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Jean Bachèlerie, enfant de Dubai devenu jeune navigateur en solitaire

jean bachelerie mini transatjean bachelerie mini transat
Écrit par Marie-Jeanne Acquaviva
Publié le 1 février 2020, mis à jour le 2 février 2020

Embarquez avec Jean dans « un projet fou: la traversée de l'Atlantique en solitaire, en course, sans assistance, sans communication, sur un bateau de la taille d'une place de parking! », un roman d’apprentissage et d’aventure « pour de vrai », un rite initiatique, l’école de la voile et de la vie, tout apprendre, savoir tout faire, se lancer et recommencer, tout cela à la fois, oui un projet « fou » et une expérience « lunaire » ou plutôt solaire, car de retour sur terre Jean rayonne : de toutes ces émotions si intenses, et toutes ces richesses, du partage et des rencontres - oui une course en solitaire est faite de rencontres - un passage à l’âge adulte entrepris avec un mélange magique d’inconscience, de courage et de volonté pour un enfant de Dubai, grandi avec la devise de cette ville où tout est possible à qui l’entreprend.

 

 

 

Lepetitjournal.com/dubai : Quelle est ton histoire dubaïote, combien d’années tu as passé ici, et où as-tu fait ta scolarité ?

Jean Bachèlerie : J’arrive à Dubaï en 4e, je suis scolarisé au LFIGP, et je termine mon bac à 16 ans, ce qui me donne un « ticket gagnant » auprès de ma famille pour choisir mes études et prendre ma liberté : je commence architecture, car ce que j’aime c’est comprendre comment les choses fonctionnent, comprendre les systèmes mécaniques…et là on pense « donc tu veux être ingénieur » ? Mais non en fait, car mon niveau de mathématiques ne me le permettrait pas. Tandis qu’en architecture oui on fait des mathématiques, mais il s’agit de géométrie et de calcul graphique et cela me convenait mieux. Et puis l’architecture en France c’est encore un cursus qui est centré sur la créativité, un diplôme qui permet après d’interagir avec des ingénieurs certes, mais qui est quand même surtout fondé sur le ressenti, le feeling, et ça, c’est ce que je recherchais.

 

Quels souvenirs gardes-tu de Dubaï, est-ce que passer quelques années formatrices ici a eu une influence sur ta façon de raisonner, sur tes choix en tant qu’adulte?

Disons que c’est une vie un peu coupée des dures réalités de l’existence : de fait ici on n’est jamais confrontés de plein fouet à l’échec, au chômage, aux faillites, enfin on l’est rarement et de façon beaucoup plus atténuée qu’en Europe. Ce qui dit comme ça peut paraître un handicap, en fait à mon avis c’est quelque chose - ce paradigme d’ultra dynamisme absolu -  qui préserve d’une certaine façon la vigueur de l’esprit d’entreprenariat, l’envie d’indépendance, cette idée qu’on peut tout faire, tout tenter si sa volonté est suffisamment forte, qu’il suffit de se lancer… Je ne dis pas que mes amis grandis ailleurs n’ont pas les mêmes envies, mais ils ont  peut-être grandi avec en eux dès leur plus jeune âge une notion de peur, la peur de l’échec, des conséquences, des risques de l’entreprenariat, des risques de changement de carrière, une certaine « morosité a priori »… Disons qu’en grandissant ici, autant tirer parti de cette bulle dorée que Dubaï peut offrir, et se lancer dans l’âge adulte avec la conviction que tout - ou presque - est possible à qui est suffisamment passionné et suffisamment dédié à son projet. Et ça franchement, c’est une force.

 

Voileux avant de savoir marcher ou une passion plus tardive ?

La voile je n’ai pas vraiment été mordu à Dubaï, plutôt durant des vacances en France, en famille, et je ne l’ai pas forcément abordée par le biais de la navigation d’ailleurs mais plutôt du bricolage : réparer, comprendre comment ça marche, bidouiller … Je n’ai commencé la « compét » que beaucoup plus tard, en archi, avec un ami, William Moreaux. On navigue ensemble en Bretagne, on y est tous les weekends - d’ailleurs ça se ressent dans les notes (rires), et c’est là où j’attrape le virus de la compétition… je suis très mauvais perdant (rires), mais soyons honnête, je n’allais pas au bout des choses… puis la situation se renverse.

 

Quel est le déclic ?

J’entends parler de la Mini Transat et je commence à avoir envie de traîner mes guêtres à Lorient, cette course un peu mystérieuse, qui a cette aura un peu dingue de course très technique, très pro, sans beaucoup de moyens ni de couverture media, et avec de gros défis… bref ça commence à devenir un mythe perso, ça me paraît totalement inatteignable… donc c’est forcément bien (rires)! Il faut savoir aussi que pour préparer ces courses il y a toute une partie de communication qui est indispensable… William pendant ce temps part faire la Route du Rhum, mais moi je n’ai toujours pas de bateau, je n’ai toujours pas grand chose d’ailleurs (rires) car en avril j’ai moins de 200 euros en poche, rien dans les mains, rien sur le papier. Je retourne à Lorient et c’est le moment du fameux “now or never”, soit je trouve comment faire tout de suite, soit c’est mort.

 

C’est à ce moment que l’aventure prend un tournant un peu romanesque, un coup de hasard assez spectaculaire ?

On peut dire ça : En me baladant je repère deux bateaux tout pourris - on est au delà du vintage là (rires) - au fond d’un terrain vague, je remonte la piste de leurs propriétaires respectifs… le premier me dit non, il n’a pas envie de vendre. Le second m’écoute, me propose de boire un verre, il est hyper sympa, on accroche bien et il décide de me le louer pour 1Euro symbolique, pour deux ans, sous condition que je lui restaure, et lui rapporte après la transat et en état de marche. C’est le début de tout un tas de coïncidences ou plutôt de rencontres : ce projet c’est vraiment une histoire humaine, une histoire de rencontres, de hasards et d’affinités, toutes ces personnes que je vais croiser et qui vont me faire confiance d’emblée, au feeling… C’est assez incroyable, oui.

jean bachelerie mini transat

 

Donc voilà, tu as ton bateau ?

Donc j’ai un bateau, mais ce n’est pas réglé. Il est dans un état pitoyable, je dois tout refaire sans compter que c’est un bateau compliqué - vintage donc -  avec beaucoup de surface de voile, bref, je ne suis pas rendu… et on est à un mois de la première course! De nouveau, hop, une rencontre providentielle : un chantier qui va me faire confiance et sur lequel je bosse 20 heures par jour, et où je bénéficie de l’entraide énorme qui règne dans ces courses : elles ne sont pas ultra médiatisées, pas de sponsoring avec des chiffres astronomiques, le niveau sportif est très haut et l’entraide proportionnelle. Bref : je mets mon bateau à l’eau, et je dois faire Lorient/Pornichet directement en solo, c’est la qualification qui va me permettre de participer à la première course… C’est pas compliqué il n’y a rien qui résiste (rires), tout se pète !!!… j’ai 5 jours de battement avant le départ et je dois tout réparer par moi-même. Bien évidemment avec un salaire de jeune architecte le calcul est vite fait : si je dois payer une tierce personne avec le taux horaire de ce que je gagne et de ce que le mécano prend, on ne s’en sort pas. Donc on commence le jeu non pas des sept mais des « zéro erreur », et… miraculeusement je termine la première course.

 

Comment fonctionne ce genre de course justement ?

C’est un système élitiste, mais qui au fond ne l’est pas dans la mesure où les gens s’éliminent par eux-mêmes. Les participants sont pour moitié pro et pour moitié amateurs, la règle principale, la seule au fond, c’est qu’il ne faut pas abandonner, il faut passer la ligne, finir.

 

Les pires moments ?

À un moment donné je vais avoir tout mon système électronique qui se pète, donc je ne dors plus, car je ne peux pas laisser le bateau se débrouiller seul, c’est lui qui passe avant moi, et je passe les dernières 48 heures en veille. Quand j’arrive comme un zombie dans ma voiture, je n’ai pas le temps de mettre la clef au contact que je m’endors sec au volant. Je rallume le portable - qu’on dépose au départ de la course : c’est la règle - et c’est le festival des rappels de facture…

 

Tu es adulte certes mais toute cette aventure tu l’as débutée tout jeune, quel a été le rôle et l’implication de ta famille ?

Disons qu’il m’ont laissé explorer, mais ne m’ont pas encouragé avant de voir où j’allais avec cette histoire, ils n’allaient certainement pas me financer logement ou bateau avant de me voir venir, parce-que soyons honnête de loin (et même de près - rires) ça ressemblait à une belle connerie! Puis bien sûr ils m’ont aidé en me faisant par exemple bénéficier de leurs contacts pour trouver un sponsor… et même sponsorisé eux mêmes ! Mais ils m’ont d’abord laissé me confronter à la vraie vie : les cumuls de crédits, les dettes, les fonds propres partis en fumée, les factures… j’ai déjà parlé des factures non?... (rires) Bref, j’ai du beaucoup  inventer, beaucoup faire preuve de créativité et de ténacité : quand il n’y a plus d’argent du tout et qu’il faut quand même réparer, faire marcher le bateau, avancer… et bien il faut se débrouiller.

 

Ton objectif c’était la mini transat La Rochelle / Canaries / Martinique ?

C’est très différent, plus long (30 jours en moyenne) et sans communication aucune. C’est l’expérience de la grande solitude, la vraie traversée c’est très dur, presque impossible de profiter, de se poser quelques secondes pour apprécier la beauté de la chose - et pourtant je l’avais même inscrit au feutre sur le bateau « kiffe, profite ! », pour essayer de mettre sur pause et de pas “pédaler” non stop, mais la réalité c’est qu’on est en mode de survie et en état d’alerte non-stop, on dort par tranches de 15/20 minutes, pour un total d’environ 4 heures par jour, et on est complètement et totalement esclave de son bateau, il faut avancer, avancer, avancer, coûte que coûte, et cette exigence agit comme un rempart qui va contenir tous les autres problèmes : angoisses, fatigues, peurs… si on a peur de quelque chose c’est pour le bateau, si un gros problème se profile on sait qu’on n’a pas le droit à la panique, c’est le bateau avant tout…

 

Physiquement et moralement c’est un peu l’épreuve du feu non ? Enfin même si on parle d’océan, l’image du feu est sans doute mal choisie, disons une épreuve initiatique d’une certaine façon ?

C’est absolument une expérience d’une intensité invraisemblable, difficile à appréhender avant de la vivre, encore plus difficile à partager après l’avoir vécue. Aucune préparation mentale ou entraînement physique ne te prépare concrètement à ce que tu vas vivre, cet isolement entre toi et le bateau où tu dois tout gérer : la mécanique et la météo, ton corps - environ un kilo de moins par jour pour moi sur la première étape - et le mental qui explose… Le mental c’est sans conteste ce qui m’a moi le plus chamboulé, je ne m’attendais pas à une telle expérience, à une telle intensité des émotions. Ce qui aide c’est toute la partie intellectuelle de la course qui mobilise et remet de l’ordre : calcul de la route, enregistrement des données, recalculer, concentration… il faut savoir qu’on navigue avec une “technologie” qui date à peu près des années 40 (rires): les messages radios sont incompréhensibles la plupart du temps, brouillés par les interférences, on doit se lancer, décider de sa trajectoire, penser stratégie, tactique, c’est un jeu d’échec. Et les échecs c’est bon pour le cerveau, car le cerveau crois-moi il fait les montagnes russes avec l’adrénaline, la solitude, l’isolement…c’est vraiment un voyage initiatique, amplifié par l’état de veille perpétuelle : on a le sentiment de rêver tout le temps, on parle à son bateau bien sûr… avec une acuité des sens et des émotions  exacerbée. Bien entendu on revient changé, comme un passage à l’âge adulte en accéléré (même si à 20 ans on est déjà adulte). En tout cas c’est impossible de revenir à un “soi” d’avant, de revenir en arrière, on remet les pieds sur terre changé à jamais, et je ne pense pas du tout que ce soit une exagération ou un cliché d’usage…

 

Est-ce que ton entourage se rend compte, arrive à comprendre l’intensité de ce que tu as vécu ? Ou plutôt est-ce que tu arrives aujourd’hui à transmettre une partie du moins de cette expérience ?

Ils sont venus à mon arrivée bien évidement et là sur le moment l’euphorie est totale, on a parlé des pires moments, l’arrivée à l’inverse on ne vit que pour ça, c’est sans doute le meilleur moment de la course, ces derniers mètres… mais oui, c’est très difficile à transmettre, ou même à transcrire. J’ai tenu un journal de bord, c’était peut-être plus facile à écrire en solitaire qu’à raconter les pieds sur terre… Une fois sur terre on réapprend aussi pas mal de choses : rallumer et réutiliser son portable (à grands regrets : j’en voulais pas!) et on gagne aussi des années sur certaines choses : aller à l’essentiel, une indépendance totale, une confiance en soi inoxydable. Pendant ces quelques jours au fond on se sent comme Atlas : on porte tout son monde, tout seul, sur ses épaules… alors après ça, il n’y a pas grand chose qu’on ne se sente pas capable d’affronter.

jean bachelerie mini transat

 

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