française Dubai Oud Metha. 2 weekends de representations : aucune excuse!

Réservations 

Stéphane Brismontier, Culture Emulsion

 

stephane brismontier

 

Vous êtes l’un des pionniers du théâtre francophone à Dubai avec Culture Emulsion. Comment est née cette aventure et quelle était votre ambition initiale ?

L’aventure a commencé en 2013, avec un premier spectacle en janvier 2014 : Ils se sont aimés. L’idée de départ était toute simple : proposer des spectacles francophones et inviter des troupes de France. Avec l’appui de mon associée Cécile Herman, ce projet un peu fou a pris forme et nous a permis de nous faire un nom. Pendant plusieurs années, nous avons fait venir des artistes de l’Hexagone, mais les coûts étant trop élevés, nous avons choisi de développer davantage notre propre scène locale. En parallèle de mon travail en corporate, je me suis appuyé sur mon parcours au Cours Florent pour lancer des ateliers. Le premier a vu le jour en 2014 à l’Alliance Française, suivi par la création de cours réguliers.

Aujourd’hui, nous comptons 16 classes, rassemblant des élèves de 5 à plus de 60 ans, et nos spectacles remplissent plus facilement que les productions importées. Culture Emulsion est désormais aussi une troupe à part entière, qui propose des pièces avec des acteurs plus “confirmés” comme prochainement Le Porteur d’Histoire : à voir absolument!

En parallèle, nous avons également développer une branche Culture Émulsion autour de la formation et du coaching en entreprise : comme quoi le théâtre s’exporte sous tous les aspects!

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’évolution du public francophone (et non francophone) à Dubai ?

Au départ, le public était essentiellement composé de Français. Désormais, nous accueillons des spectateurs issus de toutes les communautés francophones, que ce soit des Libanais, des Marocains, Tunisiens et j’en passe, ce qui montre l’ouverture et l’élargissement de notre audience.

Quels sont les plus grands défis que vous rencontrez pour faire vivre le théâtre dans un pays où ce n’est pas une tradition historique ?

Les coûts des salles, limités en nombre, pèsent lourd dans les defies auxquels nous sommes confrontés au quotidien, et il n’est pas rare que plusieurs troupes se retrouvent programmées sur les mêmes week-ends. Le trafic routier est un autre obstacle pour attirer le public, et les spectateurs réservent souvent leurs places à la dernière minute. En revanche, nous avons la chance de bénéficier d’une grande liberté de programmation, sans censure, même pour des pièces audacieuses comme Les Monologues du Vagin joués en plein Ramadan l’an passé. Ce qui nous anime avant tout, c’est une passion viscérale pour la scène!

Vous avez porté des mises en scène variées, de la comédie au drame. Quelles œuvres résonnent particulièrement avec le public ici ?

Les drames comme Meurtre sur le Nil ou les comédies musicales comme The Greatest Showman ont rencontré un énorme succès, avec des salles combles. Les comédies marchent également très bien. L’essentiel est de bien communiquer sur le spectacle et de s’appuyer sur une équipe solide, ce qui nous permet de proposer des productions de qualité qui séduisent le public.

Qu’aimeriez-vous que le théâtre francophone à Dubai représente dans 10 ans ?

Que la dynamique actuelle perdure. Que le public continue à venir au théâtre, et que de nouvelles générations aient envie, à leur tour, de monter sur scène : venez au théâtre, faites du théâtre!

Un lieu culturel que vous affectionnez particulièrement aux Emirats?

AlSerkal Avenue bien sûr!

Actualités Culture Emulsion

Le Porteur d’Histoire : dernières représentations les 18 et 19 Octobre au théâtre The Junction., Al Serkal Avenue. A voir absolument!

Réservations 

Le Prénom : un classique à ne pas manquer ! Les 14, 15 et 16 Novembre au théâtre The Junction, Al Serkal Avenue.

Réservations 

Pour la petite anecdote, Stéphane vit entre Dubai et Paris, a monté sa troupe avec des anciens élèves de Dubai. Ils se produiront fin Janvier à Paris avec la pièce Un Air de Famille. Peut-être que la pièce sera à l’affiche en Avril à Dubai. A suivre…

 

 

 

Audrey Jegu, Thespis Gen Studio

 

Audrey Jeggu

 

Vous êtes à la fois comédienne et professeure de théâtre. Comment conciliez-vous ces deux rôles complémentaires ?

J’ai découvert le théâtre à l’âge de 8 ans, un espace où je pouvais enfin être pleinement moi-même. Même si je n’ai pas beaucoup travaillé avec les enfants, je suis convaincue que cet art peut profondément sauver comme il m’a sauvé moi à cette période de ma vie.

Après une école de commerce, je me suis inscrite aux Cours Florent, qui était à l’époque une véritable référence. À 20 ans, j’ai passé le stage d’entrée et je suis tombée dans la « marmite »: c’était lancé ! À ce moment-là, je travaillais comme consultante tout en enchaînant 9 heures de théâtre par semaine, sans compter les week-ends. Une vie à 1000 à l’heure !

En arrivant à Dubaï, je cherchais avant tout à rejoindre une troupe professionnelle pour créer de nouvelles choses et monter sur scène. Finalement, on m’a proposé de rejoindre l’équipe de Culture Émulsion en tant qu’enseignante. Ce fut un vrai défi car je ne savais pas si j’avais la fibre pédagogique, qui plus est, sans qu’un programme ne me soit fourni. J’ai dû analyser et décortiquer ma propre pratique pour créer mon propre parcours de formation et le transmettre aux élèves, et c’est ainsi que j’ai compris combien ces deux rôles se nourrissent mutuellement. Être comédienne et professeure me permet de continuer à grandir et à évoluer moi en tant que comédienne.

Qu’est-ce que vos élèves, souvent issus de cultures variées, vous apprennent sur la place du théâtre dans une ville comme Dubai ?

Pour moi, la question est : à quoi sert le théâtre ici, dans une ville où cohabitent tant de cultures ? Le théâtre a eu un impact immense sur ma vie, et je crois qu’à Dubaï, il joue un rôle particulier. Dans un contexte multiculturel marqué par de nouveaux équilibres géopolitiques, il contribue à créer de l’unité. Le théâtre, c’est l’humain qui parle à l’humain, en lui montrant d’où il vient, où il est et vers quoi il se dirige.

Le théâtre est-il pour vous un outil pédagogique et humain autant qu’artistique ?

Absolument ! Sur le plan individuel, il développe la confiance en soi et la confiance envers les autres. Il permet aussi d’améliorer sa prise de parole et de renouer avec l’essence même de ce que signifie être humain.

Être acteur, c’est apprendre à lâcher prise, à se laisser traverser par les émotions, à donner de soi.

Sur le plan artistique, le théâtre nous pousse à nous détacher du résultat. L’art n’existe pas pour rester enfermé en nous : il appartient à tous. Et humainement, il a un impact profond sur les relations, le lien social, le vivre-ensemble.

Quels moments sur scène ou en cours vous ont le plus marquée depuis vos débuts ici ?

En tant qu’acteur, toutes les scènes sont différentes. Chaque expérience est unique et incroyable. En tant que professeure, ce qui me touche le plus, c’est de voir mes élèves évoluer. Quand une personne suit mes cours sur une année, je constate des transformations impressionnantes. Parfois, je ne les reconnais pas tant ils se révèlent sur scène. Les voir oser, se dépasser et montrer ce dont ils sont capables m’émeut à chaque fois.

Si vous deviez convaincre quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds dans un théâtre à Dubai, que lui diriez-vous ?

Je lui dirais de venir vivre une expérience collective unique. Le théâtre, c’est l’un des rares moments où l’on partage exactement la même chose, au même instant, pendant une heure ou plus. C’est un espace-temps à part, un lieu de liberté totale où les énergies circulent entre la scène et la salle. On peut rire, pleurer, bailler, se laisser emporter... chacun est libre d’y vivre ce qu’il veut.

Le théâtre, c’est cette magie-là : alors venez au théâtre !

Un lieu culturel que vous affectionnez particulièrement aux Emirats?

C'est bien sûr Alserkal Avenue pour la diversité et les gens qu'on peut rencontrer sur place, les connections et les sources d'inspirations de ce lieu. Dans Alserkal, mes deux lieux préférés sont le Cinema Akil et Sima Performing Arts. Aux Emirats de manière général, j'aime beaucoup aller à Sharjah qui est la capitale cuturelle du pays. J'ai d’ailleurs souvent été voir les shows de Sharjah Performing Arts Academy. Enfin, ma mission cette année, est de passer plus de temps a Abu Dhabi pour mieux y découvrir la scène culturelle!

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