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Max Calderan,l'homme qui a traversé le désert de l'Empty Quarter

max calderanmax calderan
Écrit par Marie-Jeanne Acquaviva
Publié le 21 mars 2020, mis à jour le 21 mars 2020

Max Calderan est un explorateur, il n’en existe plus beaucoup de nos jours. Par force, la planète s’étant incommensurablement rétrécie aussi: plus beaucoup de terres vierges à explorer, et donc mathématiquement plus beaucoup d’explorateurs intrépides pour s’y lancer.  Lorsqu’il y a un mois de cela je discute avec Max (au téléphone) c’est depuis l’Italie où il vient de retrouver sa famille après un exploit incroyable.

Max Calderan, un athlète de l’extrême italien de 52 ans, est le premier être humain à avoir traversé à pied en 16 jours, 1100 km à travers l’Empty Quarter. Oui, vous avez bien lu : une traversée à pied, en solitaire, de l’un des déserts les plus inhospitaliers du monde, aux conditions si rudes et aux températures si élevées que les troupeaux de dromadaires l’évitent instinctivement et que même les oiseaux migrateurs font un détour immense pour ne pas survoler ses dunes hautes de parfois 300m. Écoutons ce Théodore Monod des temps modernes nous parler avec passion et intensité de ce voyage au bout de soi même, du ciel étoilé au dessus de nos têtes, de l’âme humaine et du sort de notre planète. Une conversation profonde, éclairée, que seul ceux qui ont observé l’humanité et la nature depuis les silences du désert sont capables d’avoir. Une conversation que je l’espère, tout comme moi, vous n’oublierez pas, et qui résonne en nous particulièrement en ces temps troublés et difficiles.

 

max calderan

 

 

Lepetitjournal.com/dubai : Pourquoi l’Empty Quarter?  Le désert oui, mais pourquoi celui-ci en particulier : 650’000 kilomètres carrés de vide absolu, des températures inhumaines ?

Max Calderan : Eh bien disons que dans la vie on peut avoir beaucoup de rêves, et chacun a les siens n’est-ce pas ? Moi c’était l’Empty Quarter. Je sais que cette histoire ressemble à un conte pour enfants, mais c’est pourtant ainsi que cela s’est passé. En 1974, je suis encore tout petit et ma mère m’a offert une encyclopédie. En la feuilletant, dans le volume consacré à la géographie de l’Arabie Saoudite je tombe sur cette petite phrase qui légende une illustration: “ les chameaux et les oiseaux dévient leur trajectoire afin de l’éviter, car il est impossible de traverser ce désert”. Ces quelques mots entrent en moi et font des étincelles. Du haut de mes 7 ans je vais aussitôt  annoncer tranquillement à ma mère “maman, un jour moi je serai le premier homme à traverser l’Empty Quarter !”

 

Il est rare tout de même de réaliser ses rêves d’enfant, surtout lorsque ces derniers sont si ambitieux! Vous êtes donc vraiment le premier à avoir ouvert cette route?

 

Alors le périmètre du désert du Rub al Khalil a été abondamment exploré autour des années 1930/40, ce sont les années de la quête frénétique du pétrole, de l’eau, d’enjeux politiques majeurs, et beaucoup d’explorateurs de l’époque vont fouiller tout ce qu’ils peuvent dans cette région. Mais personne pour traverser ce carré-là. Lorsque près de 70 ans plus tard je commence à me préparer - une préparation qui sera très longue : il me faut une foule d’autorisations, convaincre les autorités compétentes qui se refusent à donner leur laisser-passer à un « suicide » (rires), partir au bon moment et éviter conflits armés et conditions météorologiques qui peuvent rendre la traversée impossible…. Mais  je sais que quand je partirai je ne marcherai dans les pas de personne.

 

Est-ce que vous avez un but particulier, scientifique, géographique, humain ? Comment décidez-vous de votre trajectoire ?

 

Je pars faire de l’exploration pure, je veux traverser la partie la plus centrale, la plus éloignée de façon équidistante de tous les points de civilisation, en ligne droite. Pourquoi ? Eh bien parce que c’est humain quelque part… Ce coin de désert est le berceau de l’humanité, et beaucoup semblent l’avoir oublié… Oui, je voudrais peut-être laisser une trace, peut être une « Calderan road » que d’autres après moi puissent s’y lancer. Et puis aussi pendant que d’autres se lancent à chercher de l’eau sur Mars je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qu’on fait de notre eau ici sur terre ? L’eau c’est l’origine du monde, le sens de la vie et regardez aujourd’hui : l’océan est une poubelle, l’eau potable se raréfie… alors je me suis dit : plutôt que d’aller sur Mars si nous essayions de protéger ce que nous avons ici ? Si j’essayais moi, d’accomplir quelque chose ici sur terre, de toucher du doigt un endroit encore vierge, d’essayer de montrer à ceux qui me suivront et qui me regarderont qu’il existe un rapport essentiel entre nous et cette terre et qu’il vaut la peine d’être préservé, sauvé… avant de songer à se précipiter sur Mars, il faudrait peut être baisser les yeux.

max calderan

 

À quoi pense-t-on lorsqu’on traverse un des déserts les plus inhospitaliers du monde, un désert qui n’a littéralement - depuis que le monde est monde - jamais vu passer âme humaine… C’est vertigineux : est-ce que c’est une expérience philosophique aussi intense qu’on l’imagine ? Comment gérer l’épreuve mentale au-delà du physique ?

 

Alors je voudrais profiter de cette question pour démystifier quelques idées reçues. Toute la force et détermination mentale du monde ne pourra jamais plier le désert. Ce n’est pas le chêne et le roseau, vous êtes le roseau… et le désert est tout. Le désert c’est l’indifférence suprême, absolue de la nature toute puissante. Pour adopter un ton plus léger : le désert se fout de savoir si tu fais de la méditation tous les matins, ou pas (rires). Le désert est. Ensuite si on veut parler de métaphysique, le fait de pénétrer dans un lieu absolument vierge, dans lequel non seulement personne n’a jamais posé le pied, aucun être vivant, mais que personne n’a jamais « pensé », oui c’est vertigineux. Et donc d’entrer dans ce vide absolu de la pensée, de voir de tes yeux ce que nul avant toi n’a contemplé… ce lieu vide de pensée devient comme le vecteur qui va t’ouvrir l’esprit de façon absolue. C’est comme si on t’ouvrait le crâne aussi facilement qu’une pastèque mûre, ton esprit s’arrête de fonctionner, de pédaler dans le quotidien, et cette fracture laisse entrer… quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas, je sais que ce n’est pas une pensée, alors quoi : une lumière absolue, une simplicité absolue, je ne sais pas…

 

Et aujourd’hui, comment revenir ? Revenir à la vie quotidienne, à la ville ?

 

Je pense que c’est ma dernière aventure, ma dernière exploration. Je pense que le monde n’a plus rien à offrir en terme de terres inexplorées, avec le Rub al-Khali je clos une vie d’explorateur, de records, et je me sens comblé. Je suis heureux de pouvoir me dédier à ma famille, et de pouvoir trouver le temps de rendre à ma communauté et au monde la beauté qu’il m’a donné. Je voudrais tant arriver à faire comprendre, percevoir ce message de simplicité : tout est extrêmement simple, le monde est simple, ce sont nous humains qui le compliquons à outrance. Je voudrais pouvoir garantir à nos enfants et aux générations futures un monde meilleur, un monde où nous avons tous le droit d’accéder à une nourriture naturelle, à une eau pure, où nous avons tous accès à la nature, où la technologie doit nous compléter et non se substituer à nous.

 

Vos convictions sont profondes : d’autant plus au retour de ce « bain d’infini » dans le désert du Rub al-Khali, qu’est-ce qui vous choque le plus ?

 

Tant de choses ! Mais un détail qui est facile à comprendre : pourquoi on considère comme normal de vendre des produits sur-contaminés de traitements chimiques, dans un emballage lui même encore plus nocif, tout en sachant pertinemment la nocivité de l’un comme de l’autre ? Pour quoi considère-t-on que les produits dits « biologiques » doivent être vendus dans un corner ou une zone spécifique du supermarché alors que ce devrait bien entendu être l’inverse : le biologique, le propre, le sain, celui-là devrait être le produit de base.  Mais ce qui est important c’est de comprendre que l’on peut agir, qu’il n’y a pas de petite échelle. Au coin de ma rue il y a un petit supermarché. À force de réclamer, moi puis d’autres tous ensembles, désormais ils y vendent des produits bios. Nous avons commencé avec des carottes. Il n’y a pas de petit effort, de petit changement, de petit progrès. Chaque pas compte, pour le bien commun. Au début de la traversée, avant de me lancer dans le grand vide j’ai rencontré une famille de bédouins. Ce qui frappe c’est leur indépendance absolue à tout et leur lien à tous. Indifférents au monde et en même temps plus humains que bon nombre d’entre nous : ils s’entraident, se respectent, partagent la nourriture, bavardent, se croisent. Un mode de vie qui met en valeur l’aspect totalement superfétatoire des frontières. Pourquoi ? A quoi servent-elles au fond ?... Mais c’est une autre histoire (rires).

 

Revenons à votre traversée : techniquement comment avez vous fait ?

 

D’abord je n’ai rien fait seul, techniquement déjà mon équipement était plus similaire à une tenue de cosmonaute qu’à un pantalon de randonnée, conçu et fabriqué exactement pour les conditions que j’allais affronter : une veste thermique ultra phosphorescente, un pantalon en kevlar renforcé pour me protéger des morsures de serpents et des invasions de sauterelles… Et puis cette aventure c’est l’accomplissement d’une équipe, une équipe incroyable faite de diverses nationalités qui ont parfaitement fonctionné ensemble. Dubaï en cela à mes yeux est un modèle de perfection : c’est la cohabitation parfaite, une cohabitation pleine de tolérance. Grâce à cette équipe donc qui me suivait à distance, nous avions un certain nombre de points de rendez-vous et de ravitaillement que je devais rejoindre. Ne vous imaginez pas non plus cela comme une évidence, n’oubliez pas que certes, vous faites des plans, mais c’est le désert qui décide. Je devais donc être aussi organisé que possible pour tenir le plus de jours possible en autosuffisance totale, au cas où…

 

Et des « au cas où justement » en avez-vous rencontré ? Quel a été le plus beau et le plus difficile de cette aventure ?

 

Le plus beau ? Tout simplement rentrer à la maison bien vivant et embrasser ma femme et mes enfants.  Quant au plus difficile ?... Non je ne parlerai pas de moments difficiles en soi. Après tout je suis entré dans ce désert de plein gré, c’est mon choix, ce serait malvenu de venir m’en plaindre. Si je dois être honnête cependant, c’est vrai que les 200 derniers kilomètres ont été plus éprouvants, autant pour le corps que pour l’esprit, il m’est arrivé d’halluciner, et de redouter pour ma survie. Mais d’être tenté d’abandonner, non jamais. D’être confronté de nouveau après des jours de solitude et de liberté aux traces d’humanité c’est aussi à la fois une joie : bien sûr j’étais heureux de parvenir au bout du périple, de voir des visages connus, mais aussi un déchirement : après tant d’espace, de silence, de voir des barrières, des fils barbelés, les signes concrets de la présence humaine, des frontières… ce n’est pas facile à appréhender. Mais même la tempête de sable que j’ai dû traverser, oui c’était un terrible défi, mais ce sont des moments différents, une palette d’expériences toutes extrêmement intenses, des moments qu’une poignée de personnes au monde peut-être aura vécu, et ce sont ces moments qui je l’espère donneront à qui m’aura vu, ou suivi, ou lu, la conviction que tout homme est capable d’accomplir des exploits invraisemblables, de dépasser ses peurs, les limites qu’il pense avoir… pourvu qu’il y croie.

 

max calderan

 

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Publié le 21 mars 2020, mis à jour le 21 mars 2020

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